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La personnalité dans le monde animal

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Il est un constat assez simple quand on observe les animaux : certains comportements paraissent évidents dans des situations précises. On s’attend ainsi à ce qu’un zèbre prenne la fuite face à un lion, à ce qu’un rat-taupe creuse des galeries, ou encore qu’un animal territorial se montre agressif face à ses concurrents. Mais un autre constat est aussi assez évident : on observe une variabilité dans le comportement des individus. Par exemple, certains zèbres vont faire face au lion, essayer de lui donner des coups de sabots tandis que d’autres seront déjà loin. Pourquoi une telle variabilité ? Plusieurs explications possibles. Un comportement peut être lié à l’état de l’animal (faim,  état reproducteur, etc.). Typiquement, un herbivore qui a un jeune va être plus enclin à faire face aux prédateurs pour défendre sa progéniture. L’âge de l’individu peut également modifier son comportement, celui-ci gagnant en expérience et en assurance. Evidemment, des variations entre individus peuvent également être invoquées, telles qu’une variabilité génétique ou épigénétique.
 
Parallèlement, une autre cause liée à tous ces facteurs peut expliquer les différences comportementales entre deux individus : leur personnalité.


Qu’est-ce que la personnalité animale ?


La personnalité est un concept bien connu chez l’être humain. Untel est plus timide ou plus extraverti, untel est de nature optimiste, untel ne peut pas tenir en place et a besoin de découvrir le monde tandis que son frère jumeau préfère geeker sur son ordinateur toute la journée… Est-ce le même genre de « personnalité » dont on parle dans le règne animal ? Hé bien, oui. En quelque sorte. Si vous avez eu des animaux de compagnie, vous vous en êtes rendu compte vous-même. L’un était joueur, l’autre de nature tranquille, le dernier enfin était un froussard…

Les propriétaires d’animaux domestiques l’ont tous remarqué : les différences comportementales sont flagrantes entres les individus. L’un est facétieux ou curieux, l’autre est un froussard, le plus vieux est grincheux et son frère est joueur… (Source)

La personnalité chez les animaux a longtemps fait débat, notamment depuis l’époque où les animaux étaient considérés comme inférieurs aux humains puisque contrairement à ces derniers, ils ne possédaient pas d’âme. Cependant, depuis quelques années, c’est un peu le concept à la mode en écologie comportementale.
 
La personnalité, ou tempérament, a de multiples définitions (voir Réale et al. 2007). Je la définirais ainsi dans cet article : la personnalité d’un animal fait référence à ses propres tendances émotionnelles affectant son comportement de manière constante dans le temps et dans différents contextes. La fin de la phrase est très importante, puisque c’est par la constance que les chercheurs reconnaissent la personnalité.

Prenons un exemple. L’agressivité fait partie des traits de personnalité les plus classiquement étudiés. Si nous voulons mettre en évidence la personnalité chez une espèce de poisson (« poisson » lato sensu pour ne pas tâcher le titre du blog !) pour ce trait, nous pourrions placer devant eux un miroir (le miroir simule la présence d’un congénère), et compter pendant un temps déterminé le nombre de tentatives de morsures. Si on observe une différence entre individus (certains mordent beaucoup et d’autres peu), c’est une bonne piste, mais ça ne suffit pas pour parler de personnalité : il faut une constance dans le temps. On va alors répéter l’expérience après quelques jours, avec les mêmes individus. Si les individus les plus agressifs lors de la première expérience sont également les plus agressifs lors de la deuxième expérience, la personnalité se précise. Mais il faut également considérer la constance « dans différents contextes ». On peut ainsi modifier l’environnement ou l’intrus : par exemple en mettant des vidéos à la place des miroirs, qui montrent des individus de plus ou moins grosses tailles, les individus les plus agressifs face aux petits concurrents doivent également être les plus agressifs face aux gros concurrents pour qu’on puisse parler proprement de personnalité.

Le miroir est souvent utilisé pour simuler la présence d’un congénère et déclencher l’agressivité. Parmi les autres techniques : des vidéos montrant des congénères (agressifs ou non), des leurres simulant des congénères ou des objets indésirables, ou encore des individus réels séparés de l’individu focal par une vitre, éventuellement teintée d’un côté pour éviter une réponse de la part des individus non étudiés, et donc une influence sur le comportement du poisson focal (Source).


Dans l’étude de la personnalité, cinq grands types de traits sont souvent considérés : la timidité-témérité, l’exploration, l’activité, la sociabilité et l’agressivité (Réale et al. 2007).

On peut aller encore plus loin : il a été montré chez plusieurs espèces qu’il existait des corrélations entre plusieurs traits de personnalité. Par exemple, chez certaines espèces, les individus les plus explorateurs sont également les plus actifs et les plus enclins à prendre des risques. On parle alors de syndrome de personnalité.


Syndrome de personnalité mis en évidence par David et al. 2011 chez le diamant mandarin Taeniopygia guttata. Les différents traits (réaction à un signal, néophobie, exploration et activité) présentent des corrélations positives ou négatives. Par exemple, une forte corrélation négative existe entre néophobie et activité, ce qui veut dire que les individus les plus actifs sont aussi ceux qui ont le moins peur des objets nouveaux.



Le diamant mandarin Taeniopygia guttata est un des oiseaux les plus utilisés pour les tests comportementaux en laboratoire (Source)

 
Enfin, sachez que la personnalité a été mise en évidence chez un très grand nombre d’espèces appartenant à tous les groupes, y compris chez des invertébrés (voir Wray et al. 2011 pour un exemple chez l’abeille).


Conséquences de la personnalité


La personnalité des individus a évidement un impact sur de nombreuses variables : efficacité d’approvisionnement, dispersion, comportement anti-prédateur, comportement sexuel, grégarisme, etc. Elle affecte donc à la fois la survie et le succès reproducteur des individus.

Par exemple, la personnalité de deux partenaires peut avoir un impact sur leur succès reproducteur. Schuett et ses collaborateurs (2011) ont ainsi mis en évidence, chez le diamant mandarin Taeniopygia guttata, que l’aptitude phénotypique de la descendance (leur capacité à survivre et laisser des descendants viables, pour faire simple) augmente lorsque les parents ont une personnalité similaire. De même, il a été montré chez la mésange charbonnière Parus major que les couples formés d’individus de personnalités proches ont un meilleur succès reproducteur (Both et al. 2005).
 
Au cours de mon master, j’ai eu la chance de faire un stage sur la personnalité d’un poisson, le cichlide zébré Amatitlania nigrofasciata, et j’aimerais clôturer cet article en vous racontant un peu cette expérience. L’animal est d’un naturel fort agressif, et sa taille modeste ne l’empêchait pas outre mesure de s’en prendre à moi par d’infâmes tentatives de morsures lorsque j’avais la gentillesse de nettoyer les aquariums… Par ailleurs, c’était assez fréquent de retrouver des petits squelettes flottant à la surface, signe d’un drame nocturne dans les aquariums… Au cours de la reproduction, ces poissons forment des couples monogames, où les deux partenaires s’occupent de défendre le nid et les jeunes. Quand il ne leur prend pas l’envie de les dévorer…


Le cichlidé zébré Amatitlania nigrofasciata (Source)


De ces constats, on peut suggérer que l’agressivité doit jouer un rôle important dans la défense du nid. On a donc voulu savoir si madame ne préférait pas un mâle agressif à titre de bon garde du corps. Pour cela, on a placé la femelle dans un aquarium où, de chaque côté, se trouvait un mâle. L’un des mâles avait un miroir pour se défouler sur son reflet et montrer à la femelle à quel point il était agressif…



Dispositif expérimental de l’expérience. La femelle se trouve au milieu et les mâles de chaque côté. Les séparations opaques forment un petit labyrinthe qui permet à la femelle de visiter les deux mâles tout en empêchant ces derniers de se voir. De plus, la femelle ne peut ainsi en voir qu’un seul mâle à la fois. Les tubes en PVC forment une cachette propice au dépôt d’œufs, et donc améliorent le territoire du mâle, l’incitant à le défendre.

L’expérience n’a pas du tout fonctionné : le mâle ne s’occupait pas trop du miroir à vrai dire. Comment booster son agressivité naturelle ? L’idée est venue rapidement de la douleur de la morsure infligée par un des mâles qui défendait des œufs… Le mâle doit se sentir « chez lui » pour avoir un comportement territorial agressif. On a alors laissé les mâles avec une madame pendant quelques jours, histoire qu’il se fasse à sa maison, et on a répété l’expérience (en enlevant les mesdames). Cette fois, le mâle au miroir s’est littéralement défoulé dessus, pensant défendre sa maison et sa future petite famille, et la femelle a pu apprécier son agressivité et la comparer avec celle inexistante du mâle passif de l’autre bout de l’aquarium. Il faut préciser que seul ce caractère pouvait être pris en compte par la femelle : les mâles étaient de taille égale (on sait que chez cette espèces les femelles préfèrent les gros mâles), leur territoire était strictement identique et une vitre la séparait de ces messieurs pour éviter le passage d’odeurs ou d’interactions physiques. Résultats de la manip ? Bingo ! Les femelles ont en moyenne passé bien plus de temps à zieuter le mâle agressif que son congénère passif !


Un des résultats de la manipulation : on voit que la femelle passe en moyenne plus de temps du côté du mâle agressif (mâle avec le miroir).


La personnalité peut donc être un des critères sur lesquels se basent les femelles (ou les mâles le cas échéant) pour choisir leur partenaire sexuel. D’ailleurs, ce n’est pas une découverte : on savait par exemple que, chez le guppy Poecilia reticulata (un autre poisson), les femelles montrent une préférence envers les mâles les plus téméraires (Godin & Dugatkin 1996 ; Pomiankowski 1997). Hé bien oui, chez les poissons comme chez tous les animaux, il n’y a pas que l’apparence qui compte !



Bibliographie


Both, C., Dingemanse, N.J., Drent, P.J. & Tinbergen, J.M. 2005. Pairs of extreme avian personalities have highest reproductive success. Journal of Animal Ecology, 74, 667–674.

David, M., Auclair, Y. & Cézilly, F. 2011. Personality predicts social dominance in female zebra finches, Taeniopygia guttata, in a feeding context. Animal Behaviour, 81, 219–224.

Godin, J.G.J. & Dugatkin, L.A. 1996. Female mating preference for bold males in the guppy, Poecilia reticulata. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 93, 10262-10267.

Pomiankowski, A. 1997. Sexual selection: Rebels with a cause. Current Biology, 7, R92-R93.

Réale, D., Reader, S.M., Sol, D., McDougall, P.T. & Dingemanse, N.J. 2007. Integrating animal temperament within ecology and evolution. Biological reviews of the Cambridge Philosophical Society, 82, 291–318.

Schuett, W., Dall, S.R.X. & Royle, N.J. 2011. Pairs of zebra finches with similar 'personalities' make better parents. Animal Behaviour, 81, 609-618.

Wray, M.K., Mattila, H.R. & Seeley, T.D. 2011. Collective personalities in honeybee colonies are linked to colony fitness. Animal Behaviour, 81, 559–568.


Sophie Labaude

Une histoire à en rester mué.

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Il est bien connu que les adolescents qui grandissent ont la voix qui mue. Le terme muer vient du latin « mutare » qui signifie changement. Au final tous les organismes changent, personne ne me contredira. Le terme « mue » est aussi employé pour les animaux tétrapodes (à quatre pattes  que l’ont connaît bien) lorsqu’ils changent de fourrure, de plumage ou de peau. Peut-être avez vous déjà croisé au détour d’un chemin une mue de serpent (oui, le serpent est un tétrapode, ses ancêtres avaient quatre pattes) ? Et lorsque le canard colvert  change de plumage ? Il arrive aussi probablement à votre chat de perdre ses poils au printemps. Oui mais tout ça ce sont des mues d’amateurs… Il existe un groupe taxonomique dans la nature qui pousse cet art à son paroxysme… Ce groupe là on l’appelle… Attendez, je ne vais pas vous faire peur  avec des gros mots maintenant, citons quelques exemples tout d’abord.

Deux exemples de tétrapodes muant. Mais ce ne sont que des amateurs. Source : mouton laid et serpent casque.

Si vous êtes déjà allés à la campagne (normalement) et que vous avez exploré de vieilles caves, vous avez probablement déjà croisé des carcasses vides d’araignées mortes (peut-être cela vous a-t-il rassuré , moi je trouve ça triste) qui s’envolent au moindre souffle. En réalité, et j’espère que justement vous en aurez le souffle coupé pour pouvoir observer ces carcasses de plus près, ce sont généralement des « mues » d’araignées plutôt que des araignées mortes. C’est à dire que ce n’est que le squelette externe de l’araignée et que notre charmante gardienne de cave est probablement en train de se balader quelque part. Mieux encore (pire selon certains), qu’elle a grandi ! Un autre exemple ? Pour les amateurs de plages et les curieux des crabes, vous avez déjà probablement trouvé sur la plage des carcasses de crabes vides. Dans le mille ! Même phénomène ! C’est très probablement une mue plutôt qu’un crabe mort ! Le crabe lui, est peut-être en train de pincer les pieds de quelqu’un plus loin. Encore un exemple ! J’ai gardé le meilleur pour la fin… Un phénomène qui émerveille toujours est celui de la métamorphose. Encore une fois je ne parle pas de métamorphoses à deux balles de la grenouille mais de celle du papillon … Et oui ! C’est une mue encore une fois ! Un des phénomènes les plus formidables de la nature !

Trois autres organismes qui muent, de gauche à droite : une araignée, un crabe et un papillon. Pour ce dernier, on ne fait plus dans la dentelle, on change tout d’un coup ! 

Tous ces organismes (araignée, crabe, papillon) sont ce qu’on appelle des arthropodes, c’est à dire des animaux à pattes articulées. Vous me direz que c’est pareil pour nous, que nos pattes sont articulées. Oui mais chez les arthropodes l’articulation est particulièrement bien prononcée. Il existe dans la nature actuelle quatre grands groupes d’arthropodes : arachnides, insectes, crustacés (ces derniers en fait n’existent pas plus que les poissons puisque les insectes devraient être considérés comme des crustacés) et mille-pattes. En fait tous les arthropodes muent ! Même les mille-pattes ! Mais, et là il est temps de sortir des gros mots, la mue est encore plus répandue. En fait c’est le propre des… ecdysozoaires, un groupe d’animaux extrêmement important. Je les ai déjà évoqués ici « La phylogénie animale, une affaire pleine de rebondissements». Et ce groupe est simplement caractérisé par la mue : tous les sous groupes qui y appartiennent muent. « Ecdysis »  par ailleurs veut dire mue en grec. C’est un groupe d’une incroyable diversité comprenant les arthropodes dont j’ai parlé plus haut, que vous connaissez bien, mais aussi les nématodes, un groupe de vers extrêmement diversifié dont quelques-uns  sont de sérieux parasites de l’homme comme l'ascaris. D’ailleurs certains parasites passent d’un organe à l’autre (charmant n’est-ce pas ?) et en réalité, ils le font  lorsqu’ils muent. Imaginez qu’en plus de traverser les organes, ils laissent des déchets derrière eux - ce n'est pas ce qu'il y a de plus hygiénique. Mais leur diversité est encore plus phénoménale et comprend certains animaux qui ne viendraient même pas à l’esprit du plus imaginatif des auteurs de science fiction.

Diversité des ecdysozoaires méconnus : a) Les loricifères que j’appelle les « animaux feu d’artifice » voyez pourquoi, b) Les nématodes ou « vers ronds » parce qu’ils sont… RONDS (transversalement) !, c) Les kinorhynches ou « dragons de boue » parce qu’ils ont plein d’épines et vivent souvent dans la vase, d) Les onychophores ou « vers soyeux » parce qu’ils ont un aspect tout soyeux, e) les tardigrades ou « oursons d’eau » parce qu’ils vivent dans l’eau et sont trop choux, f) Les nématomorphes ou « vers gordiens » parce qu’ils font des nœuds improbables et g) Les priapuliens ou « vers pénis » parce que… bah je vous laisse deviner. Ces organismes aussi divers soient-ils muent tous et sont plus apparentés entre eux (arthropodes compris) qu’ils ne le sont de tout autre animal actuel.

La première question que l’on pourrait se poser est : « pourquoi la mue ?». Les ecdysozoaires sont des animaux à cuticule, c’est à dire qu’ils sont recouverts d’une « peau » dure et peu flexible. Par conséquent lorsque l’organisme grandit, la cuticule garde la même forme et l’animal ne prend pas de volume. Qu’à cela ne tienne ! Il suffit de se débarrasser de la cuticule, de grandir et d’en faire une autre ! Et hop, voilà simplement ce qu’on appelle la mue. Cela implique une chose évidemment c’est que la mue est un des processus les plus périlleux du règne animal. Et oui, après avoir mué nos chers amis ont la cuticule molle. Ils sont donc mous et vulnérables jusqu’à ce que la nouvelle cuticule durcisse ! Pas très avantageux me direz vous ! On peut tergiverser autant qu’on veut sur l’avantage adaptatif ou non d’avoir une cuticule rigide (c’est cool) qui rend compliquée la croissance (c’est moins cool), toujours est-il que les ecdysozoaires représentent un peu plus de la moitié des espèces vivantes  et 80% des espèces animales connues  ! C’est dire si c’est  la manière de croître majoritaire… Cela entraîne un mode de croissance bien spécial par paliers puisque l’organisme ne prend du volume qu’après la mue et arrête d’en prendre dès que la cuticule est rigidifiée. Cependant l’animal prend du poids après la mue et n’en prend plus pendant la mue. Pour nous et les autres animaux c’est simple : nous prenons de la masse et du volume continuellement et en même temps.

La croissance par mue en forme d’escaliers (D’après Invertebrates de Brusca et Brusca).

Ensuite comment se déroule la mue ? Les ecdysozoaires ne se débarrassent pas à proprement parler de leur peau mais de la cuticule, c’est à dire de la couche externe constituée de chitine, calcaire ou collagène. La couche de peau (l’épiderme) en dessous produit une nouvelle couche de cellules augmentant la surface de peau et forçant la cuticule à se détacher. Puis, une nouvelle cuticule molle va se former. Les muscles eux même sont attachés à la vieille cuticule et s’associent à la nouvelle seulement lors de la mue elle-même. Cependant les ecdysozoaires restent capable de bouger à ce moment. Il faut penser que même les « poils » (appelés soies) sensoriels des insectes et autres arthropodes fonctionnent jusqu’au dernier moment ! Et tenez-vous bien, chaque soie est reliée à un neurone et va être remplacée (tout comme les attaches musculaires) ! C’est au moment même de la mue qu’en quelques minutes chaque neurone va se connecter à la soie correspondante. Vous ne vous êtes pas encore évanouis face à tant d’émotions ? Chez les insectes la respiration se fait par un système labyrinthique de trachées disposées dans tout le corps. Oui les trachées elles aussi muent ! La mue est aussi un phénomène interne. Dans ce cas la respiration est plus difficile mais l’insecte doit faire face. De plus, juste après la mue l’insecte n’est plus « imperméable » et ne doit pas se déshydrater. Oui la mue c’est tout ça et bien plus. Quand je vous disais que c’est un phénomène formidable je ne vous mentais pas. 

Sur cette mue de cigale vous pouvez voir que le système interne de trachées lui aussi mue : ce sont les filaments blancs. Source : mue cigale.

Chez les insectes encore la mue est initiée par une hormone  intégrant de manière complexe la taille, le poids, l’alimentation et l’excrétion. Puis cette hormone va entraîner la sécrétion d’une autre appelée ecdysone (comme ecdysozoaire !) qui elle même va être convertie en une nouvelle hormone (oui c’est compliqué j’en ai bientôt fini avec les détails) la 20-hydroxy-ecdysone (ouille, ça pique les yeux) qui va être l’hormone qui va tout gérer : division des cellules de la peau, séparation de la vieille cuticule, arrêt de la mue, etc. C’est notamment contre cette hormone qu’agissent certains insecticides provoquant la mue au mauvais moment. Et comme la mue est un processus d’une complexité incroyable, si elle s’effectue au mauvais moment, l’insecte meurt. La plupart des choses que je vous ai racontées sont valables chez les insectes et sont moins connues chez les autres arthropodes et encore moins chez les autres ecdysozoaires. Il y a un organisme ecdysozoaire éloigné des insectes qui est très étudié c’est le ver  Caenorhabditis elegans, un inoffensif nématode de laboratoire. Il semble que pour l’instant il y a plus de questions que de réponses concernant sa mue. Certains résultats sur ce petit ver montrent cependant que des gènes encore non étudiés jusqu’alors semblent impliqués dans la mue. On verra bien ce que nous diront les recherches futures mais un travail colossal nous reste encore à accomplir avant de comprendre le mécanisme de la mue chez tous les ecdysozoaires notamment chez les groupes très peu connus comme les loricifères ou les kinorhynches…

Cycle de vie de Caenorhabditis elegans. Entre chaque stade « larvaire » il y a une mue. Source : ver de laboratoire.

Maintenant que l’on a vu le mécanisme de la mue en général, voici quelques anecdotes.

Tout d’abord, autant que je sache, la mue s’effectue toujours en une fois chez les ecdysozoaires, sauf chez un groupe : les cloportes et leurs proches parents (ou isopodes). En plus d’être un des deux groupes de crustacés dont certains représentants sont complètement affranchis du milieu aquatique avec les insectes (oui je vous l’avais dit, les insectes sont des crustacés ou les crustacés n’existent pas !), ce sont les seuls ecdysozoaires à faire la mue en deux fois ! Ils se débarrassent déjà de l’avant puis quelques jours après de l’arrière. Comme ça la mue est deux fois plus simple ! Mais deux fois plus fréquente… Ca entraîne aussi quelque chose d’assez joli chez certains isopodes aquatiques (proches des cloportes), c’est qu’ils vont onduler pour se débarrasser d’une moitié de mue, ce qui donne une danse amusante.

Un de mes cloportes  en train de muer. Remarquez que seul l’avant est évacué et qu’en dessous ça parait mou.
Une aselle en train de muer difficilement.

Il y a peu de gâchis dans la nature et imaginez que se débarrasser de sa cuticule c’est laisser pas mal de bagages derrière soi. Je l’ai oublié plus haut mais sachez tout d’abord que lors de la mue, la cuticule est dissoute et recyclée en grande partie pour produire la nouvelle. Mais certains insectes ont quand même des états d’âmes à laisser la partie la plus externe de la cuticule. J’ai pu observer chez mes phasmes par exemple qu’ils mangent souvent leur mue une fois qu’ils ont fini  ! Pas bête la bête !

Ici on peut voir un de mes phasmes muer puis (en fait je triche ce n’est pas le même) un phasme manger sa propre mue. Bah après tout, beaucoup de gens se mangent les peaux mortes…

J’espère que vous comprendrez avec tout ça pourquoi il est difficile d’imaginer des insectes géants . Si les ecdysozoaires actuels sont des virtuoses de la mue et que ça ne semble pas si difficile quand on voit un insecte muer, imaginez quand même que plus l’animal est grand, plus c’est difficile et ça demande des efforts. Pour vous en assurer regardez plus bas une vidéo de la mue du plus grand arthropode qui existe : une araignée de mer (qui est en fait un crabe) du Japon qui peut atteindre 3,5 mètres d’envergure ! 

Voici une araignée de mer géante muant. Ah oui ça n’a pas l’air d’être de la tarte ! 


Pour les fans de Miyazaki je suis désolé mais jamais vous ne porterez d’armure taillée dans une mue d’Ômu : ils sont bien trop grands pour exister et/ou muer. On peut quand même reconnaître à Miyazaki (entre beaucoup d’autres choses) d’avoir pris en considération ce phénomène. Source : Ômu pas content !

La mue est l’occasion de grandir et donc de changer. Cela va du petit changement à la métamorphose. Chez certains crustacés et insectes, parfois c’est assez monotone : le poisson d’argent (ou lépisme) ou le cloporte restent identiques si ce n’est un changement de taille, de couleur et l’apparition d’organes sexuels au cours des mues. D’ailleurs ils peuvent muer autant qu’ils veulent (si tant est qu’ils décident). Les mille-pattes eux gagnent de nouveaux segments à chaque mue, plus un mille-pattes est vieux plus il a de pattes (mais ils n’atteignent généralement pas le millier, désolé). S’il est vrai que les insectes ont six pattes et les arachnides huit, il y a un petit piège : les bébés acariens ont six pattes ! Voilà de quoi berner  les étudiants en zoologie et à vrai dire les profs ne s’en privent pas. Mais tous ces changements sont mineurs. La métamorphose c’est le grand jeu. On la retrouve déjà chez la plupart des crustacés : la larve est typique et appelée nauplius. Et pour certains, on aura à chaque mue une larve rigolote et différente jusqu’à avoir un crabe par exemple. Chez les insectes, les maîtres de la métamorphose sont les « holométaboles » ce qui signifie « changement complet ». En effet, notamment chez les hyménoptères (guêpes et mouches), les coléoptères (coccinelles, scarabées), les diptères (mouches, moustiques) et les lépidoptères (papillons), on a une larve (par exemple la chenille) qui va muer plusieurs fois. Puis la larve va donner une nymphe (la chrysalide) qui elle-même va donner l’ « imago » (le papillon pour cet exemple). On ignore  bien souvent la larve mais elle constitue la majorité de la vie de l’insecte. Et en fait, l’imago ne mue pas ! Chez ces insectes, le nombre de mues est donc limité. Si le passage de la larve à la nymphe est un changement externe sans mue, la métamorphose elle est une réelle mue. La plus impressionnante de toutes. Celle où les ailes apparaissent enfin. C’est en effet lors de la « mue imaginale », la dernière mue chez tous les insectes ailés, qu’ils aient une métamorphose ou non, que les ailes apparaissent enfin… Alors si vous avez bien compris, les bébés insectes n’ont jamais d’ailes ! Donc fini l’image de la famille de coccinelles avec le bébé à moins de point sur le dos car en fait le dos est recouvert par des élytres : des ailes modifiées qui n’apparaissant donc qu’à la métamorphose !

Voici la métamorphose du crabe passant par différents stades larvaires : zoé, megalopa, adulte.

Et là la métamorphose de la coccinelle. Oui le bébé coccinelle n’est pas une petite coccinelle avec peu de points sur le dos. Et la larve est cette espèce de ver adorable. Source : bébé coccinelle deviendra grande.

Et pour finir dans 1001 pattes le bébé fourmi ne devrait pas avoir de petites ailes (on repassera l’exactitude scientifique notamment avec la position des pattes et leur nombre mais je sais, ce n’est qu’un dessin animé )… Source : erreur zoologique.

Pour info, il se trouve que la mue se retrouve aussi chez quelques annélides (vers à anneaux). Certaines sangsues mueraient aussi et quelques vers marins ont des mâchoires  particulièrement développées qui muent également. Comme quoi ce phénomène est encore plus commun que ce que l’on peut penser. Mais si la mue est héritée d’un ancêtre commun chez les ecdysozoaires, il y a peu de chance qu’elle le soit entre un ecdysozoaire et une sangsue… 

Certains remarqueront que je suis un zoologiste et donc que je m’émerveille sur chaque petite bête que je croise et je deviens gaga dès qu’elle remue un poil de patte… Cependant la mue reste pour moi le phénomène le plus émouvant de la nature. C’est une espèce de renaissance de l’animal qui s’extirpe difficilement de son ancienne carapace. Un exercice délicat et difficile, périlleux et complexe. C’est l’expression du changement dans toute sa splendeur. 

Pour finir, une belle punaise effectuant sa dernière mue, enfin prête à s’envoler…

Pour aller plus loin / Bibliographie.

Ewer J. 2005. How the Ecdysozoan Changed its Coat. PloS, 3(10), 1696-1699.

Brusca R.C. et Brusca G.J. 2003. Chapter 15: The Emergence of the Arthropods: Onychophorans, Tardigrades, Trilobites, and the Arthropod Bauplan : 461-463, dans
Invertebrates, second edition. Sinauer, Sunderland.

Paxton H. 2005. Molting polychaete jaws - ecdysozoans are not the only molting animals. Evolution and Development, 7(4), 337-340.

Valentine J. W. et Collins A. G. 2000. The significance of moulting in Ecdysozoan evolution. Evolution and Development, 2(3), 152-156. 


Article Ecdysone sur Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Ecdysone

Le suicide des lemmings

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A l’instar du rire ou de l’utilisation d’outils, le suicide n’est pas le propre de l’homme. On a déjà entendu parler de chiens qui se laissent mourir de chagrin suite au décès de leur maître, ou encore de la célèbre histoire d’un des dauphins ayant interprété le rôle de Flipper, qui s’est laissé mourir dans les bras de son dresseur après avoir cessé de s’alimenter… Mais nul animal n’égale le lemming en affaires de suicides.
 
Représentation de lemmings (Source)

Le lemming (le nom désigne plusieurs espèces, nous parlerons ici du lemming à collerette Dicrostonyx groenlandicus) est un petit rongeur vivant dans la toundra du nord du Canada, de l’Alaska et du Groenland. Ses premières observations ont été fort étonnantes : les populations observées en un endroit donné croissent rapidement au cours des années. Une femelles est capable en effet d’engendrer en moyenne quatre portées par an, et jusqu’à dix petits par portée. Et puis tous les quatre ans, la population chute de manière vertigineuse. Ce mystère n’a pas été ébranlé par la découverte du plus improbable : les lemmings se suicident… Ainsi, l’espèce palie un problème qui aurait pu signifier sa fin : le manque de nourriture qu’entraînerait une population sans cesse croissante. En limitant ainsi les effectifs par le suicide, l’espèce est capable de perdurer sur les terres arctiques. Résultat fort intéressant puisque les lemmings semblent même anticiper le manque de nourriture et se suicident en masse avant que celui-ci ne devienne critique  !

Graphique de la densité de lemmings, adapté de Gilg et al. (2003). On observe un cycle très régulier sur quatre ans avec une augmentation exponentielle de la population de lemmings les trois premières années et une réduction drastique la quatrième, après leur suicide.

Une question vous taraude j’en suis sure… Mais comment diantre un rongeur peut-il se suicider ? En sautant volontairement dans les mâchoires de ses prédateurs ? Il est vrai que le lemming constitue le repas de plusieurs carnivores : l’hermine (Mustela erminea), le renard arctique (Alopex lagopus), la chouette harfang (Nyctea scandiaca) et le labbe à longue queue (Stercorarius longicaudus).


Les prédateurs des lemmings : hermine, renard arctique, chouette harfang et labbe à longue queue (Sources : 1, 2, 3, 4).

Mais non, les lemmings ont un mode de suicide bien plus original pour un animal, et d’ailleurs on ne peut s’empêcher de le rapprocher aux pratiques humaines : ils se jettent du haut d’une falaise. Et ils le font tous ensemble, dans une euphorie générale assez étrange.

Le suicide des lemmings est assez connu à l’heure actuelle, notamment chez les anglophones pour qui ce suicide est utilisé comme métaphore pour désigner les personnes qui se fient sans se poser de question à l’opinion générale, et ce en dépit des dangereuses conséquences (« Don’t be a lemming  ! »). C’est en grande partie grâce à Walt Disney que cette pratique a été connue du grand public. En effet, en 1955 et sous les traits de crayon du brillant Carl Barks, l’Oncle Picsou se voit entrainé dans une aventure où il a le privilège d’observer le fameux suicide des lemmings.
 
 Extrait de la bande dessinée « The Lemming with the Locket », de Carl Barks. Cette scène montre les lemmings se jetant en masse de la falaise (Source).

Mais c’est en 1958 que Disney rend ce suicide encore plus populaire, grâce au film « White Wilderness ». Ce documentaire filmé au Canada a d’ailleurs remporté l’Oscar du meilleur film documentaire. Pour la première fois, le public découvre en images la scène extraordinaire des lemmings se jetant de la falaise. Voyez plutôt la vidéo suivante pour en avoir un aperçu !

(Source)


Attendez attendez… est-ce que tout ça ne ressemblerait pas à… mais si ! De la sélection de groupe ! Les lemmings se suicident pour le bien de leur espèce ! Les individus qui se sacrifient permettent à l’espèce « lemming » de perdurer. Et pourtant, on ne le répétera jamais assez, la sélection de groupe n’existe pas (dans son sens le plus intuitif, selon la théorie de Wynne-Edwards, j’en parlais dans cet article). Il y a bien des abeilles qui se sacrifient pour sauver leur colonie, mais elles partagent entre elles un tel niveau de parenté (et donc un tel pourcentage de gènes en commun), qu’il est avantageux pour la dissémination de leurs gènes de se sacrifier et ainsi d’aider la reine à s’occuper de cette dissémination. J’en parlerai d’ailleurs très prochainement dans un article. Mais en dehors de ces compromis où aider ses apparentés à survivre apporte plus de bénéfices, en termes de dissémination génétique, que de se reproduire soi-même, se sacrifier pour le bien des autres n’est nullement adaptatif !

Dans notre cas, les lemmings qui se suicident n’auront aucune descendance. Et l’absence de descendance, c’est précisément le problème de tout un chacun qui cherche à faire fructifier ses petits gènes. Le comportement du suicide rend tout simplement impossible ce processus, et devrait donc rapidement être évincé dans le processus de la sélection naturelle. Adieu veau, vache, cochon, couvée. Le suicide des lemmings n’est qu’un mythe. Tout est faux, archi faux ! Quand on vous dit de ne pas croire tout ce qu’on voit au cinéma ! Et même si c’est Disney qui le dit, les lemmings ne se suicident pas.

Un mythe ? Pourtant, ce sont bien des lemmings qui se jettent sans vergogne du haut de la falaise dans ce fabuleux documentaire de Disney ! Et puis sur le graphique (tiré tout de même d’une publication scientifique fort sérieuse) on voit bien que la population de lemmings diminue d’un coup tous les quatre ans… Et bien nulle part ailleurs qu’en science ce proverbe prend autant de sens : il ne faut pas se fier aux apparences !
 
Ce sont bien des lemmings que l’on voit dans le film de Walt Disney. Il faut dire qu’à l’époque, on était persuadé de tenir la vérité, on ne remettait pas en cause le fait que les lemmings se suicidaient, en réalité non par réelle volonté mais par accident lors de migrations en masse. Et c’est en toute honnêteté que Disney a entrepris l’aventure en Arctique, pour filmer entre autres merveilles ce déchaînement de folie des rongeurs. Evidemment, quand l’équipe est arrivée sur les lieux, ils ne sont parvenus à dégoter aucun lemming en mal de vivre. Qu’à cela ne tienne, un petit montage et le public sera dupé ! Les effets spéciaux de l’époque étant bien sur assez limités, le plus réaliste était de prendre de véritables lemmings comme acteurs. Et de les pousser un peu pour qu’ils se jettent de la falaise. Si, si. D’ailleurs l’espèce filmée n’était même pas migratrice, et encore moins suicidaire évidemment. Si le film a plus tard été pointé du doigt pour cruauté envers les animaux, le mythe était lancé. D’ailleurs à l’heure actuelle, les dessins humoristiques sur les lemmings se multiplient sur la toile !
 
Un des nombreux dessins humoristiques illustrant le prétendu suicide des lemmings (Source)

Un jeu vidéo a même fait fureur au début des années 90, dans lequel le joueur doit… sauver des lemmings ! (Source 1, 2)

Et en ce qui concerne le graphique de la dynamique de la population des lemmings ? Et bien celui-ci est tout à fait exact, basé sur des observations scientifiques rigoureuses. Comment alors expliquer de telles variations de la population ? Plusieurs explications ont été avancées, tel un changement des stratégies reproductrices des rongeurs.
 
Depuis quelques années, les chercheurs du GREA (Groupe de Recherches en Ecologie Arctique) s’intéressent particulièrement à ces lemmings pour justement tenter de comprendre sa dynamique de population. En combinant des observations prises sur une large échelle temporelles, ils ont pu avancer une théorie qui permet d’expliquer simplement les cycles des lemmings : ses interactions avec les prédateurs.
 
Dans cette région en effet, les lemmings constituent la ressources quasi exclusive des prédateurs cités précédemment, et ceux-ci sont donc dépendants des rongeurs. En hiver, le lemming n’hiberne pas tout à fait et continue à être actif dans des galeries creusées sous la neige. Or, seul un prédateur est suffisamment menu pour se glisser dans ces galeries et continuer à chasser les lemmings à cette période : l’hermine. Ainsi, l’interaction entre les lemmings et les hermines constitue une très belle illustration d’un des modèles de proies-prédateurs les plus simples : le modèle de Lotka-Volterra. Dans ce modèle, l’évolution des populations de prédateurs et de proies dépend exclusivement des taux d’accroissement de ces deux espèces (la vitesse et l’efficacité auxquelles elles se reproduisent), et du succès de prédation de l’espèce prédatrice sur l’espèce proie. Les deux espèces sont ainsi très étroitement liées : les proies se reproduisent bien, ce qui fait augmenter en réponse la population de prédateurs. Mais arrivée à un seuil, cette population devient néfaste pour les proies et celles-ci sont alors décimées. Les prédateurs ayant alors du mal à attraper les proies devenues trop peu nombreuses voient à leur tour leur population diminuer. Les proies profitent du répit laissé par le faible nombre de prédateurs et leur population se remet à augmenter, créant un nouveau cycle. Ce modèle simple trouve peu d’illustrations empiriques, justement en raison de sa simplicité. Dans la nature en effet, beaucoup de facteurs influencent la dynamique des populations des espèces, proies comme prédateurs. Par exemple, l’homogénéité du milieu peut intervenir, ainsi que sa disponibilité en ressources (nourriture, eau, sites de reproduction, etc.) pour les espèces proies. De plus, les prédateurs sont rarement spécialisés pour une seule espèce de proies, et en cas de diminution d’une espèce, ils peuvent simplement se mettre à en chasser une autre. De même, les proies sont rarement les victimes d’une seule espèce. D’ailleurs, ici, l’hermine semble le prédateur le plus important dans la dynamique de la population de lemmings car celle-ci, contrairement à ses autres prédateurs, le chasse à toutes les saisons. L’exemple d’application du modèle de Lotka-Volterra le plus connu jusqu’ici était l’imbrication entre les populations de lièvres d’Amérique (Lepus americanus) et de lynx du Canada (Lynx canadensis).
 
Cycle des populations de lièvres et de lynx : l’augmentation de la population du lièvre fait augmenter celle du lynx, jusqu’à ce que celui-ci devienne trop nombreux et fasse décroître les lièvres, entraînant un appauvrissement des ressources pour le lynx (Source).

L’étude de la population des lemmings et des hermines fournit alors un graphique encore plus « beau », dans le sens où les cycles y sont plus nets et identiques, autant dans leur périodicité que dans les effectifs des populations. Voici présenté ci-dessous le graphique du début de l’article, auquel j’ai ajouté les populations d’hermines.
 
Graphique montrant l’imbrication de la dynamique des populations de lemmings et d’hermines (adapté de Gilg et al. 2003).


Si le mystère des lemmings est résolu, ces petits rongeurs sont encore largement associés au suicide et risquent de l’être encore longtemps…
 
 
(Source)


Bibliographie / Pour en savoir plus


Gilg, O., Hanski, I. & Sittler, B. 2003. Cyclic dynamics in a simple vertebrate predator-prey community. Science, 302, 866-868.
 
Site du GREA (Groupe de Recherches en Ecologie Arctique)
 
- Film « Le mystère des lemmings » de Olivier Gilg et Brigitte Sabard.



Sophie Labaude

Voyage sous les Tropiques : à la découverte des Palmiers

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Par ce temps froid et venteux (l'automne se termine et l'hiver commence à pointer le bout de son nez), il est bon de penser à des lieux ensoleillés synonymes de vacances. C'est pour cela que j'aimerais vous parler de plantes associées aux paysages de cartes postales : les Palmiers.

Dans un précédent article, j’avais évoqué l’existence de cette grande famille de plantes à fleurs assez originale, les Palmiers, appelés aussi Arecaceae. C’est la seule famille présente dans l’ordre des Arecales, elle-même présente dans le groupe des Commelinids au sein des Monocotylédones (voir article précédent). Ça, c’était pour l’aspect classification et phylogénie. Intéressons nous à présent aux particularités de cette famille.
La famille des Palmiers regroupe à l’heure actuelle environ 2400 espèces, réparties dans 183 genres (Dransfield et al. 2008). Toutes ces espèces, sauf exceptions, se retrouvent au niveau de la zone tropicale à la surface de la Terre.

Carte de la répartition mondiale des espèces de Palmiers. Source : Dransfield et al. 2008

Il est intéressant de noter que lorsqu’on voit un Palmier, eh bien… On le reconnait au premier coup d’œil. N’importe quel enfant inscrit à l’école primaire dessinera, si on lui demande de représenter une île déserte, quelque chose d’approchant :

Trois vaguelettes, un soleil, un monticule de sable... et un Palmier : c'est  la représentation classique d'un île déserte [source]

Et du même coup, on se rend compte que l’imagerie du Palmier est connue depuis notre plus tendre enfance. Mais si c’est une chose de représenter un Palmier en trois coups de crayon, c’en est une autre de savoir ce qui se cache derrière ces feuilles vertes qui protègent le naufragé des rayons du soleil.
Savez vous en effet que les Palmiers ne sont pas des arbres ? Eh oui, ils ne possèdent pas de tronc à proprement parler ! Mais alors, comment est-il possible que ces plantes mesurent parfois plusieurs mètres de haut et soit dures comme du bois… sans en être réellement ?

Reprenons les choses depuis le début. La croissance des plantes est initiée (dans un premier temps) aux extrémités de l’individu. En particulier, on appelle les zones de croissance des méristèmes. On trouve ces méristèmes au niveau des tiges (méristèmes caulinaires) et au niveau des racines (méristèmes racinaires). Ces zones sont ce que l’on appelle communément les bourgeons.
Schéma d'une plante avec la localisation des méristèmes. Modifié d'après [source]

Oui mais voilà, si on s’arrêtait là, tout serait bien trop simple. Certaines plantes possèdent deux types de méristèmes : primaires et secondaires. Tandis que les méristèmes primaires permettent la croissance en longueur de la plante et sont présents au tout début de sa croissance, à l’intérieur même de la graine, les méristèmes secondaires se mettent en place… secondairement, et permettent la croissance en épaisseur de la plante. Ces méristèmes sont appelés cambium (ou Assise Génératrice Libéro-Ligneuse) et phellogène (ou Assise Génératrice Subéro-Phellodermique).

Schéma d'une coupe dans un tronc, montrant les différentes couches produites par le cambium et le phellogène. Les flèches verticales montrent les zones de croissance cellulaire en épaisseur. [Source]

D’après la figure précédente, on peut voir que le tronc d’un arbre est constitué de plusieurs couches successives. Si on regarde en commençant par la partie visible de l’arbre, à l’extérieur, la première couche rencontrée est l’écorce. Cette couche imperméable et protectrice est constituée par le liège, ou suber, qui est produit par le phellogène (ou AGSP, voir plus haut) qui est donc le premier méristème secondaire rencontré chez un arbre, en partant de l’extérieur. A titre d’information, les bouchons de bouteille sont faits en liège, qui est en réalité l’écorce des Chênes Quercus suber, récoltée annuellement. Ce matériau est utilisé pour cet usage du fait de sa grande imperméabilité.
Si on avance vers l’intérieur du tronc, on tombe sur le phelloderme, une mince couche cellulaire produite elle aussi par le phellogène. Cette couche fait partie de l’écorce mais reste généralement sans rôle particulier.
La couche suivante est le liber, aussi appelé phloème secondaire : c’est un tissus qui conduit la sève élaborée, riche en sucres, depuis les feuilles vers les racines. Il est produit par le cambium (ou AGLL, voir plus haut), le second méristème secondaire, vers l’extérieur de la plante.
La couche suivante est l’aubier : c’est la partie vivante du bois. Il s’agit du xylème secondaire, également produit par le cambium vers l’intérieur de la plante. Il sert à conduire la sève brute, constituée essentiellement d’eau et de sels minéraux, depuis les racines jusqu’aux feuilles. Par la suite, les cellules de l’aubier vont se remplir de lignine et subir ce que l’on nomme la duraminisation : on obtiendra ainsi le bois de cœur, encore appelé duramen.

Coupe transversale schématique d'un tronc. Notez qu'ici, l'écorce rassemble le suber, le phellogène et le phelloderme. [Source] 

La production de bois permet, à postériori, la formation d’un tronc, suite à la rigidification des tissus végétaux. Evolutivement, la présence du tronc peut s’expliquer par une constante compétition par les plantes au niveau de l’occupation du volume par les structures photosynthétiques  : la présence d’un « squelette » constitué par le tronc permet à la plante de déployer ses feuilles dans toutes les directions et ainsi de maximiser leur exposition à la lumière. Vous imaginez bien qu’avoir un étagement des feuilles permet d’augmenter la surface photosynthétique pour une même surface au sol… C’est un peu comme avec nos immeubles : on garde la même surface au sol qu’une maison d’un étage, mais on empile des appartements, donc tout le monde au final a plus de place pour vivre.
L’augmentation de la taille à l’aide d’un tronc permet également d’accroitre la capacité de dispersion des fruits et des graines. C’est logique : lancez une balle depuis le pied d’un arbre et depuis sa cime et vous verrez qu’elle parcourra plus de distance si vous vous situez au sommet de l’arbre.
  
Tout ça c’est bien joli, mais… les Palmiers n’ont pas de tronc à proprement parler. En effet, une des particularités des Monocotylédones (voir article précédent) est d’avoir perdusecondairement, au cours de l’évolution, la capacité de former des structures secondaires. Ces plantes ne possèdent tout simplement pas de méristème secondaire ! Comment est-il possible, dans ce cas, que les Palmiers soient des plantes dont la taille dépasse aisément plusieurs mètres ?
Eh bien, ces plantes possèdent d’autres structures qui leurs permettent aussi de se hisser vers la lumière. La partie analogue à un tronc d’arbre chez un palmier s’appelle un stipe, et c’est ce stipe qui permet d’étendre la couronne de feuille au soleil, loin au dessus du sol.
Ce stipe est constitué d’un grand nombre de fibres, rigidifiées par la lignine (toujours elle). Dans un stipe, on trouve un très grand nombre de fibres conductricesde sève, associées souvent avec un ensemble de fibres de soutien.

Détail d'une fibre conductrice associée à une fibre de soutien (en coupe transversale). En noir, les fibres de soutien ; en pointillés, le phloème ; en blanc (mx et px), du xylème ; en hachuré, du parenchyme (c'est un tissus de soutien). Il n'y a pas de tissus secondaires. Source : Thomas & De Franceschi 2012
Voici les fibres, replacées dans le contexte entier du stipe (à g., extérieur, à dr., intérieur), pour les deux types d'organisation chez les Palmiers (Thomas & De Franceschi 2012)

Bien qu’il n’existe pas de croissance secondaireà proprement parler chez les Palmiers, l’accumulation et l’agrégation des fibres enchevêtrées entre elles permet au stipe d’augmenter petit à petit en épaisseur (surtout au niveau de la base), ce qui confère au Palmier dans son entier sa stabilité et sa solidité.
D’un point de vue de la croissance, comme je l’ai dit plus haut, les Palmiers n’ont pas de méristèmes secondaires donc pas de croissance secondaireà proprement parler : un seul méristème initie la croissance de la plante, d’où la présence d’une couronne de feuille unique au sommet et l’absence de branches. Chaque année, les feuilles de l’année précédentes meurent et le Palmier initie la croissance de nouvelles feuilles juste au dessus des anciennes. On pourrait dire ainsi qu’un Palmier est le résultat d’un emboitement successif de feuilles, année après année. Mais on ne peut pas parler de vrai tronc car il n’y a pas d’accroissement en largeur, suite à l’absence de méristèmes secondaires.

Différentes coupes transversales de stipes de Palmiers, mettant en évidence les fibres vasculaires. [Source]


Mais il ne faut pas croire que les Palmiers sont tous pareils : c’est une famille de plantes à fleurs où l’on trouve une diversité de formes, de tailles, de couleurs impressionnantes. Ainsi, si la plupart des Palmiers possèdent des stipes « conventionnels », on trouve des Palmiers rampants et grimpants. Si certains Palmiers peuvent atteindre 15 mètres, d’autres sont nains et ne dépasseront jamais un mètre de hauteur.

Calamus nabariensis, détail du stipe (à g.) et Calamus longipina, vue d'ensemble (à dr.) : deux Palmiers grimpants. [Source]


Chamaerops humilis (à g.) et Actinorhytis calapparia (à dr.) : notez la différence de taille... [Source]

Certains Palmiers ont des stipes à épines alors que d’autres possèdent un stipe complètement lisse ou bien fibreux.
Calamus wailong (à g.) et Howea forsteriana (à dr.). Notez les stipes épineux à divers degrés du Calamus et celui parfaitement lisse du Howea. [Source]

Mais le plus impressionnant à mon sens reste le Coco-Fesse (nom commun du Lodoicea maldivica), qui possède un fruit en forme de… bin, je vais pas vous faire un dessin, qui peut peser jusqu’à 25 kilos !

Fruit de Lodoicea maldivica, avant (à g.) et pendant (à dr.) la germination. [Source]

Les fruits du Cocotier Cocos nucifera (les noix de Cocos) sont également capables de prouesses au niveau de la capacité de germination : on les retrouve parfois à des milliers de kilomètres de distance de leur point de départ, portés par l’océan. S’ils échouent sur une plage tropicale, ils sont capables de germer très rapidement et de prendre racine sur le rivage.
Une noix de Coco germe après avoir été transportée par la mer. [Source]

Chez les Palmiers, on trouve aussi une grande diversité de feuilles, bien qu’elles soient toutes construites sur le même modèle de base : lors de leur formation, elles sont repliées comme un pliage d’origami, puis elles se déplient pour prendre leur forme définitive. On distingue souvent deux grands types de feuilles, parmi lesquels on trouve toutes sortes de variations morphologiques : il s’agit des feuilles pennées (comme des plumes) ou palmées (comme une main).

Areca vestiaria (à g.) possède des feuilles pennées, tandis que Serenoa repens (à dr.) possède des feuilles palmées. [Source]

Pour conclure, je dirais qu’au sein du règne végétal, il ne faut pas se fier aux apparences… et que même s’ils en ont l’air, les Palmiers ne sont pas des arbres et recèlent une diversité insoupçonnée au premier regard.

Bibliographie 

Dransfield et al. 2008. Genera Palmarum. Royal Botanic Garden, Kew

Thomas R & De Franceschi D. 2012. First evidence of fossil Cryosophileae (Arecaceae) outside the Americas (early Oligocene and late Miocene of France): Anatomy, palaeobiogeography and evolutionary implications. Review of Palaeobotany and Palynology. 171:27-39

Pour les photo, l'immense ressource d'Internet en général et le site http://palmweb.org/ en particulier.

Petit guide de la résistance au froid

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Un petit coup d’œil à travers la fenêtre et une confirmation : l’hiver et bel et bien installé ! Le paysage est aussi blanc que le ciel. Et malgré la beauté et la féérie de cette image, y’a pas à dire, on a envie de rester bien au chaud. Hé oui, il faut dire que niveau résistance au froid, l’humain n’est pas le mieux pourvu. Dès que la température descend en dessous de 20°C, le pull s’impose. Pourtant, outre les artifices dont nous avons (presque) le monopôle - chauffage, bouilloire et compagnie - la nature dispose de son florilège de tactiques pour lutter contre le froid. Avant de vous proposer un rapide tour d’horizon, une question s’impose : pourquoi le froid est-il mauvais pour certains organismes ?


(Source)

Les effets de la température


La température a des conséquences sur de nombreux mécanismes physiologiques. Sa diminution provoque un ralentissement de la plupart des phénomènes, y compris le métabolisme. Ainsi, les guppies, des petits poissons colorés bien connus des aquariophiles et qui vivent habituellement dans un environnement à 23°C, meurent à 10°C à cause d’un trop fort ralentissement de leur centre respiratoire (Pitkow 1960). Les enzymes, indispensables aux réactions chimiques de l’organisme, disposent d’une température optimale de fonctionnement. La température détermine en effet l’intensité de l’agitation moléculaire, elle-même influant notamment sur les vitesses de changements de conformation des protéines ou encore la probabilité de rencontre entre différents composés. Un changement trop important de température peut donc entraîner l’inactivation d’enzymes. De plus, les réactions n’ont pas toutes la même sensibilité aux températures, et il peut donc y avoir accumulation ou disparition de certains intermédiaires du métabolisme. La température peut avoir des effets sur la structure membranaire des cellules, et donc entraîner une modification des interactions des protéines et des lipides. Et puis bien sûr, beaucoup d’organismes ne supportent pas la formation de glace dans leurs tissus.


La thermorégulation chez l’être humain


Vous l’avez tous remarqué : nous même, Homo sapiens, avons une gamme de température dans laquelle nous nous sentons bien. Au-delà, nous avons « trop chaud » ou « trop froid ». Mais avant que la température ne soit sérieusement dangereuse, notre organisme est capable de s’arranger pour que notre température interne reste stable, grâce à ce qu’on appelle la thermorégulation.
 
En permanence, des récepteurs détectent la température, à la fois au niveau de la peau (thermorécepteurs périphériques) et de la moelle épinière, des organes abdominaux et de l’hypothalamus, dans le cerveau (thermorécepteurs centraux). L’information est ensuite transmise à l’hypothalamus, qui s’occupe de coordonner les actions permettant à notre corps de se réchauffer. L’important étant de garder les organes vitaux au chaud, les récepteurs centraux sont prioritaires mais les récepteurs périphériques permettent d’anticiper les variations de températures avant qu’elles n’atteignent les récepteurs centraux.
 
Et ensuite ? Et bien vous connaissez les symptômes liés aux basses températures : on claque des dents, on a froid aux doigts et aux orteils, on frissonne… Le frisson se caractérise par des contractions rythmiques des muscles, qui permettent de transformer l’énergie en chaleur. La sensation de froid aux extrémités est due à la vasomotricité (modification du diamètre des vaisseaux sanguins). Ainsi, les vaisseaux situés juste sous la peau se contractent. Le sang y circule moins, ce qui diminue les pertes de chaleur du sang vers l’extérieur. La chaleur de l’organisme reste donc concentrée dans les organes vitaux, quitte à sacrifier les doigts bien moins indispensables !
 
Alors que la température de notre corps est bien homogène lorsque la température extérieure est douce, elle descend rapidement dans les extrémités (mains et pieds, puis bras et jambes) lorsque la température extérieure baisse. Les centres vitaux de notre organisme (cerveau, cœur, poumons, etc.) restent cependant à bonne température (Source)


Ces mécanismes fonctionnent chez de nombreux organismes, mais beaucoup d’espèces ont leurs propres particularités qui leur permettent, entre autres, de résister aux températures basses. D’ailleurs pour l’homme, une particularité est bien plus évidente que toutes celles que je viens de citer. C’est sa capacité d’innovation, son aptitude à utiliser des outils, qui lui ont permis de coloniser des environnements à priori trop froids sans ces artifices. Vêtements, cabanes, découverte du feu… Et bien sûr à l’heure actuelle tout un tas de machines qui produisent de la chaleur, des procédés qui permettent de mieux la conserver… Imaginez vous seulement, tout petit humain que vous êtes, à poil et sans maison au beau milieu d’une France sauvage… La survie face au froid serait bien pénible !

 


Les multiples inventions pour résister au froid dans le monde animal


Si les humains ont pu coloniser presque tous les milieux grâce à leurs artifices, les autres animaux en ont fait tout autant, en rivalisant d’adaptations pour survivre sans problèmes dans des environnements qui nous donneraient envie de claquer des dents… On dénombre plusieurs types de propriétés, telles que des adaptations morphologiques, comportementales ou encore physiologiques.
 
Les adaptations morphologiques sont les plus évidentes parce que les plus visibles. Quand on voit un ours blanc se trémousser tranquillement sur la banquise, on se dit qu’on en ferait tout autant si seulement on avait une fourrure aussi bien fournie que la sienne… L’isolation thermique est en effet très importante pour conserver la chaleur au sein de l’organisme. Cette isolation passe par des couches de graisses, des poils ou encore des plumes. Fourrure et plumage fonctionnent un peu comme vos fenêtres à double vitrage. Si leur épaisseur compte pour isoler la maison, c’est surtout grâce à la couche d’air prisonnière entre les deux vitres que vous devez votre isolation thermique. Celle-ci fonctionne comme un tampon, assurant une certaine inertie thermique. De la même façon, poils et plumes emprisonnent de l’air, et c’est particulièrement cette couche qui permet à l’animal de conserver sa chaleur. Cette isolation peut varier selon les saisons, augmentant avec l’arrivée de l’hiver.
 
Une autre adaptation morphologique consiste en une réduction des surfaces d’échanges entre l’animal et l’environnement, qui réduit par la même occasion les pertes de chaleur. Cela consiste en une diminution (par rapport à des espèces apparentées vivant dans des milieux plus chauds) du ratio surface/volume, et une réduction des extrémités. On parle de la règle d'Allen. L’animal se rapproche ainsi d’un aspect compact, « en boule », la sphère ayant en effet le plus faible rapport surface/volume. Par exemple, le renard polaire, comparé à ses cousins, dispose d’oreilles bien plus réduites, ainsi que d’un museau relativement court.
 

Comparé à ses cousins des pays plus chauds (fennec et renard roux), le renard polaire dispose d’extrémités réduites

En plus d’adaptations morphologiques, les animaux soumis à de basses températures sont également capables de conserver leur chaleur corporelle via des comportements. Ainsi, à l’image des animaux ectothermes (c'est-à-dire qui produisent peu de chaleur via leur métabolisme, et dépendent donc des conditions de température de leur environnement), l’exposition au soleil est une manière simple de faire augmenter la température de son corps. Tout le monde a en tête l’image du serpent ou du lézard se dorant impassiblement au soleil… Des postures individuelles peuvent également permettre de réduire les pertes de chaleur. Ainsi, de la même façon que le renard polaire dispose d’une surface apparente réduite, les animaux peuvent s’arranger pour créer cette propriété, simplement en se roulant en boule. L’orientation du corps par rapport au vent peut également jouer un rôle primordial pour éviter les pertes de chaleur. Et puis bien évidemment, la recherche ou la construction d’abris sont indispensables à de nombreuses espèces, notamment les espèces qui hibernent. Par ailleurs, ces dernières sont fascinantes dans le sens où, bien qu’endothermes (par opposition à nos ectothermes de tout à l’heure, ce sont des espèces qui maintiennent relativement constante leur température  grâce à une production interne de chaleur, nous en faisons d’ailleurs partie), elles sont capables de survivre, lors de l’hibernation, à une baisse drastique de leur température interne. A tel point que ces animaux sont parfois classés dans la catégorie des hétérothermes, une sorte d’intermédiaire entre endothermes et ectothermes. Cette baisse de température est compensée par une intense diminution du métabolisme. Chez le Spermophile arctique (Spermophilus parryii), un petit écureuil, la fréquence cardiaque passe de près de 400 pulsations par minutes en éveil à une soixantaine en hibernation.
 
 
Après un réveil forcé, le Spermophile arctique (Spermophilus parryii) entre de nouveau en hibernation. On observe alors une baisse de sa fréquence cardiaque en parallèle de la diminution de sa température interne. (Source)

Dans la catégorie « comportements », on peut également classer la migration. De nombreux oiseaux sont ainsi connus pour rejoindre des contrées plus chaudes quand l’hiver arrive… Bien souvent cependant, il apparait que le paramètre important n’est pas la température elle-même (certains oiseaux survivraient tout à fait aux températures hivernales), mais plutôt les ressources en nourriture. Les animaux se nourrissant d’insectes, qui deviennent indisponibles dès l’arrivée de l’hiver, ont en effet beaucoup de mal à subvenir à leurs besoins énergétiques. Bon là je suis obligée de parler de mon sujet d’études préféré… le flamant rose (Phoenicopterus roseus) ! J’avais consacré un articleà vous parler de leurs bizarreries multiples. Une partie de la population vit et se reproduit en France en été. L’automne venu, certains oiseaux partent vers le sud tandis que d’autres restent en France. Le sud est une promesse d’abondance, mais également la perspective d’un voyage périlleux au cours duquel beaucoup y laisseront la vie. La France recèle de plus en plus de ressources pour eux, mais ils n’y sont pas non plus à l’abri. Cette année par exemple, le froid a été tel que beaucoup de flamants sont morts… de faim (vous pouvez me croire, j’ai étudié leurs cadavres pendant des mois !). Leurs ressources de nourriture étaient simplement prisonnières de la glace. Les quelques centaines d’oiseaux qui sont restés cantonnés dans un petit étang au cœur d’un parc ornithologique ont eu la chance d’être nourris par l’homme, et ont tout à fait résisté au froid. Par ailleurs, je serais curieuse de connaître les effectifs des oiseaux qui ont migré cet automne ! Il se pourrait bien que beaucoup aient changé d’avis quant à leur décision de rester, compte tenu du fiasco de l’année passée…
 
Pour terminer ce tour d’horizon des comportements pour résister au froid, j’aimerais citer deux espèces aux mœurs assez spécifiques. D’une part, le fameux manchot empereur (Aptenodytes forsteri), qui vit dans des pays où tout est tout blanc partout. Son histoire a été largement diffusée grâce à un film-documentaire d’une grande poésie, La marche de l’empereur. J’avoue que ça me démange de radoter la différence entre un manchot et un pingouin, de huer tous les créateurs de dessin animés qui nous apprennent dès l’enfance à appeler pingouin les manchots… mais bon après tout ce n’est pas le sujet, et puis y’a une super planche de BD qui y est consacrée sur Mégatherium. Dans le film-documentaire comme je disais, on y voit les manchots plongés dans une tempête de neige atroce et les braves bêtes qui lutent contre ce froid et ce vent sans pitié. Ils ont une parade assez efficace : ils se regroupent, se serrent les uns aux autres le plus possible. Cette formation « en tortue » (oui oui, comme les légionnaires dans Astérix et Obélix !) permet un maintien de la chaleur grâce à une diminution des surfaces d’échanges avec l’environnement. Chaque individu étant de tous les côtés collé aux autres, qui ont à priori une température proche de son propre plumage, le froid ne les pénètre que par le haut (bin oui, ils ne vont pas non plus s’entasser…). Attention aux interprétations anthropomorphiques et à la tentation d’invoquer la sélection de groupe… Malgré une unité et une coopération apparente, chaque individu prend cette position pour sauver sa propre peau, et non pour protéger les autres comme le laisse entendre le film Happy feet (un film d’animation qui raconte l’histoire d’un pauvre petit manchot qui ne sait pas chanter…). Lorsque le blizzard déferle subitement sur la colonie, le chef se met en effet à crier « Share the cold! Share the cold. Each must take his turn against the icy blast... » (« partagez le froid ! partagez le froid ! Chacun doit prendre son tour contre le souffle de glace »). Il est vrai qu’il a été mis en évidence que ce ne sont pas toujours les mêmes individus qui se retrouvent à l’extérieur de la tortue, et donc sont les plus exposés au froid. Il y a une rotation, et un individu se retrouvera tantôt au centre, tantôt en bordure du groupe. Cependant, il semble peu probable qu’un individu bien au chaud au milieu décide de céder gracieusement sa place à un pauvre manchot mort de froid qui ne lui est probablement même pas apparenté. Il apparaît plutôt que les manchots vont simplement réagir au vent, et les plus exposés finiront par en avoir marre et iront se placer de l’autre côté de la formation, exposant ainsi les manchots qu’ils protégeaient auparavant…
 


Dernier exemple pour les comportements de lutte contre le froid, juste parce que quand même y’en a qui ont trouvé la solution miracle en s’offrant plaisir et détente de surcroît : petit détour chez les macaques japonais (Macaca fuscata). Ce macaque est le plus nordique de tous les primates, ce qui l’oblige à résister à des températures souvent négatives. Il est évidemment doté de particularités facilitant cette vie dans le froid, notamment une belle fourrure bien épaisse. Mais ces singes ont dégotés une source de chaleur de substitution qui n’a rien à envier aux inventions humaines : ils se réchauffent en se baignant dans des sources thermales naturelles, des bains dont la chaleur a une origine volcanique. D’ailleurs, si vous avez déjà eu l’occasion de visionner un reportage sur ces animaux, vous avez peut être été marqués par leur manque de courtoisie. Leur système social fonctionne, comme souvent chez les macaques, sur une hiérarchie bien déterminée. Seuls les dominants, ainsi que leurs petits, ont le droit de paresser tranquillement dans le bain de chaleur bienfaisante. Les autres, quand bien même issus de la même troupe, sont recalés transis sur les bords, profitant à peine des quelques effluves de chaleur de la source. Qu’ils essaient de prendre la place des dominants, et ils se feront sévèrement réprimandés. C’est que les dominants n’aiment pas être sérés dans leur bain…

Des macaques japonais (Macaca fuscata) se prélassent dans une source d’eau chaude. (Sources 1, 2)

Dernier grand type d’adaptations au froid que je veux vous évoquer, mais loin d’être le moindre : les adaptations d’ordre physio-anatomique. J’en avais évoqué deux au début de l’article, concernant l’être humain : frisson et vasomotricité. Il existe bien d’autres particularités, plus au moins répandues au sein du règne animal. Tout d’abord, les propriétés morphologiques permettant d’isoler l’animal, telles que les plumes ou les poils notamment, peuvent être améliorée par un phénomène de piloérection. Cela signifie que les structures, poils et plumes, vont se redresser. Chez l’humain, on parle de chair de poule. Cependant, poilus comme nous sommes, le résultat est assez décevant… Mais chez certains animaux, c’est un phénomène qui permet de conserver leur chaleur corporelle, en améliorant le système dont je vous avais parlé plus haut : des poils dressés permettent simplement l’emprisonnement d’une plus importante couche d’air.

Comme beaucoup d’oiseaux, le bruant à gorge blanche (Zonotrichia albicollis) est capable d’hérisser ses plumes pour augmenter la couche d’air qu’elles emprisonnent (Sources 1, 2)


En dessous de la peau, les vaisseaux sanguins s’adaptent aussi à la température extérieure, notamment grâce à cette vasoconstriction des vaisseaux les plus externes dont je vous avais parlé chez l’humain. Mais ce n’est pas la seule particularité des vaisseaux. Une disposition particulière permet de faire des miracles quand il s’agit de sauvegarder la chaleur corporelle. Quand j’ai évoqué les manchots, j’ai dit que la formation en tortue permettait que seul le haut de leur corps soit exposé au froid. Ce n’est pas tout à fait vrai. Qu’ils soient en formation ou chacun dans leur coin, les manchots ont toujours un point de contact indéniable avec le froid, simplement au niveau de leurs pattes ! Bin oui, de toute façon ils ne savent pas voler et au pôle sud ce n’est certainement pas dans les arbres qu’ils vont se réfugier… Ces oiseaux sont donc constamment debout sur de la glace, et donc à priori ils devraient progressivement évacuer toute leur chaleur par le bas. Mais c’est sans compter la disposition de leurs vaisseaux. Vous avez tous remarqué que la chaleur se transmet. Autrement dit, posez un objet froid conte un objet chaud et il se réchauffera. Ainsi, dans les pattes de nombreux animaux, ainsi que dans d’autres structures évidemment, veines et artères sont accolées. Si bien que quand le sang chaud descend vers l’extrémité des pattes, il est au contact du sang refroidit qui lui remonte. Ce contact fait que la chaleur du sang des artères se transmet dans les veines, réchauffant progressivement le sang qui remonte dans le corps de l’animal. Un système on ne peut plus simple qui aboutit à un gradient de chaleur du corps vers les extrémités.
 
A gauche, une patte de manchot empereur. A droite, système d’échange de chaleur en U dont disposent, dans leurs extrémités, des animaux exposés au froid

Les organismes constamment exposés au froid ont également des adaptations d’ordre moléculaire. Ainsi, ils disposent d’enzymes adaptées, dont l’activité est assurée à de basses températures. Si les organismes ne sont exposés que périodiquement au froid, le métabolisme peut s’adapter en diminuant. J’en ai parlé plus haut avec l’hibernation. Les mammifères hibernant ont d’autres adaptations physiologiques leur permettant de résister au froid, et notamment une importante proportion de « graisse brune». Ce tissu adipeux particulier, présent chez beaucoup de petits mammifères et augmentant avec l’arrivée du froid, dispose d’un rôle thermogénétique. Autrement dit, il sert à produire de la chaleur via une oxydation des acides gras qu’il contient par les mitochondries. Je ne rentre pas plus dans les détails, mais les curieux peuvent aller jeter un coup d’œil sur le blog de JP Colin.
 
Disposition des principaux amas de graisse brune chez les petits mammifères hibernant



Et pour les températures négatives ?


Saviez-vous qu’en certaines parties du globe, l’eau des océans est inférieure à 0°C ? Et que malgré cette température, des animaux y survivent ? Petit point d’abord sur les différents états de l’eau. Comme on vous l’a appris à l’école, l’eau bout à peu près à 100°C et gèle en dessous de 0°C (je dis à peu près car cela dépend également de la pression atmosphérique). Pas de problème jusque là, ce sont même ces propriétés qui ont permis de créer l’échelle des degrés Centigrades, très proche de l’échelle des degrés Celsius (hé bien oui, à pression standard, l’eau bout précisément à 100 degré Centigrades mais à seulement 99,975 degré Celsius !). Cependant, vous savez aussi sans doute qu’en mettant un peu de sel dans l’eau des pâtes, ça bout plus vite ! La belle aubaine. Comment ? En diminuant le point d’ébullition. Concrètement, de l’eau plus concentrée (ici en sel) se met à bouillir à une température plus basse. C’est également le même principe lorsqu’on répand du sel sur les routes en hiver : l’eau se transforme en glace à une température plus basse que 0°C. Tout ça pour dire quoi ? Ha oui, que l’eau de mer étant salée, il n’est pas étonnant qu’elle puisse descendre en dessous de 0°C sans geler ! Des créatures aquatiques (appelons les « poissons » pour la compréhension générale de tout un chacun…) peuplent donc ces milieux frigorifiques, et ils ont tout intérêt, eux, à ne pas geler ! Ils disposent alors de protéines spéciales, qui leur permettent d’abaisser leur point de congélation : des glycoprotéines antigel. Ces protéines fonctionnement en empêchant la fixation de molécules d’eau sur des cristaux en formation.
 
D’autres animaux en revanche sont tout simplement capable de supporter le gel. Par exemples, les organismes qui vivent dans la zone de balancement des marées sont dans l’eau à marée haute mais se retrouvent exposés à l’air à marée basse, à des températures qui peuvent être fortement négatives. A ce stade, l’eau de leur corps peut être gelée à 90%. Et comme seulement l’eau gèle, et non les particules qui y sont dissoutes, le milieu interne non encore gelé est de plus en plus concentré, ce qui empêche une partie de geler (la même histoire que le sel juste au dessus). La protection des membranes cellulaires peut être assurée par des composés, tel que le glycérol, présent en forte concentration chez certains insectes et qui permet également d’abaisser le point de congélation.
 
Pour les curieux et courageux qui auront eu le courage d’aller jusqu’au bout de cet article, je termine en parlant d’un champion toutes catégories qui est aussi une de mes bébêtes préférées : le tardigrade. Cette minuscule bestiole, surnommée « ourson d’eau » en raison de son apparence, cumule les titres en matière de survie : résistance aux radiations, à la déshydratation, aux produits toxiques, et même au vide intersidéral ! Hé bien oui, lâchés dans l’espace, beaucoup survivent ! Ces bestioles sont aussi capables d’être actifs à des températures très négatives (allez donc leur faire un petit coucou au Groenland !), mais aussi de survivre à une température proche… du zéro absolu (Persson et al. 2011), soit -273,15 °C ou autrement dit, la plus basse température qui puisse exister dans l’univers ! Si après ça vous ne vous sentez pas ridicule question résistance au froid…

Un tardigrade, petit animal qui peut se targuer de résister à bien des situations extrêmes. (Source)


Bibliographie


Geiser, F. 2004. Metabolic rate and body temperature reduction during hibernation and daily torpor. Annual Review of Physiology, 66, 239-74.
 
Persson, D., Halberg, K.A., Jørgensen, A., Ricci, C., Møbjerg, N. & Kristensen, R.M. 2011. Extreme stress tolerance in tardigrades: surviving space conditions in low. Journal of zoological systematic and evolutionary research, 49, 90-97.
 
Pitkow, R.B. 1960. Cold Death in the Guppy. Biological Bulletin, 119(2), 231-245.


Sophie Labaude

Les lions : ce que vous n'apprendrez pas dans les documentaires

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Les lions font partie des animaux chouchous du public, et le nombre de documentaires à leur sujet en dit long. Souvent attendrissantes, parfois étonnantes, les images nous montrent la plupart du temps la vie d’une jolie petite troupe, entre naissances, parties de chasse trépidantes et batailles entre mâles dans la force de l’âge… Côté scientifique, les lions ne sont pas en reste non plus et ont fait l’objet d’un grand nombre de publications, dévoilant souvent d’autres vérités moins connues… et pourtant tout aussi intéressantes ! Un petit échantillon pour vous le prouver ?

 Attendrissante scène de famille entre un lionceau et son père (Source)



Les lions mangeurs d’hommes font parler les scientifiques


Si deux lions peuvent se targuer d’une sinistre célébrité, ce sont bien eux. « Le fantôme » et « les ténèbres », comme ils ont été surnommés, sont les héros des films « The Ghost and the Darkness » (1996), et « Bwana Devil » (1952), qui est tout de même le premier long métrage sorti en 3D couleur de l’histoire du cinéma. Ces films racontent l’histoire vraie de deux fauves qui ont créé la panique en 1898 lors de la construction d’une voix ferroviaire, en dévorant entre 30 et 130 travailleurs, selon les sources. Abattus par John Henry Patterson, qui a d’ailleurs écrit le livre « The Man-Eaters of Tsavo » (Les mangeurs d’hommes du Tsavo) ayant inspiré les films, les deux cadavres ont été conservés et l’occasion était trop belle pour les scientifiques de manquer de les étudier ! Plusieurs questions se posent : Les deux lions mangeaient-ils tous les deux les humains ? Etait-ce leur seule source de nourriture ? Combien de travailleurs avaient réellement été tués ? Des questions un peu farfelues étant donné que les lions sont décédés il y a plus d’un siècle… Si des macchabées pouvaient sortir de leur sommeil éternel pour nous raconter leurs derniers meurtres, ça se saurait ! Non ? Et pourtant… Les atomes qui forment le corps de nos lascars proviennent de leur nourriture. Or, en étudiant la composition en isotopes des différentes parties de leur corps, on peut déterminer à quelle espèce ces atomes ont été prélevés. En somme, vous êtes ce que vous mangez ! Et comme les différentes parties du corps ne se construisent pas toutes en même temps, la composition de nos dents et os permet de déterminer des régimes de longue durée, tandis que celle de nos poils renseigne de nos derniers repas. L’équipe de Yeakel (2009) a ainsi pu mette en évidence que les lions avaient un régime alimentaire classique avant de tourner mangeurs d’hommes, et qu’un des deux était deux fois plus avide de chair humaine que l’autre. Quand aux estimations, 35 hommes auraient été mangés, avec une marge (l’intervalle de confiance à 95% pour ceux à qui ça parle) allant de 4 à 72 victimes.


Les deux lions mangeurs d’hommes du Tsavo, de leurs petits noms « lion FMNH 23970 » (A) et « lion FMNH 23969 » (C). Le crâne du premier (B) présente, entre beaucoup d’autres défauts cités par les auteurs, une fracture de la canine inférieure droite et des incisives inférieures en moins. L’autre crâne (D) révèle une fracture de la carnassière supérieure qui provoque une exposition de la pulpe. Illustration issue de Yeakel et al. (2009).


D’autres articles scientifiques existent sur les lions mangeurs d’hommes. Certains font preuve d’un délicieux lyrisme quand il s’agit de décrire les sordides attaques des assassins. Baldus (2006) écrit ainsi à propos d’un lion ayant tué plus d’une trentaine de personnes en Tanzanie : « Parfois, il tuait deux personnes à l'intérieur d'une hutte, mais laissait toujours la seconde derrière, dans un cas sur le toit. […] L'animal a été signalé comme étant extrêmement prudent. Il se serait toujours déplacé à couvert, le plus souvent durant des nuits obscures et sans lune. […] Si le lion avait le temps, il faisait glisser sa victime plus loin pour dévorer le cadavre, y compris les intestins, mais en laissant la tête, les bras et les jambes » (traduction personnelle).

Certains chercheurs essayent de comprendre « pourquoi » les lions se mettent à manger des hommes. Toutes les pauvres bêtes des études que je viens de citer présentaient ainsi des problèmes dentaires (voir photo précédente)... Packer et al. (2005) propose plus simplement l’effet de l’augmentation de la densité humaine pour expliquer le nombre grandissant d’attaques depuis les années 1990, et nous présente une carte représentant la distribution de plus de 800 attaques depuis cette année là en Tanzanie… Eventuellement une idée des points chauds à éviter durant le prochain voyage touristique !
 
 
 Répartition des attaques de lions en Tanzanie depuis 1990 et nombre d’attaques par année. D’après la publication de Packer et al. (2005)

Des spermatozoïdes anormaux dans le Ngorongoro


En Tanzanie, le cratère du Ngorongoro se targue d’être une des plus grandes caldeiras du monde (un ancien volcan affaissé pour faire simple), avec un diamètre de plus de 20 Km ! Pour l’avoir foulé de mes propres pieds, je peux affirmer qu’il constitue sans conteste une réserve naturelle absolument magnifique, regorgeant d’une richesse faunistique éblouissante. En tant que cratère, l’écosystème qu’il abrite reste très fermé au milieu extérieur, ce qui constitue à la fois sa force et sa faiblesse. Les lions du Ngorongoro sont très bien étudiés depuis de nombreuses années, à tel point qu’il n’est pas un lion dans le cratère qui n’ait pas sa fiche d’identité. Les chercheurs sont en effet capables d’identifier chaque individu, grâce notamment grâce à des marques naturelles et les cicatrices de leurs faces et oreilles (Munson et al. 1996). Il faut dire que la particularité de l’endroit permet une étude inédite sur les effets de la consanguinité. En effet, les lions qui entrent dans le cratère sont bien rares, et n’ont simplement aucune chance de trouver un territoire libre, le cratère présentant la plus haute densité de lions d’Afrique (Heinsohn 1997). De plus, la population a subit en 1962 une hécatombe après l’invasion de la mouche Stomoxys calcitrans, aux morsures particulièrement affaiblissantes, réduisant la population a neuf femelles et un seul mâle (Packer et al. 1991). Après la migration de sept mâles venus de l’extérieur, plus aucune entrée n’a été enregistrée dans le cratère durant les 25 années suivantes, alors que la population est rapidement remontée en effectifs. Des simulations sur ordinateurs suggèrent même que la population pourrait avoir subit un autre goulot d’étranglement antérieur à 1962 (Packer et al. 1991). Une population en somme bien consanguine ! Et comme souvent, la consanguinité s’accompagne d’une perte de variabilité génétique et d’une augmentation d’anormalités physiologiques comparé à d’autres populations. Nos lions n’échappent pas à la règle, notamment dans certains traits affectant leur reproduction. Ils présentent ainsi une concentration en testostérone trois fois plus faible que leurs homologues du Serengeti (Wildt et al. 1987), une histo-morphologie des testicules affectée : moins de tubes séminifères (là où se forment les spermatozoïdes), moins de spermatides (les futurs spermatozoïdes) et moins de volume testiculaire (Munson et al. 1996), ainsi qu’un haut niveau d’anormalité des spermatozoïdes (Wildt et al. 1987). Entre tête trop grosse ou trop petite, double flagelle ou double tête et diverses déformations, ce sont au total 50% des spermatozoïdes qui sont affectés !
 
Quelques spermatozoïdes des lions du cratère du Ngorongoro : normal (a), surenroulement du flagelle (b), manque de mitochondrie (c), acrosome anormal et mauvaise disposition de la pièce intermédiaire (d), macrocéphalie avec acrosome anormal (e), microcéphalie avec manque de mitochondrie (f), flagelle tordu (g), et cou tordu avec résidu cytoplasmique (h). Photo issue de Wild et al. (1987).


Des lionnes à crinière et des mâles qui en sont dépourvus


La crinière du lion, cette magnifique couronne qui le proclame roi des savanes, est un des caractères secondaires des plus évidents pour différencier mâles et femelles. D’une longueur et d’une noirceur variables, elle renseigne même les congénères (et les scientifiques) sur d’autres paramètres. West et Packer (2002) ont ainsi pu montrer que le niveau de noirceur de la crinière donne une indication de l’état de nutrition du mâle, ainsi que de son niveau en testostérone, ce qui aurait une influence à la fois sur le choix des femelles (dans une troupe comptant plusieurs mâles, les femelles qui ont la possibilité de choisir leur amant se tourneront vers celui qui a la crinière la plus sombre), mais également sur la compétition entre mâles (mieux vaut éviter de se battre avec les mâles à crinière trop noire…). Les deux scientifiques ont également mis en évidence que la longueur de la crinière était un signal des succès au combat du mâle, et influencerait également la compétition entre mâles. En plus de ce rôle communicatif, la crinière est également variable selon les saisons, les années et les habitats.
 
Si la crinière est ainsi variable selon l’endroit, nul particularité n’égale celle observée dans le parc du Tsavo. Tiens, ça ne vous dit rien ce nom ? Mais si, c’est de là que provenaient nos deux lascars mangeurs d’hommes ! Ce n’est pas pour rien si j’ai pris la peine d’afficher leur photo… Et si nos deux compères s’affichent sans crinière, ce n’est certainement pas parce qu’ils ont été scalpés. Comme de très nombreux lions du Tsavo, ils sont simplement dépourvus de crinière. Kays et Patterson (2002) ont voulu vérifier à quel point ce caractère était répandu. Ils se sont donc mis à attirer les lions grâce à des enregistrements d’un jeune buffle mourant. La technique pourrait paraitre un brin sadique mais elle est communément utilisée. Elle s’avère même être efficace pour réaliser des comptages de lions (Kiffner et al. 2007). Kays et Patterson ont ensuite donné un score à tous les lions qui se sont approchés, selon la disposition et l’importance de leur crinière. Résultat : aucun des 87 lions identifiés n’avais une crinière à proprement parler, et le score moyen atteignait 15, une crinière normale ayant pour valeur 81 (voir schéma ci-dessous)…
 
Une crinière normale et une crinière typique du Tsavo. Chaque légende correspond à une zone à laquelle les auteurs ont attribué des scores de 0 à 3 selon la longueur, la couleur et l’épaisseur de la crinière. Le score maximal (9 zones obtenant 3 scores de 3) est égal à 81. En moyenne, les lions du Tsavo obtiennent un score de 15. Image et données de Kays et Patterson (2002).
Photos de lions du Tsavo à crinière éparse ou inexistante (Kays et Patterson, 2002)

Les chercheurs essaient bien de donner des explications à cet étrange phénomène : l’importance de la végétation ou la chaleur pourraient donner l’avantage à des mâles dépourvus de crinières, si tant est que ce caractère (ou absence de caractère) ait évolué pour ses bénéfices et non par hasard. La présence d’une graine particulièrement collante à la crinière (Pupalia lappacea) pourrait également intervenir, les lions s’arrachant littéralement les poils en voulant les enlever… A noter que d’autres lions sans crinière existent, même s’ils sont nés avec : une perte intégrale de la crinière a par exemple déjà été observée des suites d’une castration.

Pour en finir avec la crinière, des photos et articles circulent actuellement sur le net faisant état de femelles avec une belle crinière. Si je n’ai pu trouver aucun article scientifique à ce sujet, l’info ne semble pas inventée. A vérifier donc ! En attendant, certaines photos restent assez convaincantes. Décidemment, même chez les lions c’est la révolution des genres !
 
Une lionne pourvue d’une crinière qui n’a rien à envier aux plus beaux mâles (Source)


Mœurs et morphologies inhabituels


A l’image des crinières, beaucoup de ce qu’on croit connaitre sur les lions n’est pas vrai pour tous les lions. De nombreuses variations comportementales, morphologiques, anatomiques ou encore physiologiques existent à l’état sauvage comme en captivité.
 
Commençons par la captivité. Saviez-vous qu’un lion élevé dans un zoo aura un cerveau plus petit qu’à l’état sauvage ? Une diminution comprise entre 3,5 et 10,5 % du volume crânien selon l’équipe de Yamaguchi (2006) qui s’est chargée de mesurer consciencieusement les crânes de 370 lions. Une différence qui serait bien due à la captivité en elle-même, et non aux conséquences de la consanguinité qu’elle implique souvent, puisqu’un lion né à l’état sauvage et élevé dans un zoo présentera également un cerveau plus petit. La consanguinité a pourtant bel et bien, elle aussi, des effets délétères. Prenez les lions blancs par exemple. Ces lions présentent un allèle mutant récessif qui leur confère une couleur allant du blond au blanc (il ne s’agit pas d’albinisme). Les adultes de ce type sont rares à l’état sauvage, d’autant plus qu’ils sont plus repérables par les proies et par les prédateurs lorsqu’ils sont lionceaux… Mais les humains sont avides de rareté (voyez ici), et on trouve des lions blancs à foison en captivité. Ce désir a un prix, et il est rude pour les lions. Dans un seul zoo par exemple ou des parents blancs ont donné naissance a 19 lionceaux, un seul a survécu jusqu’à l’âge adulte ! Parmi les autres, 4 sont mort-nés, 13 sont morts durant leur premier mois et le dernier a du être euthanasié à cause de son incapacité à saisir la nourriture. Une publication parue dans un journal vétérinaire (Scaglione et al. 2010) présente toutes leurs malformations à grand renfort de photos plutôt morbides… Entre troubles du comportement et multiples malformations au niveau du crâne, les effets de la consanguinité se font ressentir plus que jamais.

Le crâne d’un des lionceaux blancs présente ici une mâchoire atrophiée avec un biais d’alignement entre la mandibule (mâchoire inférieure) et l’incisive supérieure. Photo issue de Scaglione et al. (2010)
 
Toujours en captivité mais de manière un peu plus réjouissante, les lions du zoo d’Addis-Abeba (Ethiopie) présentent une apparence unique en son genre. A tel point qu’ils ressemblent aux lions de Barbarie ou de lions du Cap, des sous-espèces qui ne sont aujourd’hui plus reconnues. Si Tefera (2003) avait consacré une publication à leur pure description (crinière très sombre et étendue, petit corps…), une étude très récente vient de mettre en évidence que cette population est distincte également du point de vue génétique (Bruche el al. 2012).
 
Un des fameux lions du zoo d’Addis-Abeba, en Ethiopie (Source)

A l’état sauvage, des variations de comportements sont observées entre les populations. Par exemple, les lionnes du Ngorongoro sont plus agressives que celles du Serengeti. L’étude de Heinsohn (1997) consistait à passer des enregistrements de rugissements de troupes de lionnes. Il a pu montrer qu’une troupe était capable de compter ses opposantes au son des rugissements, et qu’elle ne s’en approcherait qu’à condition que les rivales soient moins nombreuses. Sauf les lionnes du cratère du Ngorongoro qui réagissent à tous les coups, même lorsque leurs chances de vaincre l’adversaire sont faibles compte tenu de leur nombre. Cette agressivité pourrait s’expliquer par la difficulté de trouver un territoire dans le cratère : les lionnes qui en ont un le défendent alors coute que coute !
 
En ce qui concerne les variations d’apparence, j’ai évoqué les plus spectaculaires plus haut : crinières et blanc pelage ! Mais d’autres différences existent. Les lions du Ngorongoro sont par exemple plus gros qu’à l’extérieur du cratère (Heinsohn 1997). Dans la même catégorie, vous avez peut être croisé ces derniers temps sur le net les magnifique photos de lions noirs ! On parle de mélanisme, ce qui correspond à une très forte abondance de pigments noirs. Hé bien jusqu’à preuve du contraire, ces lions ne sont que pure invention ! Si vous en doutez, vous trouverez ici les célèbres photos avec leurs originales non retouchées. Mais maintenant que vous avez lu cet article, vous conviendrez sans doute qu’il n’est nul besoin d’invoquer des génies de Photoshop pour impressionner les foules : les lions disposent naturellement de leur florilège de particularités !
 
Un lion mélanique, qui n’existe que dans l’imagination de ses créateurs ! (Source)



Bibliographie


Baldus, R. D. 2006. A man-eating lion (Panthera leo) from Tanzania with a toothache. European Journal of Wildlife Research, 52, 59–62.

Bruche, S., Gusset, M., Lippold, S., Barnett, R., Eulenberger, K., Junhold, J., Driscoll, C. A. & Hofreiter, M. 2012. A genetically distinct lion (Panthera leo) population from Ethiopia. European Journal of Wildlife Research. DOI 10.1007/s10344-012-0668-5.

Heinsohn, R. 1997. Group territoriality in two populations of African lions. Animal behaviour, 53, 1143–7.

Kays, R. W. & Patterson, B. D. 2002. Mane variation in African lions and its social correlates. Canadian Journal of Zoology, 478, 471–478.

Kiffner, C., Waltert, M., Meyer, B. & Mühlenberg, M. 2007. Response of lions (Panthera leo LINNAEUS 1758) and spotted hyaenas (Crocuta crocuta ERXLEBEN 1777) to sound playbacks. African Journal of Ecology, 46, 223–226.

Munson, L., Brown, J.L., Bush, M., Packer, C., Janssen, D., Reiziss, S.M. & Wildt, D.E. 1996. Genetic diversity affects testicular morphology in free-ranging lions (Panthera leo) of the Serengeti Plains and Ngorongoro Crater. Journal of Reproduction and Fertility, 108, 11-15.

Packer, C., Pusey, A. E., Rowley, H., Gilbert, D. A., Martenson, J., & O’Brien, S. J. 1991. Case Study of a Population Bottleneck: Lions of the Ngorongoro Crater. Conservation Biology, 5, 219–230.

Packer, C., Ikanda, D., Kissui, B. & Kushnir, H. 2005. Lion attacks on humans in Tanzania. Nature, 436, 927-928.

Scaglione, F. E., Schröder, C., Degiorgi, G., Zeira, O., & Bollo, E. 2010. Cranial malformations in related white lions (Panthera leo krugeri). Veterinary pathology, 47, 1095–9.

Tefera, M. 2003. Phenotypic and reproductive characteristics of lions (Panthera leo) at Addis Ababa Zoo. Biodiversity and Conservation, 12, 1629–1639.

West, P. M. & Packer, C. 2002. Sexual selection, temperature, and the lion’s mane. Science, 297, 1339–43.

Wildt, D.E., Bush, M., Goodrowe, K.L., Packer, C., Pusey, A.E., Brown, J.L., Joslin, P. & O'Brien, S.J. 1987. Reproductive and genetic consequences of founding isolated lion populations. Nature, 329, 328–31.

Yamaguchi, N., Kitchener, A. C., Gilissen, E., & Macdonald, D. W. 2009. Brain size of the lion (Panthera leo) and the tiger (P. tigris): implications for intrageneric phylogeny, intraspecific differences and the effects of captivity. Biological Journal of the Linnean Society, 98, 85–93.

Yeakel, J. D., Patterson, B. D., Fox-Dobbs, K., Okumura, M. M., Cerling, T. E., Moore, J. W., Koch, P. L., & Dominy, N. J. 2009. Cooperation and individuality among man-eating lions. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 106, 19040–3.
 

Sophie Labaude
 

Plus imposant que Facebook et surtout incontournable, les réseaux écologiques!

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Ça fait quelques temps que je n'ai pas publié d'articles sur le blog, et pour cause, depuis un peu plus de 3 mois, j'ai commencé une thèse dans un super laboratoire de la Franche-Comté (le comté, la cancoillote, le mont d'or et la saucisse sont devenus mon quotidien ;) ). Lorsque mes amis me demandent sur quoi je travaille, ils restent bloqués quelques secondes quand je leur énonce le titre de ma thèse.... Ils ne comprennent pas tout. Faisons un petit essai: "Modélisation du réseau trophique microbien des tourbières à Sphaignes".... Alors? Sur quels mots avez-vous coincés?A mon grand étonnement, ce n'est pas le mot "modélisation" qui pose problème le plus souvent, mais l'expression "réseau trophique". En fait, ça fait tellement longtemps que je fais de l'écologie qu'elle me parait pleine de sens et j'en ai vite oublié que ça n'était pas le cas pour tout le monde. 
Donc voilà une petite explication de ce que sont les réseaux trophiques, et les réseaux écologiques de façon générale.



Les relations entre l’ensemble des être vivants de la planète sont structurées au sein de réseaux écologiques.  Vous vous demandez ce qu’est un réseau écologique ? 
Un réseau, vous savez ce que c’est… Facebook, tweeter sont des réseaux sociaux, Viadeo, LinkedIn des réseaux socio-professionnels, votre club de foot, de rugby, de yoga ou de tennis constitue votre réseau sportif, et votre famille et vos amis appartiennent à votre réseau proche. Avec tous ces exemples, vous aurez compris qu’un réseau c’est une toile constituée d’éléments (dans mes exemples, les éléments sont des personnes) reliés entre eux.

Le réseau Facebook mondial par Paul Butler
Mais alors un réseau écologique c’est quoi ? 
Un réseau écologique repose sur les relations écologiques. Les relations écologiques sont toutes les interactions positives, négatives ou neutres qui existent entre les espèces d’une communauté au sein d’un environnement donné. Les interactions positives peuvent être par exemple des symbioses ou du mutualisme et les interactions négatives sont la plupart du temps de la prédation, du parasitisme et de la compétition. Ainsi trois types de réseaux font plus particulièrement l’objet de recherche : les réseaux mutualistes (1% des recherches), les réseaux parasites (4% des recherches) et les réseaux trophiques (94% des recherches).
Illustration proposée par Elisa Thébault, Alix Sauve et Collin Fontaine pour la Chaire Modélisation mathématique et Biodiversité
De très récents travaux mêlent les deux types d’interactions positive et négative que sont respectivement le mutualisme et la prédation. Elisa Thébault et Colin Fontaine ont initié des travaux dans ce domaine en montrant en 2010 que le type d’interaction avait un impact sur la stabilité de la communauté.  (Pour en savoir plus, le blog Naked Science nous fait un point sur l’article publié dans Science).

Mais comme je l’ai précédemment mentionné, la plupart des réseaux écologiques étudiés sont des réseaux trophiques. Mais pourquoi ? Un réseau trophique est ce que le commun des mortels appelle une chaine alimentaire. Sauf que la notion de chaine suppose un schéma linéaire : Une ressource (une plante ou de la matière morte) mangé par un consommateur primaire, lui-même chassé et mangé par un prédateur plus gros. C’est ce que pensaient aussi les scientifiques au début des recherches dans ce domaine avant de se rendre compte de la complexité des communautés biologiques.
Un réseau trophique constitue un schéma plus complexe où chaque élément du réseau peut manger, être mangé par, et être en compétition avec plusieurs autres éléments.
D’autre part les réseaux trophiques sont présents dans tous les types de milieux, dans tous les environnements possible et imaginable, à partir du moment où il y a de la vie. Ils concernent tous les organismes donc peuvent être observés à différentes échelles d’observation, de l’échelle microscopique à l’échelle macroscopique.


Représentation d'un réseau trophique marin (source: Ifremer)

En milieu marin, le réseau est constitué d’algues, de micro-organismes comme le phytoplancton et le zooplancton, d’invertébrés divers, de poissons au régime alimentaire varié ainsi que d’espèces de niveau trophique élevé, c’est-à-dire qu’ils sont les consommateurs terminaux. Ces derniers constituent une impasse pour les flux de matière à l’exception de leur prédation par l’homme. A leur mort, ils se décomposeront et se transformeront en particules pour être à nouveau en partie disponible à la consommation par d’autres organismes.  



Schéma d'un réseau trophique présent à la surface du sol
Le réseau trophique du sol est étudié à l’échelle des micro-organismes (les bactéries et les champignons) et de la méiofaune (la faune de l’ordre de 1 à 100 mm) mais inclue également certaines espèces de rongeurs ou de petits mammifères (comme la taupe !). La source initiale de matière dans ces écosystèmes est constituée des végétaux et leur débris qui forment la litière ainsi que l’humus, couche superficielle du sol constituée à la fois de débris végétaux, de matière organique (c’est-à-dire composée de carbone) morte et de particules minérales très fines.



Représentation schématique du réseau trophique au sein de la communauté des micro-organismes de la tourbière (Source: Karimi)
Dans les zones humides telles que les tourbières, on peut trouver des communautés particulières et donc des réseaux trophiques associant des organismes habituellement aquatiques comme du microphytoplancton, des cyanobactéries ou des rotifères (une sorte de microzooplancton assez mignon … mais pour en savoir un peu plus, je vous renvoie au blog de Nicobola) et des organismes terrestres comme les plantes vasculaires et les champignons. Ils mêlent des espèces de tous les groupes du vivant, les bactéries, les protozoaires, les métazoaires et les plantes. On peut voir que les relations trophiques sont très nombreuses et ne permettent pas d’établir un schéma linéaire.

Tous ces réseaux sont étudiés de différentes manières par les chercheurs. Ils sont observés sur le terrain, c’est ce qu’on appelle le travail in situ. Ce type d’approche permet d’avoir une idée des principales relations trophiques liant les organismes d’une communauté. Suite à des échantillonnages, ils sont étudiés en laboratoire ou ex situ.Ces expériences permettent de quantifier plus précisément les relations, par exemple par des mesures d’ingestion et de taux de prédation ou des techniques d’isotopie (qui utilisent une version radioactive de certaines molécules pour pouvoir les suivre et les doser), ou d’identifier des interactions trophiques difficiles à observer in situ en utilisant des méthodologies de pointe telles que la méta-génomique, c’est-à-dire le séquençage de l’ADN du contenu du tube digestif (on peut ainsi identifier toutes les espèces consommées par un organisme). Enfin la dernière approche consiste à modéliser les réseaux trophiques grâce à toutes les informations qui ont été accumulées à leur sujet. Ce type de travail permet d’avoir une idée des flux de matière entre les espèces, du taux de recyclage des molécules dans le réseau, du nombre de chemins différents qu’une molécule peut emprunter dès son entrée dans le réseau, de connaitre l’efficacité de transfert de molécule d’un consommateur à son prédateur et plein d’autres renseignements sur le fonctionnement de la communauté. D’autres informations obtenues à partir du travail de modélisation concernent la stabilité de l’écosystème (c’est-à-dire si une perturbation le modifiera facilement ou alors s’il sera résistant aux perturbations) ou la redondance au sein de la communauté (en d’autres termes, est-ce que certaines espèces exercent la même fonction ?). On peut aussi mettre en évidence certains organismes à fonctions particulières qui peuvent fortement dépendre ou fortement modifier les autres organismes du réseau trophique ; ces organismes peuvent être appelés des organismes ingénieurs dans certains cas et des bio-intégrateurs dans d’autres cas. Mais quelque soit le rôle de chaque organisme, sa participation à un réseau trophique fait de lui un élément structurant de la communauté et un rouage du fonctionnement de l’écosystème.

Vous aurez compris que pour connaître ces structures complexes que sont les réseaux trophiques, des méthodes presque aussi complexes sont utilisées, mais rien n’est trop bien pour comprendre ce qui se passe sur notre petite planète !

Tout comme les réseaux trophiques, les réseaux mutualistes ou parasites sont complexes à étudier et à comprendre. Les flux étudiés ne sont plus des molécules fournissant de l’énergie mais d’autres types (par exemple, le pollen dans le cas de réseaux mutualistes plante-pollinisateur). Tous ces types de réseaux sont indispensables au bon fonctionnement des écosystèmes et à tous les services qu’ils peuvent nous rendre.




Les réseaux neuronaux: le cerveau, une source d'inspiration

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Cette semaine le café des sciences nous propose de parler du cerveau. Comme je vous ai récemment parlé de réseaux écologiques, j’ai décidé de rester dans la thématique des réseaux et de vous expliquer avec des mots simples ce que sont les réseaux neuronaux. Parce qu’en fait l’expression « réseau neuronal » est loin d’être explicite. Alors effectivement elle a des fondements biologiques en lien avec les neurones, mais en fait, ça n’a plus grand-chose à voir avec notre matière grise à proprement parler.


 Historiquement, les réseaux de neurones ont été mis en évidence par 4 chercheurs américains au cours des années 60. En 1968, ils publient « What the frog’s eye tells to the frog’s brain », un article qui décrit la structure neuronal chez la grenouille. Ils y expliquent aussi l’organisation du neurone et sa fonction au sein d’une structure complexe, les réseaux de neurones. A la suite de ces observations biologiques, les scientifiques ont schématisé un neurone en trois parties : les dendrites qui constituent les entrées de l’information créée par un stimulus, un corps où l’information est traitée, et l’axone qui représente la voie de sortie de l’information vers d’autres unités neuronales.

Représentation schématique d'un neurone formel


Ce schéma correspond à celle d’un neurone formel. A ce stade, on est tout juste à la jonction entre les réseaux neuronaux biologiques et les réseaux neuronaux mathématiques.
En effet, un neurone formel, c’est une représentation informatique et mathématique du neurone biologique. Un neurone formel, comme les neurones biologiques, ne traîne jamais seul. Les neurones formels sont regroupés en réseaux de neurones artificiels (voir la figure ci-dessous). Ces modèles mathématiques peuvent réaliser des fonctions complexes logiques ou arithmétiques comme en sont capables nos propres réseaux de neurones.  

Un réseau neuronal constitué d'enchaînements de neurones formels, branchés en parallèle. Et encore celui là est simple comparé à ceux qu'on peut trouver!
Alors vous allez me demandez pourquoi je vous ai dit un peu plus tôt que l’expression « réseaux neuronaux » n’était pas explicite ?

C’est parce que les réseaux neuronaux, au sens courant des scientifiques, sont un modèle de calcul qui sont à la fois utilisés comme applications statistiques et comme méthode d’intelligence artificielle (quoi de plus logique pour des neurones !).
Sans vouloir vous assommer avec des explications mathématiques bien trop complexes pour la biologiste que je suis, il est pourtant essentiel de préciser que l’élément révolutionnaire du modèle mathématique neuronal est l’apprentissage. C’est-à-dire que les paramètres du modèle vont s’adapter en fonction des différentes expériences auquel le modèle a à faire face au cours d’une application. En gros, le modèle mathématique va apprendre de ces expériences.

Trêve de maths ! Pour concrétiser un peu les choses voilà quelques applications possibles des réseaux neuronaux. Dans des domaines très variés, on peut les utiliser pour la classification automatique des codes postaux,  la prise de décision pour un achat boursier en fonction de l’évolution des cours, les paris pour les jeux de courses, le décodage de signaux de télédétection émis par les satellites, l’estimation de la valeur d’une entreprise, la modélisation de l’apprentissage et amélioration des techniques d’enseignement ou encore les prévisions météorologiques…
Concernant la biologie et l’écologie, les applications peuvent être aussi diversifiées :
- on peut utiliser les modèles de réseaux neuronaux pour connaître les doses de radioéléments à prescrire et le protocole d’administration au patient dans les traitements contre le cancer. Pour cela on utilisera les données sur des patients antérieurs de même morphologie et avec les mêmes caractéristiques vitales.
- pour prédire le comportement d’une espèce invasive à son introduction dans un milieu, on peut fournir au modèle de réseaux neuronaux les informations obtenues sur les cas précédents d’invasion par cette espèce, comme les paramètres d’extension de l’espèce (reproduction, survie, consommation…) et les caractéristiques du milieu d’accueil.
- les réseaux neuronaux pourront aussi permettre de connaître l’impact de la disparition d’une espèce au sein d’un habitat bien connu et décrit en termes de biodiversité, d’abondance d’espèces et de paramètres physico-chimiques.
- un exemple d’utilisation des réseaux neuronaux est la classification de taxon sur la base d’analyse ADN ou de caractères morphologiques.

Vu qu’on est justement sur un blog de biologie des organismes, je vais vous détailler un peu ce dernier exemple : Les  informations d’entrées dans le modèle de réseau neuronal doivent être numériques. C’est-à-dire qu’on va attribuer une valeur à tous les caractères comparés (morphologiques ou moléculaires) pour chaque taxon qui doit être classé. Le nombre de valeurs d’entrées n’est pas limitée, et plus il y en a, plus l’algorithme donnera un résultat robuste. Sur la base des similarités rencontrées entre chaque couple de taxon (duo, triplet, quadruplet….) le modèle statistique va être capable de produire en sortie, une classification unique dépendant des données d’entrée. En d’autres termes, ça veut dire que si on modifie une de ces données d’entrée ou alors qu’on apporte une information de plus, il réexaminera les relations entre les taxons pour confirmer ou invalider la classification précédemment proposée. La différence avec les autres méthodes de classification, c’est qu’elle garde en mémoire les relations entre tous les couples de taxon pour chaque caractère déjà exploré lorsqu’elle examine un nouveau caractère. Au final elle aura estimé toutes les relations inter-taxons pour chaque caractère et chaque interaction entre caractère. Cette méthode statistique permet également de savoir de quel taxon se rapproche le plus un organisme X sans nécessairement l’inclure dans la classification.

Je ne vous cache pas que les réseaux, et encore plus les réseaux neuronaux, c’est quelque chose d’assez ardu, mais ils ne sont qu’une pâle image de ce qu’on peut trouver dans la nature.

Pour les plus téméraires d’entre vous, voilà un article sur MSDN Magasine, bien plus technique que le mien, et qui aborde les dessous maths/info des réseaux neuronaux.

Références:
- Lettvin, J.Y., Maturana, H.R., McCulloch, W.S., & Pitts, W.H. (1959) What the Frog's Eye Tells the Frog's Brain,Proceedings of the IRE, Vol. 47, No. 11, pp. 1940-51.





Les plantes ont-elles un cerveau ?

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Thématique de la semaine au C@fé desSciences du 11 au 17 mars : cette fois ci, on parle du cerveau. Alors, me direz vous, qu’est ce que la botanique vient faire ici ? Après tout, le cerveau, c’est un truc de Métazoaires, non ?
Eh bien, pas si sur…

D’abord, il faut savoir que même si les plantes sont généralement fixées, elles ne sont pas dépourvues de capacité de mouvements, de manière plus ou moins spectaculaire. Tous ces mouvements sont la conséquence d’un ensemble de signaux qui traversent la plante, à l’instar des signaux transmis par les neurones chez les animaux.
Ainsi, quand on parle de mouvement chez les Végétaux, on a en tête par exemple les changements de position des plantes en pot en appartement qui semblent se diriger vers la lumière… comme si elles étaient attirées par elle. En réalité, la partie de la tige située du côté le plus sombre va subir une croissance plus rapide que la partie située à la lumière, ce qui aura pour conséquence une courbure de la plante vers la lumière. Pourquoi je vous parle de cela ? On n’était pas censé parler cerveau ? Attendez un peu… Si les plantes se comportent ainsi c’est qu’elles ont reçu un signal hormonal : à savoir celui provoqué par une petite molécule appelée auxine. L’auxine va être déportée vers le côté sombre de la plante et comme cette hormone enclenche des phénomènes de croissance, on observera une croissance différentielle de la tige et donc sa courbure.

D’autres mouvements plus spectaculaires ont lieu chez les plantes : c’est le cas chez les plantes carnivores du genre Dionaea dont le piège est capable de se refermer en 1/30ème de seconde sur l’insecte imprudent qui sera venu se poser dedans. Ce mouvement très rapide est dû à un courant ionique calcique qui se déclenche et a pour effet de changer l’acidité dans les cellules de la nervure centrale de la feuille (qui porte le piège). Ce changement provoque une fermeture du piège par différence de pression hydrostatique… et l’insecte est piégé ! (Barthlott et al. 2008)
Or, les courants ioniques sont à la base même des potentiels d’action présents dans les neurones des animaux et qui servent à transmettre l’influx nerveux. Chez les plantes, donc, on peut observer une analogie concernant la transmission quasi instantanée des signaux, bien que ce ne soient pas les mêmes mécanismes impliqués que dans le cerveau.

Une petite vidéo de la BBC One (en anglais), montrant la vitesse de fermeture des pièges chez la Dionaea.


Et ce n’est pas fini ! Les plantes sont donc capables de produire des signaux transmis rapidement à l’intérieur même de leur organisme, mais elles sont également capables de communiquer à distance avec d’autres plantes… et pas forcément des individus de la même espèce ! Ainsi, Heil et Karban (2009) expliquent que les plantes communiquent entre elles grâce à l’émission de COV (Composés Organiques Volatils) qui sont des molécules organiques complexes produites par les plantes lorsqu’elles sont blessées, sujettes à l’herbivorie et à la prédation. Dès que ces COV seront captés par d’autres plantes, pas encore agressées par les herbivores, les cellules de ces dernières vont produire des composés qui auront pour conséquence de rentre les feuilles non comestibles, voire carrément toxiques… tout ça alors que l’herbivore en question est encore loin.
Les plantes sont donc capables de communiquer entre elles à distance et surtout, elles sont capables de se comprendre et de réagir promptement à la menace de prédation.

Une dernière chose. Dans leur article de 2005, Baluska et al. observent un fonctionnement des cellules végétales similaire à celui des synapses des animaux : deux prolongements cellulaires, provenant de deux cellules différentes, qui échangent des molécules particulières : ce sont des molécules d’auxine, l’hormone dont j’ai parlé au début. Ces échanges rapides et à l’aide de vésicules (structures cellulaires permettant de libérer les auxines dans l’espace situé entre les deux prolongements cellulaires) ne sont pas sans rappeler le fonctionnement des synapses dans le cerveau. Ces signaux transmis par les auxines vont là encore permettre à la plante de réagir rapidement en cas de blessure, afin de « colmater la brèche » dans ses tissus par exemple.

Pour conclure, on peut dire que les communications complexes au sein d’un organisme ne sont pas l’apanage des animaux… et que même si les plantes ne possèdent pas de cerveau à proprement parler, elles n’en sont pas moins des êtres vivants capables de produire des signaux très rapides, améliorant leur propre survie !

Bibliographie

Barthlott W., Porembski S., Seine R., Theisen I., 2008, Plantes carnivores – biologie et culture. Editions Belin, Paris

Heil M. and Karban R. 2009. Explaining evolution of plant communication by airborne signals. Trends in Ecology and Evolution. Vol.25 No.3

Baluska F,Volkmann D and Menzel D. 2005. Plant synapses: actin-based domains for cell-to-cell communication. TRENDS in Plant Science Vol.10 No.3

Poisson d'avril ou pas ? A vous de deviner

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Pour le premier avril, poisson ou pas, nous vous avons réservé un petit jeu : nous avons tous ensemble rédigé 11 paragraphes à propos de faits extraordinaires concernant la biologie des organismes... Mais bien sûr certains sont faux quand d'autres sont vrais ! Saurez-vous faire la part du faux et du vrai ? Et nous expliquer pourquoi ?

Attention, pas de triche ! Je vous surveille (Source)

1) Des animaux qui ne respirent pas

Les loricifères sont de très étranges animaux microscopiques et marins vivant entre les grains de sables, découverts récemment dans les années 1970. Pendant longtemps aucun spécimen vivant n’avait jamais été observé, leur étude n’avait été faite que sur des animaux morts. Leur morphologie et leur cycle de vie complexe n’ont cessé d’impressionner les scientifiques pour de si petits animaux, mais ils avaient encore une surprise de taille : ce sont les premiers animaux découverts à être capable d’effectuer leur cycle de vie complet sans oxygène ! D’autres sont connus pour résister à son absence mais sans être capable de se reproduire sans. Mieux encore, ils auraient perdu leurs mitochondries, des organes cellulaires indispensables aux autres animaux et permettant la respiration ! Et coup de grâce, ce n’est pas moins de trois espèces dans ce cas qui ont découvertes en méditerranée !

Illustration d’un loricifère… Bonne tête pour un animal de moins d’un demi millimètre !  (Source)


2) Un nouvel espoir contre le VIH

L’Euphorbe Euphorbia stenoclada (présente dans le sud-sud-ouest de Madagascar) est utilisée traditionnellement contre l’asthme et les affections respiratoires. Des études récentes ont mis en évidence que les molécules produites par cette plante avaient la capacité de stopper l’infection des cellules par des pathogènes tels que les virus par exemple. En particulier, des cellules de fibroblaste humain, prétraitées à l’aide d’un extrait de cette plante, montraient des résistances inhabituelles au VIH. D’autres expériences sur les lymphocytes T4, cible directe du VIH, se sont montrées prometteuses ; et même des tissus infectés artificiellement en laboratoire puis traités par la Quercetine (cf fig. ci-dessous) ont montré une nette diminution de la virulence du VIH. Reste maintenant à savoir si cette molécule va se comporter pareillement au sein d’un organisme entier !


La molécule Quercetine, responsable de l'action anti-proliférante. D'après Chaabi et al. 2007, Journal of Ethnopharmacology)


3) Le son comme arme offensive

Les actinoptérygiens (à nageoire rayonnée, ils représentent la majeure partie de l'ancien groupe des "poissons") ont développé au cours de l'évolution un arsenal très divers d'armes offensives et défensives, qui vont d'épines empoisonnées à la production de chocs électriques. Une découverte récente chez une espèce de blennie du Pacifique ajoute la production de son à cet arsenal. Cette espèce a une mâchoire très mobile (visible sur la photo ci-dessous), reliée par un ensemble de petits os très fins (appelé appareil de Weber) à la vessie natatoire (organe rempli de gaz servant à la flottaison). L'ouverture en grand de la mâchoire fait jouer cet ensemble de petits os entre eux, produisant un son sec qui va ensuite être amplifié (à la manière d'une caisse de résonnance) par la vessie natatoire. La forme en parabole des mâchoires ouvertes permettra de concentrer le son produit, le rendant très puissant. Un son sec et puissant produira des vibrations dans l'eau qui peuvent causer des lésions importantes chez d'autres actinoptérygiens. Les chercheurs qui ont étudié ce mécanisme en ont déduit qu'il avait un double rôle d'attaque (immobilisation des proies) et de défense contre les prédateurs plus gros.


4) Une île aseptisée ?

Jusqu’il y a quelques mois, l’ensemble de la communauté des chercheurs en écologie s’accordait à dire que pour qu’un écosystème se maintienne, les micro-organismes (c’est-à-dire les bactéries, les archées et la plus grande partie des eucaryotes dont les champignons et les protozoaires) étaient indispensables, car ils effectuent des tâches indispensables au bon fonctionnement et à la stabilité dans tous les types d’écosystèmes. C’est sans compter la découverte effectuée début 2012 sur l’île de la Solitude (ou île Ouedineniïa) en mer de Kara au nord de la Russie! Des chercheurs de l’institut Vavilov (centre de recherche agronomique de Saint Pétersbourg) ont statué sur l’absence totale de microorganisme sur cette île. Bien que la région connaisse un climat plutôt rude, il n’y a en apparence aucune raison pour que cette île ait été débarrassée de toutes ces espèces microscopiques alors que les autres écosystèmes du Nord de la Russie comptent des millions d’espèces en tout genre. Les chercheurs ont en revanche pu observer des spécimens de végétaux et d’animaux qu’on pourrait classer comme macro-organismes. La seule présence de ces macro-organismes laisse penser que tout le petit monde microbien a été contre-sélectionné. La question en suspens est que s’est-il passé de particulier sur cette île pour que même les archées, organismes souvent extrêmophiles (capable de vivre dans des conditions très difficiles), aient disparues...



Situation géographique de l'île de la Solitude (source: Wikipédia)

5) Le "serpent de mer" existerait bel et bien

Des animaux marins gigantesques ressemblant à des serpents se retrouvent régulièrement dans les légendes de marins, à toutes les époques et partout dans le monde. Se pourrait-il que ces légendes soient inspirées d'observations réelles ? C'est ce que pensent les zoologistes Helmut Oelschläger et Tyson Roberts. Ils ont analysé des dizaines d'observations de "serpents de mer" au cours des 200 dernières années, certaines étant documentées par des photographies (voir ci-dessous), et en ont conclu qu'elles correspondaient à un organisme réel. Néanmoins la biologie et l'anatomie de cette espèce mystérieuse pouvant atteindre plus de 10 mètres restent à définir plus précisément.

Cette photo représente des soldats de la marine américaine avec un animal qui fut pris pour le légendaire Naga du delta du Mékong. Source

6) Une plante se nourrissant d’excréments de fourmis

Si les symbioses entre plantes et insectes sont chose courante, certaines sont plutôt atypiques. Prenez la plante Nepenthes bicalcarata, terrible carnivore à l’apparence de serpent, avec ses deux crochets au dessus de son piège mortel. Malgré sa dangerosité, des fourmis y ont élu domicile et lui apportent de surcroît des bénéfices. En effet, elles lui assurent une protection contre les herbivores, notamment pour les jeunes pousses. Mais mieux encore : des chercheurs français ont mis en évidence l’année dernière que les fourmis jouent aussi le rôle d’assistant alimentaire, en s’occupant de digérer les proies de la plante… et en lui fournissant ensuite leurs déjections. Un complément alimentaire riche en azote qui assure à la plante une bonne croissance.

Le piège de la plante carnivore Nepenthes bicalcarata (Source)


7) Evolution chimique du génome bactérien !

Pour un peu qu’on ait fait de la biologie au lycée, on sait que le code génétique est universel, c’est-à-dire que l’ensemble des êtres vivants possède un ADN composé de 4 éléments constitutifs appelés des nucléobases (l’adénine, la thymine, la guanine, et la cytosine). Il y a peu, une équipe internationale de chercheurs a réussi à créer et à sélectionner une nouvelle souche d’Escherichia coli (la fameuse bactérie modèle en science du vivant) dont le génome n’est pas constitué de ces 4 nucléobases mais où la thymine est remplacée par du chlorouracil. Cette modification au niveau de l’ADN est initialement due à une mutation apparue naturellement. Les chercheurs ont ensuite sélectionné les bactéries mutées en ne mettant à disposition dans le milieu que de l’adénine, de la guanine, de la cytosine et du chlorouracil pendant 164 jours afin d’obtenir une souche stable.Cette souche E. coli mutée est donc une exception à l’universalité du code génétique !


E.coli en 3D (source)

8) Le retour du pied préhensile chez l’humain ?

Les scientifiques ont récemment été confrontés à un cas d’atavisme plutôt atypique au Mexique : la naissance de deux frères partageant comme particularité d’avoir les gros orteils opposés aux autres doigts de pieds. Caractère partagé par tous les primates, les pouces opposables des pieds ont été perdus au cours de l’évolution chez les humains. Le phénomène de l’atavisme correspond à la réactivation d’un gène toujours présent dans notre ADN mais rendu muet par l’évolution. Des cas sont plus connus de réapparition de queue chez l’humain, ou encore de pattes chez des serpents. Les chercheurs sont parvenus à repérer le gène muté chez les deux frères, et seraient en mesure de reproduire la particularité artificiellement, ce qui pose cependant des problèmes d’éthiques. Ils ne sont actuellement pas en mesure de prédire si la descendance des deux frères partagera cette particularité.

Pied de chimpanzé et pied d'humain (Source)

9) De petits animaux jouant avec la mort 

Les tardigrades sont parfois connus des étudiants en biologie parcequ’ils sont adorables mais aussi pour leurs incroyables propriétés de résistance. Ces petits animaux de moins d’un millimètre de long se trouvent partout sur le globe. Vous pouvez en trouver dans les mousses. Ce qu’il y a d’incroyable c’est qu’ils peuvent rentrer en état dit de cryptobiose : lorsque les conditions de vies ne sont plus favorables ils « s’arrêtent de vivre » et reprennent leur vie active une fois les conditions nécessaires revenues. On sait qu’ils peuvent rester plusieurs décennies en cryptobiose. Mais des chercheurs ont retrouvé en décembre 2012 des tardigrades en cryptobiose depuis près de 1000 ans dans les lacs subglaciaux Antarctiques ! Bien sûr une très faible proportion est revenue à la vie, mais cela fait de ces rares petits survivants les individus animaux (et non pas colonies !) les plus vieux répertoriés ! 

A gauche, un tardigrade en état actif, à droite un tardigrade en cryptobiose. (Source :  Welnicz et al. 2011)

10) Somewhere... Over the rainbow ?

L’Eucalyptus Arc-En-Ciel Eucaylptus deglupta pousse aux Philippines. Cet arbre possède naturellement une écorce très colorée, suite l’exposition des tissus vieillissant au contact de l’air. En effet, l’écorce de cette plante se desquame progressivement, c'est-à-dire qu’elle s’effiloche vers l’extérieur au fur et à mesure de sa production. Les couches les plus jeunes se situent en dessous et sont vertes lors de leur formation. Elles sont remplacées progressivement par d’autres couches et vont changer de couleur au fil du temps, jusqu’à tomber au pied de l’arbre lorsqu’elles seront totalement desséchées. Comme l’écorce n’est pas produite de manière continue et intégrale aux différents endroits du tronc, elle ne vieilli pas de la même manière partout, d’où la présence de couleurs différentes.


Vue rapprochée de l'écorce de E. deglupta

11) Bombardements lumineux !

La bioluminescence n'aura pas fini de nous épater. Après les lucioles, les champignons, les requins, les dinoflagellés ou encore les ophiures, les vers sont également un groupe dans lequel on retrouve l'utilisation de la bioluminescence. Selon les espèces, la bioluminescence n'a pas la même fonction. Elle peut être utilisée comme moyen de répulsion contre des prédateurs, un moyen d'attraction pour attirer les proies, mais peut également servir à communiquer ou à se camoufler.
Swima bombiviridis est un annélide, un ver marin qui a été découvert très récemment (en 2009) à 1800 mètres de profondeur ! Sa particularité à lui c'est de faire peur à ses prédateurs, de les distraire en larguant des "bombes" bioluminescentes (d'où son nom) !

Le poisson de la vérité

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Cela fait maintenant 15 jours que le mois d’avril à commencé et donc ça fait 15 jours qu’on vous laisse dans le suspens concernant nos petites histoires du 1er avril. Avez-vous réussi à identifier les poissons d’avril de la vérité ?

On était pas les seuls blagueurs du mois d'avril (source)
 Pour tout vous dire, vous n’avez pas été si mauvais dans l’ensemble, puisqu’il y a tout de même eu 60% de bonnes réponses. Pour plus de détails, lisez la suite !

1) Des animaux qui ne respirent pas : VRAI (36% de bonnes réponses) - par Nicobola

Les loricifères sont les premiers animaux découverts à vivre en milieu totalement privé d’oxygène. Trois espèces ont été découvertes en 2010 dans les fonds anoxiques hypersalins de méditerranée. Ce sont les premiers animaux à être capable d’effectuer leur cycle de vie complet en milieu tout à fait anoxique. Les observations de coupes cellulaires n’ont pas permis jusque là de trouver de mitochondries mais ont mis en évidence des structures rappelant les « hydrogénosomes » présentes chez d’autres organismes que les animaux qui ont cellules à noyau (eucaryotes). Je reviendrai sur ces organismes fascinants bientôt dans un article qui leur sera partiellement consacré.

Danovar R., Dell’Anno A., Pusceddu A., Gambi C., Heiner I. et Kristensen R.M. 2010. The first Metazoa living in permanently anoxic conditions. BMC Biology, 8:30.

2) Un nouvel espoir contre le VIH : FAUX (27% de bonnes réponses) - par Boris

Malheureusement, il n’existe à ce jour aucun traitement contre l’action du VIH dans l’organisme. Même la trithérapie ne permet pas de guérir et d’éliminer le virus de l’organisme, mais uniquement d’en retarder et d’en limiter les effets.
En revanche, Euphorbia stenoclada existe réellement et est utilisée en médecine traditionnelle pour lutter contre les affections respiratoires. Pour plus de détails, le papier de Chaabi et al. (2007) montre comment le principe actif à l’origine des propriétés médicinales de cette plante a été caractérisé.

Chaabi M., Freund-Michel V., Frossard N., Randriantsoa A., Andriantsitohaina R., Lobstein A. 2007. Anti-proliferative effect of Euphorbia stenoclada in human airway smooth muscle cells in culture. Journal of Ethnopharmacology, 109(1)134-139

3) Le son comme arme offensive : FAUX (82% de bonnes réponses) - par Naldo

Ce comportement est imaginaire : aucun actinoptérygien ne chasse en utilisant le son. Mais il est basé sur des particularités réelles !
De nombreux actinoptérygiens (rappelons-le, ils représentent l'immense majorité de l'ancien groupe des "poissons") produisent des sons qu'ils amplifient à l'aide de leur vessie natatoire remplie de gaz. C'est le cas des grondeurs (famille des Haemulidae, voir ci-dessous) - qui frottent des dents situées au fond de la gorge pour produire une sorte de stridulation -, mais aussi des épinoches, des balistes, de certains poissons-chats... D'autres espèces produisent des sons en expulsant violemment du gaz de leur vessie par la bouche : ces "rots" peuvent s'entendre de très loin ! Enfin, certains actinoptérygiens produisent le son en faisant vibrer des muscles spéciaux directement situés dans la paroi de la vessie natatoire. C'est le cas des grondins (Triglidae) ou des poissons-crapauds (Batrachoididae, voir ci-dessous). Chez ces espèces, même la vessie natatoire disséquée est capable de produire un son !

Comme vous pouvez le constater, entre stridulations, grincements de dents, rots et bruits de tambour, les fonds sous-marins sont un endroit plutôt bruyant. L'expression "muet comme une carpe" est donc très loin de la vérité !
Les Haemulidae (Plectorhinchus lineatus, à gauche) font grincer leurs dents pharyngiennes pour produire des sons. Les Batrachoididae (Halophryne diemensis, à droite) font vibrer les muscles de la vessie natatoire.
Sources : 1, 2.
Le mécanisme de transmission du son que j'ai évoqué existe réellement, à ceci près qu'il ne sert pas à émettre un son, mais à mieux entendre. Cet ensemble de petits os fins formant une chaîne (appelé appareil de Weber) est dérivé des 4 ou 5 premières vertèbres. De la même façon que dans l'oreille moyenne des vertébrés (constituée d'os du crâne et de la mâchoire), cette modification du squelette permet de transmettre le son de manière très efficace. On trouve cet appareil de Weber chez la plupart des actinoptérygiens d'eau douce, comme la carpe, le piranha, le poisson-chat et l'anguille électrique.

Enfin, peut-être que certains se sont demandés quelle était cette bestiole extraordinaire sur la photo. Eh bien, il s’agit de la blennie du Pacifique Neoclinus blanchardi. Cette bouche ouverte extrêmement large n'est pas une parabole servant à concentrer le son, mais sert aux mâles au moment de la reproduction : celui qui a la bouche la plus large gagne les faveurs des femelles. Ce comportement est visible sur l'étonnante vidéo ci-dessous.


Demski L. S., Gerald J. W., Popper A. 1973. Central and peripheral mechanisms of teleost sound production. American Zoologist, 13(4): 1141-1167.


4) Une île aseptisée?FAUX (91% de bonnes réponses) - par Battle

L’île de la Solitude existe bel et bien en mer de Kara mais cette découverte n’y a jamais été faite. Nulle part d’autre d’ailleurs ! En effet, il parait peu probable qu’un écosystème puisse exister sans micro-organisme étant donné que les êtres vivants les plus résistants qu’on connaisse sont des micro-organismes. De plus, les micro-organismes bactériens, fongiques ou protozoaires, sont les acteurs majeurs du recyclage des nutriments grâce aux phénomènes de décomposition de la matière organique dont ils sont capables. Autre élément qui indique leur nécessité pour la survie d’un écosystème, ce sont les multiples interactions entre les animaux ou végétaux et ces micro-organismes. Il suffit de regarder dans les bactéries du système digestif d’une vache, les champignons dans les racines de très nombreuses plantes (on appelle ça des mycorhizes) ou encore dans le corps humain où les bactéries sont au moins aussi nombreuses que nos propres cellules mais tout aussi indispensable à notre bien-être.


5) Le « serpent de mer » existerait bel et bien : VRAI (82% de bonnes réponses) - par Naldo

L'animal dont le billet parle et qui est représenté sur la photo existe bien : il s'agit du régalec (Regalecus glesne), ou roi-des-harengs, un actinoptérygien marin géant pouvant atteindre 11 mètres de long, voire plus.
En raison de son apparence extraordinaire (un long corps aplati et argenté, des nageoires extrêmement longues et rouges vif), le régalec est probablement à l'origine de nombreuses légendes, comme celle du serpent de mer ou du Naga en Asie du Sud-Est. A Taïwan, on dit que sa venue prévient de l'arrivée d'un tsunami.
Animal vivant en haute mer et en profondeur, il a rarement été observé dans son milieu : les quelques données que l'on possède sont principalement issues de spécimens échoués en eau peu profonde. Tout au plus sait-on qu'il se nourrit de plancton, qu'il nage à la verticale droit comme un I, et qu'il est probablement capable d'autotomie (c'est-à-dire de sacrifier une partie de son corps face à un prédateur, comme les lézards).

Le régalec : à gauche en position de vie, à droite échoué sur une plage - une observation malheureusement beaucoup plus courante !
Roberts T. 2012. Systematics, Biology and Distribution of the Species of the Oceanic Oarfish Genus Regalecus (Teleostei, Lampridiformes, Regalecidae). Publications Scientifiques du Muséum, Paris, 268 pp.

6) Une plante se nourrissant d’excréments de fourmis : VRAI (82% de bonnes réponses) - par Sophie

La symbiose entre la plante Nepenthes bicalcarata et l’espèce de fourmis Camponotus schmitzi présente une multitude de facettes. Les fourmis y trouvent un logement tandis que la plante bénéficie en échange de protection. Mais les deux espèces fonctionnent également sur la base d’un mutualisme alimentaire. Tandis que les fourmis récupèrent des proies au fond de l’urne, la plante bénéficie des qualités digestives des fourmis. Ainsi, selon Bazile et al. (2012), l’azote foliaire de la plante proviendrait à 42% des déjections des fourmis ! Les plantes ne disposant pas de fourmis présenteraient même des carences en nutriments…

Bazile, V., Moran, J.A., Le Moguédec, G., Marshall, D.J. & Gaume, L. 2012. A Carnivorous Plant Fed by Its Ant Symbiont: A Unique Multi-Faceted Nutritional Mutualism. PLoS ONE, 7, e36179- e36179.


7) Evolution chimique du génome bactérien ! VRAI (9% de bonnes réponses) - par Battle

Un code universel, pas si universel que ça finalement ? On ne peut pas réellement le dire. Car effectivement de nouvelles nucléobases apparaissent régulièrement par mutation dans le code génétique mais il n’a jamais été montré qu’une telle mutation ait été fixée dans une espèce sans action humaine. La souche d’E. coli dont je vous ai parlé a bel et bien modifié le fonctionnement entier de son génome intervertissant la thymine avec la chlorouracile au fur et à mesure des générations. Mais cela a nécessité que les chercheurs n’incorporent plus dans le milieu de croissance de la thymine mais seulement de la chlorouracile pendant de nombreuses générations. Dans la nature, même si des mutations apparaissent, ce changement de disponibilité des nucléobases dans le milieu n’a pas lieu, impliquant que la sélection naturelle de ces mutations peut difficilement avoir lieu. La présence et la persistance des 4 nucléobases classiques (adénine, thymine, guanine et cytosine) depuis des milliards et des milliards de générations dans l’ensemble des organismes de notre planète est un signe assez fort de leur stabilité et de leur pérennité. En revanche, les compétences et les connaissances de l’homme sont aujourd’hui suffisantes pour pouvoir exploiter des souches arborant un nouveau type de génome à des fins médicales ou d’innovations biotechnologiques.

Marlière, P., Patrouix, J., Döring, V., Herdewijn, P., Tricot, S., Cruveiller, S., Bouzon, M. & Mutzel, R. 2011 Chemical evolution of a Bacterium’s Genome, Angewandte Chemie International Edition, 50: 7109-7114


8) Le retour du pied préhensile chez l’humain ?FAUX (91% de bonnes réponses) - par Sophie

Ce n’est pas encore aujourd’hui que les humains se serviront de leurs 4 mains… Cependant, si aucun cas d’orteil préhensile n’a été découvert chez l’homme, le phénomène d’atavisme existe bel et bien. Il s’agit de la résurgence d’un caractère ancestral. Le caractère en question peut être relativement complexe, et demander l’intervention de plusieurs gènes : il suffit qu’un seul de ces gènes ait été inactivé pour que le caractère n’existe plus. Une réactivation de ce gène permettra donc à toute la cascade de gènes de s’exprimer de nouveau. Parmi les cas les plus fréquents, on note par exemple la réapparition de doigts chez des chevaux, de membres inférieurs chez des dauphins, de pattes chez les serpents… Chez les humains, la présence d’une queue, prolongement de la colonne vertébrale, a été documentée chez plusieurs nouveau-nés.

Quelques cas d'atavismes chez le cheval et le dauphin (Source)
Cas d'atavisme plusieurs fois observé chez l'être humain, la réapparition de la queue, parfois capable de mouvements (Source)



9) De petits animaux jouant avec la mort : FAUX (9% de bonnes réponses) - par Nicobola

A part une personne, tous les autres sont tombés dans le panneau ! Peut-être n’avez vous pas lu jusqu’au bout ? Il n’a jamais été trouvé de tardigrades en cryptiobiose depuis 1000 ans. On est justement bien loin de leurs records : contrairement à beaucoup de légendes à leur propos, il n’a jamais été mis en évidence que les tardigrades puissent rester en cryptobiose plus de deux décennies, ce qui est déjà un temps considérable. Certes ils peuvent résister aux rayons cosmiques, au zéro absolu, aux températures extrêmes etc. Mais toujours pour un temps assez court et une mortalité assez forte. Pour un article en anglais démêlant le vrai du faux à leur propos vous pouvez lire l’article de Jönsson et Bertonali.

Jönsson K. I. and Bertonali R. 2001. Fact and fiction about long-term survival in tardigrades. Journal of Zoology, 255, 121-123.


10) Somewhere... Over the rainbow?VRAI (45% de bonnes réponses) - par Boris

Et oui, on ne dirait pas mais cette écorce est tout à fait naturelle… Vous pouvez voir ici un panel de photographies toutes plus colorées les unes que les autres) . L’arbre existe bel et bien, il pousse naturellement aux Philippines mais peut se retrouver dans différents endroits de l’Océanie (voir la page suivante). Je n’ai pas beaucoup trouvé d’informations concernant les mécanismes biochimiques qui permettent d’obtenir une écore aussi colorée, cependant le fait d’avoir plusieurs couches d’écorce de couleurs différente est présent chez certaines espèces… Dont une que vous connaissez très bien ! C’est le platane (espèces du genre Platanus), que l’on retrouve le long de nos routes et même dans nos villes. Ces arbres résistent bien à la pollution de l’air des villes car leur écorce se renouvelle constamment, par plaques entières. Cela permet d’éliminer en même temps la couche de polluants qui se sont déposés à la surface, favorisant ainsi la respiration des cellules des tissus situés sous l’écorce.


11) Bombardements lumineux !VRAI (100% de bonnes réponses) - par Aurélide

Avec 100% de bonnes réponses, il semblerait que les annélides n’aient pas de secrets pour vous !
Dans la catégorie des animaux qui utilisent la bioluminescence pour échapper à leurs prédateurs, certains crinoïdes ont la possibilité de sacrifier un bras bioluminescent entièrement. Mais vous imaginez bien que c’est une perte très coûteuse puisque il faut un certain temps avant que le bras ne repousse. Chez certaines annélides de la famille des Aphroditidae, cette perte est moins onéreuse puisque ce sont des élytres bioluminescents qu’elles larguent pour distraire le prédateur et s’enfuir. Dans le cas de Swirma bombiviridis de la famille des Acrocirridae, ce sont des structures particulières dont elles se débarrassent. Il s’agit de branchies modifiées, en forme de boule et qui se trouvent tout près de la tête. Lorsque l’animal se sent en danger, il lâche ses boules qui se mettent ensuite à s’illuminer. Contrairement au magicien qui disparaît sous un nuage de fumée, Swirma bombiviridis, elle, disparaît sous un feu d’artifice.



Voilà, maintenant vous savez toute la vérité ! On est fiers d’avoir réussi à vous bluffer que ça soit par de pures inventions de notre imaginaire ou alors par de vrais faits scientifiques tout à fait improbables. On espère que ce petit jeu vous a plu et vous a appris plein de petites anecdotes.

Les mille et une vie d'un atome de carbone

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Cette semaine je suis en formation de statistique un peu poussée juste à côté du Mont-blanc, et comme le sous-entend l’expression « statistique un peu poussé », il n’y a que des matheux ou physiciens à mes côtés. J’ai besoin qu’on me parle de biologie !!!! Et la grosse question qui me revient quand je parle de mon sujet de thèse, c’est «  mais pourquoi tu travailles sur le carbone ? ». Et donc je me suis dit que ça pouvait peut-être vous intéresser, vous aussi, de savoir en quoi c’est important d’étudier le carbone dans les écosystèmes. Le carbone, c’est une des clés des cycles de vie à la surface de notre planète. C’est vrai que c’est intéressant de parler des êtres vivants mais savoir ce que la matière devient après est tout aussi important.

Pour un peu que vous ayez suivi vos cours de biologie au collège, vous devez savoir que la matière vivante (les plantes, les animaux, les micro-organismes de toutes sortes) est essentiellement constituée de 3 éléments : le carbone C, l’oxygène O et l’hydrogène H. Ces 3 éléments sont les constituants des sucres dont le glucose C6H12O6 fait partie. Les sucres sont la source d’énergie de tous les organismes hétérotrophes. Etre hétérotrophe signifie qu’on a besoin d’une source d’énergie organique. On parle de substances organiques quand la substance essentiellement est constituée de carbone.

Pour avoir de l’énergie, les organismes hétérotrophes se nourrissent des organismes autotrophes. Ces derniers sont capables de synthétiser de la matière organique à partir de la matière minérale (c’est-à-dire les éléments simples comme le carbone, l’oxygène, l’hydrogène, l’azote, et les différents sels minéraux) en utilisant soit de l’énergie lumineuse, soit de l’énergie chimique. 






L’énergie permet aux organismes de créer de la matière à partir du moment où ils naissent et jusqu’à leur mort. Savez-vous ce que devient cette matière à la mort des organismes ?

Lorsqu’un animal meurt, son corps reste généralement à l’endroit même où il a donné son dernier souffle. Par la suite soit il est consommé par d’autres animaux appelés nécrophages (organismes qui se nourrissent de cadavres comme des diptères ou des coléoptères) ou saprophytes (organismes qui se nourrissent de matière en décomposition comme la mouche domestique Musca domestica), soit il est dégradé par les micro-organismes. Le plus souvent ces différents acteurs interviennent en synergie lors de la décomposition. Pour les plantes, les organismes morts restent sur place et sont dégradés soit par des forces mécaniques (le broyage et la fragmentation sous l’effet du passage des animaux, de la pluie, du vent,….), soit par l’action biologique et chimique des organismes (production d’enzymes dans le milieu par la méso-faune, la micro-faune et les micro-organismes).
La dégradation des organismes morts est appelée décomposition de la matière organique et consiste en un retour des structures organiques complexes à l’état le plus simple de particules (matière organique particulaire) puis de molécules à base de carbone (matière organique dissoute). Les matières organiques particulaire et dissoute vont être à nouveau transformées soit par des bactéries pour la matière organique dissoute, soit par les champignons pour la matière organique particulaire en éléments minéraux assimilables par les organismes autotrophes. Cependant, les bactéries et les champignons ne sont pas les seuls décomposeurs de la matière particulaire et dissoute, mais cela dépend essentiellement du type d’écosystème et des organismes présents dans le milieu.




(Source)



Il faut noter que certains organismes qui rentrent dans le groupe paraphylétique des protozoaires (par exemple les amibes constituent un groupe biologiquement hétérogène) sont aussi capables d’effectuer cette transformation ultime de la matière organique particulaire en éléments minéraux. Ainsi lorsque la matière a atteint le dernier stade de sa dégradation, le carbone est prêt à intégrer un nouveau cycle de vie.
Ce recyclage du carbone au sein des cycles de vie des organismes constitue une petite partie du cycle du carbone. En effet le carbone passe beaucoup de temps hors des organismes, comme par exemple lorsqu’il est sous forme de CO2 ou encore lorsqu’il est sous forme dissoute dans l’eau et dans le sol (voir l'illustration ci-dessous).

Le cycle du carbone complet selon la NASA: dans l'eau, le sol et l'atmosphère
 

Selon le type d’écosystème (terrestre, marin, aquatique, humide ou sec), la matière organique décomposée peut prendre différentes formes. Par exemple, en milieu terrestre relativement sec, l’humus constitue une matière organique stable qui est déjà fortement dégradée. Il peut être utilisé sous forme de compost pour fertiliser les sols de culture. Vous en avez peut-être déjà utilisé lorsque vous avez planté des arbres dans votre jardin ou lors d’un éventuel rempotage de plantes ?!

L’humus est la couche superficielle du sol, la plus sombre, cette couleur étant due à la richesse en carbone de cette partie du sol.(Source)

Dans les zones terrestres humides, situées à l’interface entre écosystème terrestre et aquatique, la tourbe des tourbières constitue un puits de carbone composé essentiellement de matière organique végétale morte. La tourbe est fréquemment employée comme combustible et, en horticulture et en agriculture, elle est utilisée pour limiter le stress hydrique (la tourbe a forte capacité de rétention de l’eau).  
A droite, une photo de tourbière humide (Source) et à gauche, les amas de bûche de tourbes (Source)... ça c'est du carbone en barre!

En milieu aquatique, la matière organique décomposée n’est pas visible à l’œil nu, mais dans les cas où l’écosystème se trouve fortement enrichi en éléments nutritifs accessibles pour les organismes autotrophes du milieu, les algues et les cyanobactéries peuvent se développer sans limite si les conditions de température sont favorables. C’est le cas par exemple d’un enrichissement des eaux en carbone et en azote dû aux activités (agricoles et industrielles) humaines. Cela peut alors donner lieu à des cas d’eutrophisation des cours d’eau et des lacs.

Du vert dans un lac? Les algues et cyanobactéries sont en plein développement (Source)

Ainsi, que ça soit dans les organismes vivants ou dans le milieu, le carbone se recycle partout.
Après ce petit tour de cycle, on peut se demander combien de fois un atome de carbone intègre-t-il un être vivant ? Et quelles vies ont vécu les atomes de carbone qui constituent nos cellules ? Un de vos carbones aurait-il appartenu à Cléopâtre ? ou à un ptérodactyle ? On pourrait même tout imaginer …

Vers infiniment petits et au-delà !

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Lorsque l’on me demande ce qu’est le sujet de ma thèse, je réponds souvent de manière un peu taquine : « les vers ». Là mon interlocuteur laisse un blanc et je rajoute « les vers microscopiques ». A ce moment là, la seconde question arrive « mais pourquoi les vers ? ». Et bien je vais vous expliquer pourquoi ici, en détails ! C’est parti pour une excursion dans un monde microscopique aux formes extraordinaires.

Les tropiques sont une zone à la biodiversité étonnante et on entend tous les jours parler de la découverte d’une nouvelle espèce d’insecte aux couleurs et aux formes surprenantes. Même dans les mers on s’imagine toujours (à raison) l’image des récifs coralliens abondants de vie et aux animaux aux formes variés. De nos latitudes, on s’imagine les tropiques comme cette terre luxuriante et comme l’endroit idéal pour découvrir de nouvelles espèces. Ceci dit voyager ne se fait pas forcément autour du globe mais peut se faire aussi dans les échelles de dimensions. Il est un monde d’une grande diversité qui est caché à tous mais qui ne demande pas d’aller plus loin que la plage ou la rivière la plus proche de chez vous (voire votre jardin) : c’est la méiofaune. Ce monde est celui des animaux minuscules, d’entre les grains de sable (là où on y trouve la majorité de la méiofaune), de la vase ou de la litière, un monde microscopique, dur à atteindre mais riche des plus grandes surprises zoologiques et des morphologies les plus étranges. Et si les découvertes faites dans les forêts amazoniennes nous permettent de découvrir beaucoup de nouvelles espèces, c’est le même cas dans la méiofaune. Mais les organismes qu’on y croise sont régulièrement de formes très différentes de ce que le grand public connaît… Ou même de ce que la grande majorité des scientifiques connaissent ! C’est la diversité morphologique et évolutive animale elle-même au sens le plus large que ces animaux microscopiques vont nous révéler.

Une illustration de la diversité de forme que l’on trouve dans la méiofaune.  Source : méiofaune grouillante.

Faisons déjà une petite introduction sur la méiofaune. En pratique les animaux de la méiofaune sont définis par leur taille, la majorité se trouvant dans le sédiment (sable ou boue). Ils ne représentent donc rien de zoologiquement homogène. Ce sont les organismes qui passent entre les mailles d’un filet d’un millimètre et sont retenus par un filet de 40µm. Cette définition subjective se traduirait plutôt de cette manière : l’étude de la méiofaune est la recherche sur les animaux pas faciles à étudier car ils sont si petits qu’il faut utiliser des méthodes et des outils spéciaux de collecte et d’analyse. Conséquence directe ? Les spécialistes sont rares. Autre conséquence ? Il y a plein de choses à y découvrir ! Mais on pourrait penser qu’il y a encore tant de mystères parce qu’elle est simplement peu étudiée et qu’au final il n’y a rien de folichon. Et bien non ! La diversité et le nombre d’espèces y sont vraiment étonnants ! Par exemple, il a été montré que la biomasse de la méiofaune tend à égaler celle de la macrofaune (organismes visibles à l’œil nu) dans les estuaires et les fonds marins ! Illustrons aussi leur diversité d’une autre manière : deux organismes font partie d’un même phylum s’ils ont un même plan d’organisation et peuvent être assumés facilement plus apparentés entre eux que d’autres animaux. C’est plus un concept pratique que purement biologique. N’empêche qu’il est utile pour appréhender la diversité profonde morphologique. En me basant, par soucis de repères, sur la liste donnée par wikipédia, qui peut tout à fait être critiquée (simplement parce que la notion de phylum est très critiquable), sur les 38 phylums, 23 se retrouvent dans la méiofaune ! D’ailleurs un nouveau représentant méiofaunique d’un de ces phylums a été découvert juste en 2012 : le minuscule Meioglossus psammophilus, le plus petit des enteropneustes (les enteropneustes sont les vers pénis, j’en ai déjà parlé ici et ici) ! Ceci dit parmi ces 38 phylums il y en a 6 qui sont strictement parasites ou associés à des organismes donc qui ne sont pas considérés comme de la méiofaune pusiqu’ils qu’ils ne sont pas collectés avec un tamis. A l’inverse, 7 des 38 phylums sont strictement méiofauniques ! C’est à dire que tous leurs représentants y appartiennent ! Mais il y a mieux, deux phylums qui ne sont pas dans cette liste pourraient bientôt y être rajoutés. Ils ont été assignés aux annélides (ver de terre, sangsue et ver du pêcheur) mais n’en feraient probablement pas partie, et constitueraient leurs propres groupes !

Pour récapituler :

-Phylums : 38
-Phylums avec au moins un representant méiofaunique : 23
-Phylums strictement méiofauniques : 7 (plus peut-être 2 nouveaux)

Un tamis, du sable, un seau. Voilà un futur explorateur de la méiofaune !  Source : futur zoologiste.

Vous pouvez vous douter qu’appartenir à la méiofaune, c’est subir de fortes contraintes ! A ces dimensions, l’eau est visqueuse comme de la mélasse et il faut éventuellement se déplacer entre les grains de sables ou dans la boue. Toute force de friction en général est décuplée. De plus, le moindre courant d’eau peut emporter nos petits animaux au large. Plusieurs caractères vont donc régulièrement être retrouvés ; beaucoup vont posséder des glandes adhésives par exemple. Ben oui, lorsque les vagues balancent sur la plage ou qu’il y a une inondation dans votre jardin il faut être bien accroché ! La plupart de nos petits amis ont une forme allongée de ver. Mais beaucoup ont adopté quand même des formes très bizarres. Se déplacer dans ces dimensions est un défi relevé avec brio de plusieurs manières différentes. Pour n’en citer que deux, il y a le battement de cils, donnant une impression de glissade de l’animal, ou la contraction du corps pour creuser un chemin en déplaçant les particules tout autour. Pas mal d’entre eux ont aussi des « soies sensorielles », des espèces de poils qui leur permettent de sentir ce qu’il y a autour d’eux. En effet, dans ces dimensions et en général dans le sable, dur de voir ce qu’il y a autour. Comme ces animaux sont très petits ; ils sont souvent grossièrement plus « simples » et n’ont par exemple pas de système respiratoire. Mais vous verrez que certains ont des structures d’une complexité insoupçonnée. Malgré leurs petites tailles et leur simplicité ce sont des animaux au développement lent, avec un petit corps ; comme ça, pas possible de produire des tonnes de spermatozoïdes et d’ovules qu’on relâcherait au hasard dans l’eau (très commun chez les animaux marins) ! Conséquence directe ? Beaucoup d’entre eux s’accouplent par contact. Mieux encore, beaucoup incubent leurs œufs parfois jusqu’à très tard dans le développement.

Lorsqu’on tape « biodiversity » sur google, la deuxième image résume l'idée commune qu'on se fait de la biodiversité : récifs coralliens et forêt tropicale. Source : biodiversité.

Bon mais passée la théorie, faisons maintenant un petit tour de leur diversité. Aller dans la méiofaune c’est à première vue toujours croiser les mêmes organismes. Quatre représentants sont à même de se trouver quasiment systématiquement sous votre loupe binoculaire au moins en milieu marin : les nématodes, les copépodes, les gastrotriches et les plathelminthes. Certains de ces noms sont peut-être bien connus des étudiants en biologie… D’autres sont inconnus pour quasiment tout le monde mais si vous me suivez bien, ces quatre groupes sont donc parmi les animaux les plus communs autour du globe… Et si j’ai précisé « au moins en milieu marin » ça n’implique pas qu’ils soient rares en eau douce voir en milieu terrestre !

Les nématodes sont souvent plutôt réputés pour être des parasites comme l’ascaris. Ceci dit les nématodes font partie des animaux les plus communs au monde puisqu’on les trouve dans quasiment tous les milieux et notamment en très grande abondance dans le sédiment en général : sable, vase, terre que ce soit terrestre, d’eau douce ou marin. Si vous avez un microscope faites l’expérience, vous en trouverez sûrement ! Ces vers filiformes et au corps rond n’ont pas l’aspect le plus excitant… Incapables de se contracter, ils font des mouvements en S caractéristiques pour se déplacer. Vu que ce sont des ecdysozoaires (voir article mue), c’est à dire des animaux à squelette externe qui muent, ils n’ont pas de cils ! Pourtant c’est presque la règle chez les animaux aquatiques de la méiofaune. Mais comme d’hab il faut faire attention aux règles : ça ne les empêche pas d’être parmi les plus abondants !

Dracograllus, un des nématodes les plus bizarres. Croyez-moi, les autres sont assez monotones pour ne pas que je vous montre un bon gros vieux nématode. Source : super nématode.

Les Copépodes sont de petits crustacés. On les trouve principalement en milieu marin quand il s’agit de méiofaune du sédiment. Habituellement on les trouve (ou du moins on en entend plus parler) dans le plancton (voir article plancton). La forme générale des copépodes planctoniques rappelle une goutte, l’avant étant plus large que l’arrière. Cependant, comme je vous l’ai dit la plupart des animaux de la méiofaune ont une forme de ver. Les copépodes harpacticoides n’échappent pas à cette règle et ont un aspect allongé. Pour certains, à première vue, il est difficile de les reconnaître comme des copépodes. Mais leur comportement agité ne trompe pas, tout comme leur manière de nager par à-coups. Ces petits animaux filtreurs se frayent un chemin entre les grains de sable. Ils font partie, avec les nématodes, du cauchemar des gens travaillant sur la méiofaune marine. Ils sont si communs qu’ils ont vite fait d’ennuyer le plus patient des biologistes.

Un copépode harpacticoïde. Notez la forme allongée et le sac d’œuf typique des copépodes.  Source : l'ami de la bino.

Les plathelminthes sont en général, tout comme les nématodes, mieux connus des médecins puisque certains d’entre eux peuvent être de gigantesques parasites (ver solitaire). Cependant, de l’autre côté de l’échelle de taille, on trouve une grande diversité de plathelminthes. Il est assez difficile de décrire ces animaux de manière excitante. Ils sont recouverts de cils et semblent glisser entre les grains de sable. Ils ont une bouche et pas d’anus… Bref, c’est à peu près tout. Mais ils sont assez rigolos. Déjà malgré cette description morne (et approximative, exprès, je l’avoue) on trouve une grande diversité de formes : certains tout ronds, certains très allongés, certains avec des mâchoires… Bref, les plathelminthes de la méiofaune ne sont pas exempts de surprises… Ce manque de caractères cependant a une autre conséquence : certains groupes manquant aussi de caractères y sont parfois placés par défauts (gnathostomulides et acoeles, je reviendrai sur les gnathostomulides). En gros, si vous voulez passer pour un bon méiofauniste, si vous trouvez un « truc » qui ne ressemble à rien, appelez ça un plathelminthe et ça devrait passer.

Un plathelminthe Kalyptorhinchia. A part être mignon, on ne peut pas lui prêter tellement d’attributs.  Source : Plathelminthe chou.

Les gastrotriches quant à eux sont un phylum entier exclusivement méiofaunique. Ce sont encore une fois des vers mais ils ont des formes et des ornementations très différentes. On peut les trouver aussi dans les sols humides de terre ferme. Autrement dit, ils se trouvent en eau douce ou de mer. Ce sont des vers plats, un peu comme les plathelminthes… Mais leur ciliation est uniquement ventrale. Ils ont en général soit des écailles qui leur donnent des formes extraordinaires, soit plein de glandes adhésives, qui leur assurent une cohésion maximale (ça sonne comme une pub pour une super-glue gastrotriche). Ils ont par ailleurs un aspect assez rigolo puisqu’ils ont une bouche terminale et qu’ils ne peuvent pas la fermer… cela leur donne donc un aspect un peu béat/idiot. 

Aperçu de la diversité des gastrotriches d’Afrique du Sud… Mais on trouve la même diversité sur nos côtes ! Source :  Diversité des gastrotriches.

Mais en quoi la méiofaune est-elle pleine de découvertes (encore plus je veux dire !) ? Ce dernier siècle, 3 nouveaux phylums y ont été décris et peut-être que 2 nouveaux vont bientôt l’être. 

En 1956, Peter Ax, un des explorateurs fous de la méiofaune, décrit un nouveau groupe : les gnathostomulides. Ce groupe un peu étrange est assigné aux plathelminthes, dont j’ai parlé plus haut. Les raisons ? Ils n’ont pas d’anus et sont ciliés… Enfin, soyons précis, leur anus est transitoire : parfois ils en ont, parfois non… Bref, ces caractères ne sont pas hyper convainquant pour les classer parmi les plathelminthes, mais je vous ai expliqué que de toutes manières, les plathelminthes n’ont eux même pas tellement de caractères convaincants. D’ailleurs, pas mal d’animaux n’ont pas d’anus et beaucoup d’autres sont ciliés. Ceci dit un caractère retient l’attention chez ces animaux… Les mâchoires ! En effet, ces petits monstres des grains de sables cachent de terribles mâchoires. Or certains plathelminthes aussi en ont ! Mais les choses ne sont pas si simples. Plus tard ils ont aussi été placés chez les annélides, en effet, on connaît aussi de petites annélides avec de petites mâchoires. Bon, alors, ils vont où les gnathostomulides ? Finalement, il a été décidé de les garder à part, dans leur propre phylum : ce ne sont ni des annélides ni des plathelminthes. Ils seraient plutôt proches, sans en être, d’autres animaux bien connus et portant aussi des mâchoires : les rotifères. Depuis leur découverte les gnathostomulides ont été retrouvés plein de fois et plus de 100 espèces ont été décrites ! On sait qu’ils sont très communs voir même super abondants dans certains sédiments. Rendez vous compte, avant 1956 ces animaux étaient pourtant inconnus des scientifiques ! Bon, pour être honnête, ils étaient connus depuis les années 1920 mais aucun écrit scientifique ne les avait décrits !

Les gnathostomulides. Oui ce sont des vers de la méiofaune typique… Mais regardez moi ces belles mâchoires !  Source : jolies chicot

Bon, à part leurs mâchoires rigolotes les gnathostomulides ne sont pas les plus folichons des animaux… Là nous allons parler des animaux qui sont à mon sens parmi les plus fous… Les loricifères. Découverts en 1974 au large de Roscoff, en Bretagne, ils n’ont été décrit scientifiquement qu’en 1983, très récemment donc ! L’histoire vaut le détour : Reinhardt Kristensen, celui qui les a décrits (on reparlera de lui bientôt) avait 100kg de sable à traiter… En un jour ! En effet, il devait partir de la station marine de Roscoff juste après. Au lieu d’anesthésier gentiment les animaux pour les extraire du sédiment (ce qu’on fait avec du chlorure de magnésium), il leur a tout simplement balancé de l’eau douce à la gueule ! Il ne devait pas y aller de main morte, en effet, il chassait le tardigrade, de petits animaux très résistants. Le traitement à l’eau douce est violent pour les animaux d’eau de mer, pour des questions de pression osmotique. En plus de trouver une vingtaine d’espèces de tardigrades (au lieu de trois attendues !) il retrouva en pagaille ce drôle d’animal (qu’il avait déjà rencontré à plusieurs reprises à d’autres localités) et pu ensuite en décrire la morphologie et le cycle de vie. Ces animaux, les loricifères, font partie des plus petits animaux mais ont une des apparences les plus complexes… Je vous laisse en juger :

Un loricifère ou « animal feu d’artifice ».  Source : Loricifère.

Cet aspect psychédélique est dû à ce qu’on appelle des scalides qui sont, pour faire simple, des épines qui permettent de s’accrocher au sédiment et de creuser. Il me serait difficile de vous dire pourquoi elles ont une telle complexité. En tout cas pour faire encore pire, il faut savoir qu’il y a plusieurs formes par individus avec des larves, des mâles et des femelles… Chacun étant différent, notamment dans l’organisation des scalides ! En plus d’être morphologiquement tordus, leur cycle de vie lui même l’est !

Diagrammes à scalides au cours des différentes phases du cycle de vie Pliciloricus pedicularis…Un vrai casse tête ! Source : Gad 2005

Pour finir, la dernière surprise des loricifères, dont j’ai parlé dans l’article du premier Avril (ce n’était justement pas une blague), ces petits coquins sont les seuls animaux que l’on connaisse à ce jour à pouvoir effectuer leur cycle de vie complet dans un environnement totalement anoxique, c’est à dire dépourvu d’oxygène ! Et ce ne sont pas moins de trois espèces en méditerranée qui ont été découvertes dans ce cas ! Mieux encore, ces loricifères ne semblent pas avoir de mitochondries (des organites présents dans nos cellules assurant la respiration). Ils ont à la place des structures rappelant des « hydrogénosomes », des organites que l’on retrouve chez les organismes unicellulaires vivants en milieu anoxique. Associés à ces hydrogénosomes se trouvent des organismes unicellulaires : des bactéries ou des archées (les archées sont des organismes ressemblant grossièrement à des bactéries mais qui sont plus proche de nous). A vrai dire le mécanisme qui leur permet de survivre sans oxygène est encore mal connu mais j’espère ne plus avoir à vous convaincre que les loricifères sont des animaux très étranges !

Le cycle de vie des Loricifères. Pas si facile à interpréter… Source : Kristensen 2002.

J’aurais du garder le meilleur pour la fin mais j’ai préféré conserver un ordre chronologique. Même s’il sera difficile de faire mieux que les loricifères, le groupe dont je vais vous parler maintenant vaut quand même largement le détour (en plus je travaille dessus, c’est mon chouchou). C’est le dernier phylum décrit ou « Micrognathozoa ». Découvert au Groenland par Kristensen (encore lui !), cet animal vivant associé aux mousses des cours d’eau douce froide mesure moins de 150 µm et est parmi les plus petits de tous. A première vue rien de bien extraordinaire, on a un personnage de la méiofaune classique : glandes adhésives, ciliature ventrale, forme de ver (enfin ici, plus précisément de saucisse)… Rien de bien folichon… Si ce n’est qu’il a probablement les mâchoires parmi les plus complexes que l’on trouve chez les animaux après les vertébrés (ce n’est évidemment pas fair-play, les vertébrés sont infiniment plus gros)… Micrognathozoa signifiant « animaux microscopiques à mâchoires », tout est dans le nom. Ah, vous souvenez-vous d’animaux à mâchoires ? Oui, ils seraient très proches des gnathostomulides ! Mais avec des mâchoires quand même plus complexes ! Cela a demandé pas mal de temps aux scientifiques pour les comprendre, il faut dire qu’avec ces dimensions, ce n’est pas facile à explorer. 

Un  Micrognathozoa : 

Bon vous allez me dire que ça suffit avec les images de vers informes… Mais attendez…  Source : petit Limnognathia.
Les mâchoires (reconstitution 3D) :

Ah ouais, ça c’est des mâchoires complexes pour un si petit animal ! Source : mâchoires de folie.

Il reste encore pas mal de mystères à résoudre sur ces animaux. Déjà, tout n’est pas bien compris quant à l’organisation de leurs mâchoires. Puis, pour l’instant aucun mâle n’a été trouvé ! Seraient-ils comme beaucoup de rotifères (leurs proches parents bien mieux connus et communs) parthénogénétiques, ça veut dire avec des femelles se reproduisant toutes seules ? Ou les individus seraient-ils successivement mâle puis femelle ? Dans ce cas on n’aurait pas encore trouvé les mâles simplement. Une autre question, ils vivent dans les cours d’eau froide du Groenland qui gèlent chaque année. On a tenté de les congeler une fois rapatriés au Danemark… Mais ils sont morts… Comment résistent-ils ? On a bien trouvé des œufs supposés résistants mais rien n’est encore sûr. Une dernière anecdote, on les trouve dans les îles Crozet, proche de l’Antarctique, à l’autre pôle. Paraît-il la même espèce ! Comment sont-ils arrivés là ? Certains supposent que ce seraient les chasseurs de baleines qui les y auraient introduits !

Le genre de paysage où l’on peut trouver Limnognathia au Groenland… En été !  Source : "cold spring".

Et alors, vous pensiez que c’en était fini des découvertes ? Non, non, non ! Et en totale exclusivité je vais, sans entrer dans les détails, vous parler de deux groupes qui pourraient être des phylums à part. Nos deux mystérieux amis ont, comme vous pouvez vous en douter, des noms barbares : Diurodrilus et Lobatocerebrum (il y en a même un troisième Jennaria, mais selon les auteurs il serait à placer à côté de Lobatocerebrum ou pas). Lobatocerebrum et Diurodrilus ont été découverts respectivement en 1980 par Rieger et en 1925 par Remane, deux autres grands explorateurs de la méiofaune. Chacun d’eux a été dès le premier abord placé dans les annélides, un large groupe dont j’ai parlé plusieurs fois, ici par exemple, et surtout sur mon autre blog, ici ou ici. Cependant cette position est peu convaincante, ces animaux ayant peu de caractères permettant de les mettre à coup sûr chez les annélides. Après tout ils sont si petits. Alors qu’en est-il ? Il a été envisagé que chacun d’eux représente son propre phylum ! Rien que ça ! Diurodrilus serait peut-être proche des Micrognathozoa ! Le seul hic ? Il n’a pas de mâchoires, sinon le reste colle bien, mais cela demande encore pas mal de recherches avant que ce soit confirmé. Pour ce qui est de Lobatocerebrum c’est encore confus et on n’a pas encore d’idée bien intéressante d’où le positionner. En effet, ce petit cachottier n’a été retrouvé que quelques fois et toujours en très petites quantités. Bref encore beaucoup de mystères comme vous pouvez le voir…

Lobatocerebrum… Ouais, c’était juste pour mettre une image.  Source : animal mystérieux.

Au final, la méiofaune nous révèle une grande diversité d’organismes, dont beaucoup aux caractères parfois étranges. Ces animaux miniatures se retrouvent dans tellement de groupes et de milieux différents qu’on peut se demander au final si l’ancêtre des animaux bilatériens (à symétrie bilatérale) faisait partie de la méiofaune ou pas. Et figurez vous que c’est une question d’actualité qui n’a pas encore de réponse…

Bibliographie :

Pour aller plus loin : vous pouvez toujours aller voir à la Grande Galerie de L’évolution au Jardin des Plantes à Paris. Il y a une petite exposition qui vous emmène entre les grains de sables. A première vue un peu austère, faites l’effort de regarder entre les grains de sables géants pour y découvrir des organismes aux formes plus qu’étranges…

Ax, P. 1956. Die Gnathostomulida, eine rätselhafte Wurmgruppe aus dem Meeressand. Abhandl. Akad. Wiss. u. Lit. Mainz, math. - naturwiss. 8: 1–32.

-Gad G. 2005. A parthenogenetic, simplified adult in the life cycle of Pliciloricus pedicularis sp. n. (Loricifera) from the deep sea of the Angola Basin (Atlantic). Organisms Diverity and Evolution. 5(1), 77-103.

-Higgins R. P. et Thiel H. 1988. Introduction to the study of meiofauna. Smithonian Instutition Press. London.

-Kristensen R. M. 1983. Loricifera, a new phylum with Aschelminthes characters from the meiobenthos. Z. zool. Syst. Evolut. 21 : 163-180.

-Kristensen & Funch, 2000 : Micrognathozoa : a new class with complicated jaws like those of Rotifera and Gnathostomulida Journal of Morphology 246, p 1-49.

-Kristensen R. M. 2002. An Introduction to Loricifera, Cycliophora, and Micrognathozoa. Integrative & Comparative Biology, 42 : 641-651.

-Rieger, R.M. 1980: A new group of interstitial worms, Lobatocerebridae nov. fam. (Annelida) and its significance for metazoan phylogeny. Zoomorphology 95:41-84.

-Swedmark B. 1963. The Interstitial Fauna of Marine Sand. Biol. Rev. 39, 1-42.

-Sørensen M. V. 2003. Further structures in the jaw apparatus of Limnognathia maerski (Micrognathozoa), with notes on the phylogeny of the Gnathifera. Journal of Morphology 255: 131-145.

-Worsaae K. et Rouse G. W., « Is Diurodrilus an annelid? », Journal of Morphology, vol. 269, no 12, 2008, p. 1426–1455.

-Worsaae K., Sterrer W., Kaul-Strehlow S., Hay-Schmidt A. et Giribet G. 2012. An Anatomical Description of a Miniaturized Acorn Worm (Hemichordata, Enteropneusta) with Asexual Reproduction by Paratomy. PLoS ONE 7(11): e48529. 


Prenez en de la graine !

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Ce matin, j’ai reçu un mail qui disait ceci : « Salut ! Une amie m’a ramené une graine de Baobab de Madagascar. J’ai beau avoir tout essayé, rien n’y fait, pas de petit Baobab en vue… Comment cela se fait il ? Pourquoi, en revanche, quand je mets des lentilles à germer sur un coton humide, ces petites graines donnent des plantules au bout de quelques jours ? C’est injuste ! »
Aujourd’hui, comme vous aurez pu vous en douter, je vais tenter de répondre à cette question : pourquoi certaines graines germent elles en quelques jours quand d’autres restent tout simplement endormies ?
D’abord, rappelons-nous ce qu’est une graine. D’après l’Encyclopaedia Universalis, la graine correspond à « un organe de dissémination résultant de la transformation d'un ovule : après la fécondation, ou même sans accomplissement d'un processus sexuel (agamospermie), un embryon est formé dans le prothalle femelle (gamétophyte) ; dans un tissu entourant l'embryon, ou dans l'embryon lui-même, des réserves sont accumulées, que celui-ci consommera lors de la germination ; simultanément, les téguments ovulaires se transforment en une carapace mortifiée, plus ou moins dure et imperméable, protégeant l'embryon et les réserves. »
Oulala, que de mots compliqués dans cette définition ! On va reformuler ça de manière plus simple. Mais d’abord, souvenons-nous que nous avons tous, au moins une fois dans notre vie, observé de manière plus ou moins attentive une graine à la loupe. En général, cela se déroule au collège et la graine en question est un haricot coupé en deux… Voici une photo qui va raviver les souvenirs :

Une graine de haricot coupée en deux. Source

 Et pour plus de précisions, voici comment on arrive à la graine, en partant de la fleur, après fécondation :
Transformation de la fleur en fruit. Source
Transformation de la fleur en fruit. Source

D’après ces schémas, la graine est donc un ovule transformé, en général après fécondation (rappelons que la fécondation est l’union d’un gamète mâle et d’un gamète femelle), qui est protégé par le fruit (anciennement le pistil, avant fécondation). Il faut aussi savoir que dans la graine, une fois que les réserves auront été stockées, l’embryon formé après fécondation va cesser de se développer et va être très fortement déshydraté (parfois jusqu’à 95% de déshydratation !). Gardez ça en tête pour la suite.
Or donc, toutes les graines ne vont pas pouvoir germer de la même manière. Mais pourquoi cela ?
Pour qu’une graine germe, il faut qu’elle soit placée dans des conditions optimales de germination. Ainsi, si l’on veut s’amuser à faire germer des lentilles, il suffira de les humidifier et de les placer sur un coton humide… et quelques jours plus tard, on obtiendra une petite pousse verte.
Mais certaines graines ne poussent pas, même si on les arrose. Si elles ne donnent aucun signe d’activité, c’est parce qu’il n’y a pas eu ce que l’on appelle la levée de dormance. La dormance est une « absence de développement d’un bourgeon ou d’une graine malgré les conditions écologiques favorables. » Il s’agit en particulier d’une « stratégie adaptative pour passer la mauvaise saison. » [1]
En clair, même si la graine est disposée dans des conditions idéales de germination, elle ne germera pas, car il n’y aura pas eu un signal préalable déclenchant la germination.
Je m’explique. Prenons par exemple des graines bien connues des enfants des régions tempérées : les marrons, qui sont les graines du Marronnier d’Inde Aesculus hippocastanum .

Quelques marrons. Source

Les marrons sont produits à la fin de l’été et se retrouvent au sol au début de l’automne, où ils vont passer l’hiver enfouis sous les feuilles mortes (s’ils n’ont pas été mangés entre temps par les sangliers ou autres animaux). Ils germeront par la suite au printemps. Cela semble évident… mais pourtant, on ne voit pas de marrons germer avant l’hiver, ce qui semble logique puisque la plantule qui aurait sorti ses feuilles délicates en octobre ne ferait pas long feu en décembre… Quoi que, avec la météo actuelle, on pourrait se poser des questions… mais ceci est un autre sujet !
Eh bien, il existe une explication simple pour que la graine germe au « bon moment », c'est-à-dire après l’hiver : il est nécessaire que la graine ait subi une période de gel, ou tout du moins de froid continu, pour que la dormance soit levée et que la graine puisse germer. Sans cette période de gel, et même si la graine est placée dès l’automne dans des conditions optimales de croissance (redoux soudain, culture sous serre…), elle ne germera pas.
Bien évidement, s’il suffisait uniquement d’appliquer une période de gel pour faire sortir les graines de leur dormance, ça serait beaucoup trop simple… En effet, il existe plusieurs types de dormance.
Certaines graines ne possèdent même pas de phase de dormance : au contact de l’eau, les tissus de la graine vont s’imbiber puis l’embryon va utiliser les réserves pour grandir (une observation flagrante est l’augmentation de la taille de la radicule, qui va percer l’enveloppe de la graine).

Les autres graines sont soumises à une dormance qui peut être de plusieurs types [2] :
1) La dormance physiologique : elle est levée par des écarts de températures prolongés. C’est le cas chez un grand nombre de plantes à fleurs telles que les tomates, l’avoine, ou encore le tabac. C’est aussi le cas pour l’exemple que j’ai précédemment utilisé avec les marrons. Pour « tricher » avec de telles graines, on peut tout simplement les mettre au frigo un certain temps pour simuler l’hiver !
2) La dormance morphologique : cette fois, l’embryon n’est pas complètement fini dans la graine, c’est pour cela que la germination n’est pas immédiate, même en présence de conditions optimales. L’embryon doit donc continuer à se développer alors même que la graine a été séparée de la plante mère : c’est pour cela que la germination n’est pas immédiate même si la graine est située en conditions idéales.
3) La dormance physique : la graine est protégée par une enveloppe totalement imperméable… et donc l’eau ne peut pas atteindre les tissus internes et ne peut pas réhydrater l’embryon. Sans eau, pas de croissance possible ! Il est donc nécessaire d’avoir une action physique sur la graine pour que celle-ci puisse germer. Par exemple, il faut une abrasion mécanique (les tissus protecteurs de la graine doivent être dégradés par frottements, par broyage…) ou chimique (la graine peut être avalée par un animal et subir un traitement chimique acide dans l’estomac… pour ensuite ressortir de l’autre côté et être prête à germer !)
Bien évidement, il existe des intermédiaires entre ces trois catégories : dormance morpho-physiologique par exemple…

Concernant l’histoire de la graine de Baobab qui ne veut pas germeril est fort possible que la dormance de cette graine n’ait pas été levée. Dans les régions tempérées froides, c’est le froid qui est responsable de la levée de dormance… entre autres facteurs. Mais dans les régions tropicales chaudes, c’est plutôt la chaleur ! En effet, les graines vont avoir tendance à germer lorsqu’il fait le plus frais : une grosse période de chaleur est donc nécessaire pour lever la dormance.
En parlant de lever de dormance, savez vous que grâce à cette protection supplémentaire, on retrouve encore des graines qui ont plus de mille ans… et qui sont encore capables de germer ? C’est le cas des graines de Lotus Nelumbo nucifera, retrouvées dans des sédiments d’un ancien lac de Chine, qui ont été mises à germer… et qui ont poussé ! [3]
Fleur de Lotus Sacré. Source : photo perso
Graines de Lotus. Source

Pour avoir moi-même fait l’expérience, ces graines ne germent que si la protection externe est suffisamment abimée pour que l’eau puisse atteindre l’intérieur de la graine. Il s’agit ici d’une dormance physique, qui ne peut être levée que si la coque est abrasée par une action mécanique. Ainsi, les graines de Lotus retrouvées dans les sédiments ont été abrasées mécaniquement à l’aide de papier de verre pour que l’eau puisse pénétrer à l’intérieur. Rendez vous compte que pendant un millénaire, ces graines sont restées en sommeil en attendant de pouvoir redonner un organisme fonctionnel et complet !
C’est à cette occasion que l’on s’aperçoit que les végétaux nous réservent encore et toujours de nouvelles surprises !

Bibliographie
[1] Introduction à la botanique, G. Ducreux, ed. Belin, 2002
[2] Seed dormancy and the control of germination, W. E. Finch-Savage and G. Leubner-Metzger, New Phytologist (2006) 171:501–523

[3] Exceptional seed longevity and robust growth: ancient sacred Lotus from China, J. Shen-Miller, M.B. Mudgett, J.W. Schopf, S. Clarke, R. Berger, American Journal of Botany (1995) 82:1367-1380   

Les vacances d’une écologue : objectif flamants

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La douce torpeur estivale des blogs vient d’être gentiment bousculée par l’inévitable : c’est la rentrée ! L’occasion de reprendre le chemin du travail ou des bancs de l’université, et bien sûr sa plume virtuelle pour de nouvelles épopées scientifiques. Mais que peuvent-bien faire les bloggeurs de leur été ? Nous allons vous conter les récits de nos aventures scientifiques ou naturalistes estivales, chacun son tour, pour se remettre tranquillement dans le bain tout en gardant un petit coin de l’esprit en vacances…
 
Dans des temps immémoriaux (l’année dernière…) j’avais coutume d’étudier un des animaux les plus étranges, le flamant rose. Je leur avais consacré tout un article pour dépeindre leurs cocasseries multiples (par ici). Et même si depuis je suis passée à autre chose, on n’abandonne pas si facilement ces créatures extravagantes. Et c’est ainsi que, durant l’été, j’ai pu m’incruster dans un évènement très attendu en Camargue : le baguage des flamants roses.
 
(Source)
 

Petite mise en contexte. En France, les flamants roses ne se reproduisent que dans une seule colonie, sur un petit ilot au cœur de la Camargue. Protégés de tous les côtés, personne ne peut s’en approcher à l’exception de quelques rares privilégiés qui les étudient. Une tour d’observation est construite juste en face de l’ilot, et on y accède camouflés sous un espèce de mini-tank flottant. La reproduction se passe tranquillement, avec des observations presque quotidiennes qui permettent de lire des bagues et de déterminer quels individus sont présents et s’ils se reproduisent. Les bagues en question sont composées d’un code alpha-numérique propre à chaque individu, et lisible jusqu’à 300m. On peut ainsi connaître l’histoire de nos flamants : âge, longévité, reproduction, dispersion… Une mine d’informations bien précieuse pour les chercheurs ! C’est pour cette raison que, chaque année, une armée de volontaires se réunit pour l’évènement ultime, le baguage des jeunes flamants.
 
Vue du ciel de la colonie et de la tour d’observations
 
Observation depuis la tour : les bagues sont parfaitement lisibles
 
 
Comme seuls les V.I.P. (quelques 200 personnes tout de même…) sont invités à participer à cet évènement, voici en exclusivité le récit d’une poignée d’heures palpitantes.
 
Il est 5h, la nuit est encore bien noire quand une ribambelle de véhicules quitte le centre de recherches biologiques de la Tour du Valat. Malgré l’heure matinale, la plupart des gens sont bien réveillés. L’effet de l’excitation probablement, mais il faut dire que les dizaines de moustiques et leurs bzz-bzz provocateurs y sont aussi pour quelque chose. On est en Camargue tout de même ! La foule a rendez-vous sur la digue. Tout le monde est bien rodé, la réunion obligatoire de la veille ayant permis d’assurer une organisation optimale. Les participants sont répartis dans plusieurs équipes, chacune ayant une couleur de t-shirt différente. Le premier défi une fois arrivés est de repérer son chef d’équipe dans l’agitation et l’obscurité. Le départ s’effectue peu après 5h30. Chaque équipe part à tour de rôle sur deux digues différentes, les jeunes flamants se trouvant quelque part entre ces deux digues. C’est ainsi que 200 personnes se mettent en marche, accompagnées cette année du grondement sourd de l’orage et d’une multitude d’éclairs déchirant le ciel et accompagnant le timide lever du soleil.
 
Réunion par équipes avant le grand départ
Ambiance particulière entre orage et soleil cette année
 
Les jeunes flamants, qui sont encore tout gris et qui heureusement ne savent pas voler, sont tous regroupés en une « crèche », gardée par quelques adultes. Le but de la manœuvre est de les encercler, et les guider vers un entonnoir se terminant par deux enclos. Les chefs d’équipe jouent du talkie-walkie pour synchroniser tout le monde. Une fois les équipes en place, le rabattage commence. En même temps que la pluie. L’étau humain se ressert petit à petit sur le groupe de flamants qui se met en mouvement, avec la même apparence d’unité qu’un banc de poissons. Les adultes s’envolent assez rapidement, ajoutant l’éclat rouge de leurs ailes au ciel déjà magnifique. Cette année, l’étang est particulièrement sec. Un avantage dans le sens où les gens n’ont pas les pieds dans l’eau, hormis les malchanceux des premières équipes qui pataugent dans une boue noire, odorante et particulièrement avide de capturer les chaussures mal attachées… En revanche, la sécheresse a également une autre conséquence : les flamants courent beaucoup plus vite ! Une fois le groupe en mouvement, la synchronisation du rabattage devient primordiale.
 
Mise en place des équipes et rabattage, une chaîne humaine de très grande ampleur
 
Le jour est maintenant totalement levé, les flamants sont en passe de rentrer dans l’entonnoir. Les premiers arrivés se rendent compte du traquenard et tentent de faire demi-tour, les suivants leur foncent dedans sans comprendre, l’inévitable se produit : un tas de flamants. Un enchevêtrement de cous, de pattes et de corps, tout le monde est à terre dans un chaos assez effrayant. Il faut intervenir rapidement. On s’écarte, on relève rapidement les jeunes, heureusement tout le monde va bien. Une partie du groupe est déjà rentré dans l’enclos, les autres sont autorisés à déguerpir. Sur 3000 poussins présents, seuls 800 seront bagués.
 
 
Derniers instants du rabattage : on laisse une grande partie de la crèche s’échapper
 
 
Un petit répit dans l’organisation, quelques minutes à s’autoriser l’observation hypnotique de ces 800 êtres étranges tournant en rond, à présent séparés dans deux grands enclos. Et déjà les chefs d’équipes appellent leurs soldats. Chacun connait son poste et son rôle précis. Dans les grands enclos, des personnes sont chargées d’attraper les flamants et de les passer dans des minis enclos propres à chaque équipe. Les animaux sont ensuite passés de mains en mains, tour à tour bagués, mesurés (aile et tarse) et pesés. Des plumes sont prélevées, elles permettront de déterminer le sexe de chaque individu grâce à une analyse génétique. D’autres prélèvements sont effectués, sur un nombre plus restreint d’individus, pour des expériences à part. Des prises de sang par exemple, ou des prélèvements cloacaux. Et puis depuis l’année dernière, des expériences de comportements sont mises en place sur les jeunes durant le baguage. Certains individus passent ainsi des tests de personnalité. La partie la plus drôle consiste à placer le flamant par terre, sur le dos, et à chronométrer le temps qu’il met pour se relever. Si certains sont très réactifs et obligent les observateurs à leur courir après, d’autres semblent paralysés par cette position inhabituelle et restent bêtement posés au sol, cou et pattes tendus, parfaitement immobiles. Le test du crayon, qui consistait à provoquer l’agressivité des jeunes en approchant un crayon de leur tête, a été abandonné cette année. L’année dernière, les flamants se souciaient bien plus de pincer les gens qui les portaient que le crayon…
 
La moitié des poussins rabattus sont dans cet enclos, un deuxième contenant les 400 autres poussins
Prélèvement de plumes pour le sexage
Test de comportement : se relever quand on est sur le dos. Ce n’est pas gagné…
 
Chaque flamant ayant passé toutes les étapes obligatoires de son parcours, et éventuellement les dernières étapes optionnelles, est alors relâché dans l’entonnoir. La plupart sont épuisés par les évènements, et s’en vont tranquillement, s’allongeant parfois au sol quelques secondes avant d’avoir la force de partir. Les jeunes trop épuisés sont conduits dans une infirmerie, spécialement conçue à l’écart de l’agitation générale pour leur donner le répit nécessaire avant de reprendre la direction de la crèche.
 
Les flamants sont relâchés un par un au fur et à mesure
 
 
Huit cent flamants plus tard, c’est au tour des humains de remballer. Les enclos sont démontés, en quelques minutes, au grand dépit des personnes qui ont mis toute leur énergie et plusieurs semaines à les monter avant le baguage (croyez-moi, j’en ai fait partie !). Il n’est même pas 10h quand tout le monde reprend la direction des voitures, n’ayant en tête que le petit-déjeuner offert à quelques kilomètres de là en attendant le traditionnel grand banquet qui clôture l’évènement.
 
On casse tout et on remballe, le petit-déjeuner nous attend !
 
 
Ainsi se termine une des épopées les plus grandioses de mon été. Si vous souhaitez en savoir plus sur le baguage et tout ce qui concerne les flamants en Camargue, allez faire un tour sur ce site : http://flamingoatlas.org/
Vous y trouverez toutes les photos de toutes les années de baguages, de nombreuses informations, ainsi que la possibilité de… parrainer un flamant ! Mieux encore, le baguage a été filmé il y a quelques années, et la vidéo est disponible en ligne : http://youtu.be/ZZqyYB_VT9Y
 
 
Sophie Labaude
 
Crédits photo : Tour du Valat.

Les vacances d'une (autre) écologue: mission tourbière

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Les vacances des scientifiques…  à quoi ça peut bien ressembler ? Sophie vous en a donné un aperçu en vous contant ses aventures en Camargue. De mon côté, les vacances n’étaient pas au programme de l’été, mais ce n’est pas pour autant que l’aventure n’était pas au rendez-vous !

Si vous vous fiez à notre page de présentation, depuis un peu plus de 10 mois je travaille sur les tourbières, et plus particulièrement les tourbières du Jura. Cette année l’hiver a été très froid et plutôt long. Encore plus en altitude. Les tourbières du Jura sont restées sous la neige assez longtemps après la hausse des températures au mois de mars. Il a fallu encore plus de temps pour que l’activité reprenne dans cet écosystème qui s’était mis en veille tout l’hiver. Quelle activité ? Celle des micro-organismes dont je vous ai très brièvement parlé . Et c’est à ces petits amis qui ont pris leur temps pour se réveiller que je m’intéresse. C’est eux ma raison de me lever tous les matins depuis quelques mois. Et c’est encore eux qui ont accaparé mon attention tout cet été ! L’objectif de l’été est de prélever des carottes de tourbe pour ensuite faire des analyses et un suivi des communautés microbiennes en laboratoire afin de connaître l’effet du réchauffement climatique sur les bactéries et sur la capacité de stockage du carbone par les tourbières.
Le site expérimental sur lequel on prélève est situé à Frasne dans une réserve naturelle régionale et nationale. Plusieurs espèces protégées s’y développent comme la Drosera et l’Andromède.


Drosera rotundifolia (source)
Andromeda polifolia (source)



Mais pour que les chercheurs puissent faire avancer la science, un accord a été passé entre les responsables de la réserve et un groupe de laboratoire de recherche de façon à ce que le site soit classé Observatoire des Sciences de l’Univers, c’est-à-dire que les scientifiques ont l’autorisation d’y mettre en place des expériences afin de répondre à de grandes questions environnementales. Grâce à cet accord, en 2008, le laboratoire Chrono-environnement a pu mettre en place le ponton et un plan expérimental pour étudier l’effet du réchauffement climatique sur les tourbières. Ce plan expérimental (comme on peut le voir sur le schéma ci-dessous) est constitué de 12 placettes dont certaines sont mises sous serre grâce à un système appelé Open-Top-Chamber et qui permet d’appliquer un réchauffement moyen de 2 degrés, ce qui correspond à un réchauffement plausible à moyen terme. Ce site expérimental est unique en France mais il a été reproduit en Pologne et en Sibérie afin d’obtenir des données sur un gradient latitudinal. Ainsi si mes expériences sont concluantes, il faudrait les réitérer dans les 2 autres pays !

Schéma du site expérimental des tourbières de Frasne


Et voilà, c’est pour mes amis (bactéries, champignons et autres compères) des tourbières que je me suis levée à 5h le vendredi 28 juin dernier et que je suis partie en vadrouille sur les sentiers perdus de la Franche-Comté, plus précisément du côté de la ville de Frasne.

Carte du site, © V.Jassey
Accompagnée de deux stagiaires et d’une ingénieure du labo (notre Mac Gyver à nous !), on décolle à la première heure. Après presque 3h de route à passer de petites villes en villages, c’est vers 9h du matin que nous arrivons aux abords de la tourbière du Forbonnet. Là, il nous faut enfiler bottes et chaussures de marche, pantalon imperméable, prévoir parapluie et crème solaire (on ne sait jamais à quel temps on aura droit, même en plein été), emporter nos sacs remplis de flacons et pots en tout genre, couteaux de taille conséquente, sachets isothermes, glacière, et nous armer de toute notre motivation et de notre humour sans lequel une journée de terrain ne serait pas une journée de terrain !



Panorama du site (quand il fait beau!!!)
C’est parti !

Presqu’à l’image d’Indiana Jones, on brave quelques pontons glissants (la faute à la pluie de la veille), souches et branches d’arbres traîtres et on se démène pendant un peu plus de 20 minutes au beau milieu d’une forêt de pins en tentant de ne pas s’embourber dans la tourbe ! C’est qu’elle a faim la tourbe. Dès qu’on relâche notre attention ne serait-ce qu’une seconde, elle ne perd pas une occasion d’aspirer un pied, voire plus (quand elle a de l’appétit, ça peut aller jusqu’à la cuisse !)… De mon expérience, la sensation n’est absolument pas désagréable. On se laisserait presque prendre à ce doux massage si seulement les membres en cours d’aspiration ne commençaient pas à se refroidir très rapidement. La tourbe, surtout après un hiver long et froid, est à une température moyenne de 10°C et plus on s’enfonce, plus c’est froid. Donc, il ne faut pas s’endormir sur nos lauriers…. euh sur nos pins !
A gauche, vous pouvez voir la forêt de pins dans laquelle on a du évoluer pour arriver au but et à droite, un petit aperçu de ce dans quoi il nous est arrivé de plonger nos pieds

Arrivés sur notre ponton expérimental et sans plus attendre, on se répartit les tâches : qui prélève, qui annote, qui prend les photos, et qui vérifie les capteurs. La meilleure partie, c’est le prélèvement biensûr ! A chaque campagne, le mode de prélèvement doit être adapté à ce qu’on veut étudier sur les échantillons. Dans mon cas, j’ai besoin de carottes de 10*10*15 cm de profondeur (photo plus bas). D’autres avant moi n’ont prélevé que des échantillons de sphaignes (c’est la mousse qui pousse préférentiellement sur ces tourbières et que l’on voit sur la photo de la carotte), ou encore que des échantillons sur les 3 premiers centimètres de profondeur. Mes carottes vont servir à mettre en place plusieurs expériences au laboratoire, et comme ce coup-ci je travaille sur les bactéries, il faut que le prélèvement se fasse de façon la plus stérile possible. C’est pour ça que les pots s’apprêtant à recevoir les carottes ont été lavés à l’alcool, il en est de même pour les couteaux servant à trancher la tourbe. Et entre chaque prélèvement, les couteaux sont aussi stérilisés à l’alcool.

Pour prélever sur chacune des 12 placettes, je dois descendre du ponton et marcher à même la tourbe, qui ne perd pas une seconde pour s’enfoncer en m’emporter avec elle. Deux solutions se présentent à moi : soit je reste en permanence en mouvement, mais cela rend complexe le découpage et le prélèvement des carottes, soit je me sers du Peatsurf, autrement dit le surf des tourbières ! Je suis sûre que vous vous demandez ce que c’est…. Je vous préviens, vous allez être déçu par la simplicité de l’idée. Le peatsurf n’est rien de plus qu’un couvercle de poubelle sur lequel on monte quand on a besoin de marcher sur la tourbière. Il nous permet de mieux répartir notre poids au sol et donc de ne pas nous enfoncer et de rester au sec (ou presque). Cette idée de notre Mac Gyver tient du système D mais c’est suffisamment simple, judicieux et efficace pour être validé par quiconque doit prélever sur les tourbières. 
Une belle photo de mon peatsurf!
Pour chaque placette, il a fallu, avant-tout, trouver une zone représentative de l’ensemble de la placette, puis découper la carotte au couteau aux dimensions souhaitées (10*10 cm en surface) sur une profondeur minimum de 15 cm. A partir de là, on abandonne les couteaux et on passe en mode manuel. Il faut alors plonger les mains dans la tourbe (avec des gants lavés à l’alcool pour rester dans des conditions les plus stériles possibles) pour en sortir la carotte (photo ci dessous à gauche) d’à peu près 3 kilos saturée en eau. Une fois la carotte prélevée, on en profite pour collecter un échantillon d’eau au fond du trou (photo ci dessous à droite) laissé pour y analyser les bactéries présentes.






Autant vous dire qu’entre la position assez inconfortable, l’instabilité du peatsurf et la température plutôt rafraichissante de la tourbe, on fait en sorte d’être efficace pour ne pas avoir à y revenir 2 fois. En un peu moins de 3h, tous les prélèvements sont faits et les échantillons stockés en glacière. Il ne reste plus qu’à rapporter tout ça en laboratoire. 
Là où c’est moins drôle, c’est que les expériences prévues sur ses échantillons doivent se faire à Paris. Donc après avoir remballé nos affaires, fait le chemin inverse au milieu de la forêt de pins, des souches, de la tourbe et sur les pontons glissants, et repris la voiture en direction de la gare la plus proche, j’enchaîne avec 3h de train chargée de plus de 30 kilos de tourbe et une valise de matériel de laboratoire. Arrivée à 21h à Gare de Lyon, je retrouve les traditionnels problèmes de métro qui retardent mon arrivée au laboratoire où je dois stocker mes échantillons en chambre froide jusqu’au lendemain. Mais après beaucoup de patience, à 23h mes échantillons sont enfin au frais. Ils vont pouvoir passer 24h au calme, et moi je dois traverser Paris pour rentrer chez moi, dormir quelques heures et me reposer une journée tout au plus avant de revenir m’occuper de mes petits amis des tourbières.

Et donc, dimanche matin, 9h, au laboratoire BIOEMCO, à Créteil, nous sommes 3 pour faire face à ces 30 kg de tourbe et d’eau. Mes deux acolytes, un chercheur et une post-doctorante, se sont aussi armés de leur humour et de leur réserve de café, car ils savent que la journée va être longue. Et ce n’est pas peu dire…. Nous avons fini à 2h30 … du matin, presque sans avoir fait de pause. 


De droite à gauche: une partie des échantillons est mise à sécher; ils sont broyés; puis on leur applique plusieurs méthodes de microbiologie pour mesurer la diversité génétique, la diversité de métabolisme, l’activité et la respiration des bactéries;et enfin on récupère les échantillons en prévision d’autres analyses.
Comme tout chercheur en biologie le sait, le vivant n’attend pas, il continue son cycle, son évolution quoi qu’il se passe. C’est à nous de nous plier à ses contraintes et pas le contraire. Mais ces fameuses contraintes, c’est cela qui nous forge de merveilleux souvenirs. Et dire que de simples bactéries sont capables de déclencher de monstrueux fous rires à n’en plus finir.

Pour tout vous avouez, les jours suivants n’ont pas été de tout repos et loin d’être faciles. L’ensemble des expériences que j’avais prévues a duré 1mois et demi en continu et il m’en reste quelques bribes à finir jusque fin octobre. Mais je n’échangerai pour rien au monde ces vacances d’écologue contre des vacances à Bora-Bora !


Battle
 

Les vacances d’un zoologiste : les mâchoires de l’Arctique.

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Battle et Sophievous ont déjà parlé de leurs vacances en tant que scientifiques. Voici maintenant mon tour. Pour ceux qui me connaissent un peu, vous savez que ça va forcément parler de petites bêtes bizarres. Ceci dit c’est l’occasion de vous raconter comment on les trouve mais surtout, où on les trouve !

Parfois, en plaisantant, entre gens de notre laboratoire, nous nous faisons la remarque que notre recherche se rapproche de la cryptozoologie, l’étude des animaux légendaires. Notre  sujet d’étude est la méiofaune, les animaux microscopiques (j’en ai parlé dans cet article : Méiofaune). Pourquoi cela se rapproche t-il de la cryptozoologie ? Certains de ces animaux ne se trouvent qu’en très faible nombre dans des endroits parfois éloignés ou atypiques (abysses, grottes marines,  une plage perdue en Australie… Ou en France, bref). Pour un nombre considérable d’entre eux, leur morphologie est si étrange qu’on ne sait pas bien à quel groupe d’animaux déjà connus les assigner. Ils présentent des organes ou des structures qui n’existent nulle part ailleurs. L’un des animaux qui nous intéresse est le « Micrognathozoa » ou « Limnognathia ». On le trouve dans les mousses d’eau douce, jusque là rien d’impressionnant. Cependant sa présence a été rapportée à seulement deux endroits sur Terre : L’île Disko au Groenland (ou Qeqertarsuaq) et les îles Crozet, des îles sub-antarctiques.  Cet été nous sommes donc partis au Groenland chasser Limnognathia

Pour l’histoire, le Groenland appartient au royaume Danois. J’ai donc eu la chance de pouvoir aller voyager là bas en tant que thésard à l’université de Copenhague. Il y a, sur l’île Disko, une station scientifique appelée « Arktisk station », une annexe de l’université de Copenhague. C’est là que nous avons été hébergés et que nous avons installé notre laboratoire. Mais l’île Disko ne cache pas seulement Limnognathia mais aussi beaucoup d’autres animaux que l’on ne trouve que là bas (et nulle part ailleurs au Groenland). On y trouve aussi au littoral, en faible profondeur, un sable fin peu commun au Groenland. Reinhardt Kristensen, un des zoologistes qui a décrit les trois derniers phylums découverts (cf article méiofaune pour deux d'entre eux et mon autre blog pour le troisième) et qui a vécu plusieurs années au Groenland, nous a raconté cette légende Inuit : l’île Disko proviendrait originellement du sud du Groenland. Les pêcheurs de l’île auraient demandé à un personnage appelé « fille de la sorcière » de placer l’île plus au nord pour des raisons de commodité. Elle aurait demandé alors d’avoir la chevelure d’un nouveau né. La chevelure lui fut donc donnée et grâce à cela, elle harponna l’île, l’attacha à son kayak et en une nuit mena l’île jusqu’au nord. Certains détails de l’histoire m’ont échappé mais ce qu’il y a d’étonnant c’est que cette île possède en effet un climat partiellement sud groenlandais qui est du à un upwelling, ou remonté d’eaux chaudes profondes à la surface de la mer.

La station Arctique

Vous pouvez donc imaginer l’ambiance de la mission. Des étudiants excités à l’idée de traverser pour la première fois de leur vie le cercle polaire arctique, pour y trouver parmi les plus fascinants des animaux, et des professeurs tout aussi joyeux d’aller dans un endroit où ils ont fait parmi leurs plus importantes découvertes, pour le montrer à leurs étudiants plein de passion.

L’aventure commence enfin. Départ de Copenhague avec plus de 100kg de surpoids (plus plusieurs boites déjà envoyées à la station, les microscopes et autres équipements ça pèse). Après plusieurs heures d’avion et une première escale au Groenland, nous arrivons dans la ville d’Aasiaat où nous faisons la connaissance de nos premiers icebergs. Puis le lendemain nous naviguons entre les icebergs jusqu’à l’île Disko, durant ce voyage nous voyons nos premières baleines. Un des animaux les plus gros au monde… Pour notre part nous chassons un des plus petits. Une fois arrivés à la station scientifique, nous établissons le laboratoire. Pour l’instant tout a l’air propre (ce qui ne va pas durer), nous sommes prêts pour la récolte d’animaux en tous genres (et espèces !).


Malheureusement vous ne le voyez pas mais le labo donne sur les icebergs. Pas moyen de se plaindre.

Premier jour de travail, nous ne chômons pas. Un premier groupe part en bateau faire des échantillons. Quand à moi je reste avec deux de mes collègues (et amis), plongeurs, qui ont le grand courage d’aller faire de la plongée en tubas (avec des combinaisons bien sûr). N’étant pas plongeur moi-même, je reste pour les assister. Ils prélèvent plusieurs fois du sédiment et trient les organismes sur place grâce à un tamis. Cette méthode permet de récolter la « macrofaune » c’est à dire les organismes visibles à l’œil nu. Nous récoltons aussi des algues. En les « essorant » nous pouvons  y trouver pas mal de « méiofaune », ces animaux microscopiques.




Draguer demande parfois du courage. Nous rejoignons ensuite les autres dans le bateau. Cette fois ci nous prélevons de la vase grâce à une drague, un filet accroché à une armature qui racle le fond marin. Pas d’inquiétude ce n’est qu’une petite drague, pas de destruction massive des fonds marins (libre à vous de penser aux blagues que vous voulez, je n’ose pas faire les miennes). Alors que nous draguons (bonne ambiance dans l’équipe), subitement le bateau se met à basculer. Nous avons heurté un rocher. Les marins  relâchent immédiatement la tension puis remontent la drague, l’armature est totalement déformée. Impressionnés, nous discutons à propos de la force du choc. Nous avons eu de la chance que le câble ne lâche pas, cela peut facilement tuer quelqu’un (ce qui est arrivé, sans décès, quelques semaines auparavant).


Mise en place de la drague, n’essayez pas celle-ci dans les bars.


L’armature de la drague complètement déformée

La question qui se pose lorsqu’on étudie la méiofaune (ou des organismes de la vase) c’est comment récupérer les animaux, comment les séparer du sédiment ? Qu’allons-nous faire avec ces dizaines de kilos de vase ? On peut éventuellement  la passer au tamis mais soit la maille du tamis est trop petite et la vase le colmate (dans ce cas là on récupère trop de vase), soit il est trop gros et les plus petits organismes passent à travers. Une technique est de remuer les premiers centimètres de vase (dans l’eau à 4°C on essaye de ne pas faire ça trop longtemps avec nos mimines) pour mettre les organismes en suspension puis avec un petit filet à aquarium on filtre les premiers centimètres d’eau. Ainsi on récupère peu de vase et les organismes, qui flottent plus longtemps, sont récoltés. Ensuite direction le labo, loupe binoculaire, pipette ou pince pour récolter les organismes, livres d’identification, panoplie de produits chimiques (plus ou moins toxiques) pour préserver les organismes pour différents buts, et c’est partit pour le giga fun : « ohhhh regarde ce ver, il est joli », « Je comprends pas celui-ci colle avec aucune espèce décrite ici », « alors je vais t’expliquer comment identifier un Ophelidae » etc.

Puis vient le jour tant attendu, la chasse au Limnognathia ! Parmi les dizaines, si ce n’est centaines, de ruisseaux sur l’île, un seul est connu pour cacher notre proie. Nous prenons donc le bateau pendant 5 heures, un trajet calme et agréable entre les icebergs et les baleines. Nous arrivons finalement à notre point de récolte. Régulièrement nous entendons un son sourd, ce sont des icebergs se brisant au loin. Dur cependant de trouver celui qui se brise au milieu de cette abondance, ils couvrent en effet presque tout l’horizon. Nous accostons donc et remontons le ruisseau. Plus nous montons et plus ce dernier est discret. Au final il cours entre les mousses et ressemble seulement à un ensemble de petites mares. Dur de se dire qu’une des découvertes les plus importantes de la zoologie moderne s’y cache. Complètement survoltés nous n’arrêtons pas les blagues sur cet animal parmi les plus petits (invisible à l’œil nu) mais avec des mâchoires étonnement complexes :  « snif snif, je peux sentir le Limnognathia », « regardez, y’en a au moins deux dans cette marre », « ne buvez pas d’eau, vous risquez d’avoir des bouts de mâchoires entre les dents », « AAAAAH, un Limnognathia me tire vers le fond, aidez moiiiii ! » . Mais nous nous calmons vite, nous sommes assaillis par les moustiques. Motivés cependant, nous continuons. Nous devons prendre des mousses, les compresser et récolter le jus dans un tamis de 30µm (c’est que l’animal est petit !). Et parfois il faut se mouiller !

Maikon, notre post-doc téméraire, chassant le « petit animal à mâchoires » (Micrognathozoa) ou « les mâchoires lacustres » (Limnognathia). Gare aux jambes !

Chasser le Limnognathia avec un « soutient gorge de sirène » à la main (le tamis, oui on appelle ça « mermaid bra » !), le filet à moustique et la bouteille à prélèvement.

Après avoir fait nos récoltes (qui ont probablement divisé par deux la population de notre terrible animal à mâchoires), nous ramenons tous les échantillons sur le bateau. Sur le chemin du retour, nous faisons aussi quelque prélèvement de sédiment avec le « Mini Vann Veen », un outil cher au méiofauniste qui permet de récolter le sédiment en profondeur (pas les abysses non plus). Le principe est simple, une « pince » attachée à un câble est lâchée dans l’eau. En percutant le sédiment et avec son poids elle va se refermer et prélever le sédiment. A l’ouverture c’est toujours une surprise. Ca peut être « ah mince, ça c’est refermé avant de toucher le fond on a que de l’eau » ou « ah c’est trop vaseux, c’est de la merde ce sédiment » ou « OLALALALALA ! Regarde moi ce sable il est magnifique !!! Je suis sûr qu’on va y trouver plein d’animaux géniaux !!! Vite on re-prélève ! Vite vite avant qu’on perde la zone ! ». Oui, un des marins nous a pris pour des fous à nous émerveiller sur du sable. Voici une vidéo d’un de nos prélèvements (qu’on a effectué plus tard). Remarquez que malgré notre sérieux, il y a un temps de suspens et d’extrême curiosité au moment de l’ouverture de la pince… Et mince, c’est que de la vase…





Finalement nous abrégeons les prélèvements. Une tempête est prévue pour le retour. Même si celle-ci n’est pas effroyable, sur un petit bateau scientifique avec des vagues de plusieurs mètres secouant irrégulièrement de tous les côté, nous sommes quasiment tous pris d’un désagréable mal de mer. Même les plus téméraires !
Le lendemain il est temps de jeter un œil à nos échantillons. Premièrement le sable. Mais ici comment procéder ? Les animaux de la faune interstitielle (entre les grains de sable) ont en général des glandes adhésives et collent aux grains de sable. Le remuer ne sert donc pas à grand-chose vu que les animaux recouleront avec le sable. Comment donc les séparer ? On va les endormir ! Avec du chlorure de magnésium ! Après 10 minutes on les secoue énergiquement, puis, encore une fois on les filtre dans un soutien gorge de sirène ! On récupère ensuite « l’extraction » qu’on place dans une boite de pétri et hop, à la loupe binoculaire ! Encore une fois c’est la surprise. Il y a tous les états entre « Y’a vraiment rien dans cet échantillon, que des nématodes et des copépodes », « NON MAIS C’EST PAS POSSIBLE TOUS CES COPEPODES ET VERS PLATS !!! » « Oulà je crois que j’ai trouvé un ver intéressant mais je l’ai perdu » « cet échantillon est extraordinaire ! Je dois absolument y passer des heures, même au plus profond de la nuit, pour tous les récolter » (Haha, c’est un piège, il n’y a pas de nuit en été à Qeqertarsuaq !).


Deux vers cool que nous avons trouvé : Dinophilus taeniatus, la minuscule annélide et Diuronotus aspectos, le gastrotriche chaetonotide géant (600µm quand même !). Source: wikipédia.

La méiofaune classique est en général rigolote et cache une belle diversité. Puis le jour suivant on passe à la recherche deLimnognathia. Et c’est une autre histoire ! Évidement, notre directrice, professionnelle du domaine (et peut-être un peu chanceuse sur le coup) en trouve un grand nombre (comprenez quelque dizaines) très vite. Pour créer chez nous plus de frustration, pauvres étudiants inexpérimentés, aucun de nous n’a ensuite de bon échantillon. La journée fini donc en interminables lamentations pour trouver cette petite m***e blanche, nageant (donc jamais dans le champ de vision de la loupe binoculaire) lentement (donc quasi impossible à repérer au mouvement) et minuscule. Encore mieux, comme tout animal de la méiofaune qui se respecte, le transférer d’un récipient à l’autre c’est avoir une chance sur deux de le perdre. Quand on en trouve 3 dans une journée, y’a de quoi commettre un meurtre… Finalement nous en récoltons suffisamment (mais tout juste) après les efforts de 5 personnes sur 3 jours… Mais ça vaut le coup, traverser le cercle polaire Arctique pour voir un des animaux les plus rares et mystérieux au monde… Et mon chouchou en passant…

Pour vous convaincre que cet animal n'est pas le plus actif. Et encore, là y'en a plein c'est facile de les voir !

Et quand même, une vidéo à plus fort grossissement de notre star !


Quelques jours plus tard, nous avonsl’occasion de faire un prélèvement de plancton, c'est-à-dire laisser trainer un filet derrière le bateau. Nous effectuons aussi un prélèvement de sable « subtérranéen », c'est-à-dire profond sur une plage. Nous tentons pour la première fois de creuser un trou d’un mètre cinquante dans une plage perdue du Groenland pour y trouver des organismes. En effet, la faune qu’on trouve dans cette haute zone de la plage peut être très particulière avec des organismes très rares. C’est un moment très amusant, nous constatons qu’enfant sur la plage nous faisions des trous pour jouer et qu’en doctorat, on s’amuse toujours de la même manière. Après de sacrés efforts et une bonne poilade donc, nous atteignons enfin l’eau au fond d’un trou de ma taille… En voici une preuve :



Et après ce suspens interminable (et tous ces efforts), je vous révèle ce qu’on y a trouvé… Rien ! Enfin si, des copépodes et des nématodes… Mais ce n’est pas ce que l’on cherchait.

Nous rentrons ensuite avec tous nos échantillons que nous plaçons dans le container réfrigéré qui nous a été prêté. Avec tous ces prélèvements nous le remplissons très vite :

Et encore là on n’y a pas encore entreposé la jambe de bœuf musqué que nous allons déguster pour le repas de départ de nos professeurs (qui partirons un peu avant nous).

Voilà, c’est la fin de cette aventure scientifique. Nous avons eu la chance d’y voir plein de petites bêtes qu’il est difficile de trouver ailleurs dans le monde. Ca a été pour ma part un de mes voyages les plus enrichissants sur tous les plans. J’ai voulu insister ici sur l’aspect récolte et terrain, pour la part « zoologique », vous pouvez aller voir l’article que j’ai publié sur la méiofaune. Mais bien sûr je ne peux pas vous laisser sans quelques photos supplémentaires. Entre les paysages magnifiques, les lieux uniques, la faune marine super riche, les histoires Inuit etc. je pourrais encore tergiverser pendant longtemps… 


Le brouillard tombe sur Qeqertarsuaq.

Qeqertarsuaq au loin.

Un glacier derrière le village. Notez qu’il était environ 21h30… 
Un beau bateau devant les montagnes qui entouraient le village


Le village de Kangerluk, d’une cinquantaine d’habitants perdu dans le brouillard au fin fond du Groenland. Avec des carcasses de phoques dépecées qui nous attendent à l’entrée et les chiens de traîneau hurlant tous ensemble… Rassurant…

Un magnifique nudibranche que nous avions récolté. Oui il y a une faune marine colorée au Groenland.

Et pour fini, un coucher de soleil sur les Icebergs.

Pomme de reinette et pomme d'api, Jack O'Lantern et feuilles d'automne.

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C'est l'automne ! C'est la saison des pommes et des feuilles rouges et jaunes !
Fraîchement débarqué au Québec cette année, je suis bien obligé de reconnaître que l'automne au Canada n'a pas volé sa réputation et que les couleurs sont au rendez-vous. La preuve en image !

Petit aperçu des couleurs de l'automne au Québec

Mais c'est aussi le temps de la récolte de divers fruits : au Québec, on ramasse en famille ou entre amis des quantités considérables de pommes avant l'hiver, histoire d'avoir des fruits bien juteux à se mettre sous la dent lorsque la neige arrivera. En France, on célèbre septembre avec les vendanges et la récolte du raisin. Sans oublier l'arrivée de l'Halloween, fin octobre, à qui l'on doit les nombreuses citrouilles d'un bel orange dans les rues des pays à influence anglo-saxonne...

En haut à gauche, le ramassage des pommes (source) ; en bas à gauche, le raisin mûr des vendanges (source) ; à droite, une belle citrouille d'Halloween (source)

Mais pourquoi je parle de tout ça ? Quel rapport entre les feuilles rouges et les citrouilles, mis à part le fait que tout ça se retrouve à l'automne ? Eh bien, ce sont les couleurs ! Car oui, maintenant qu'on y pense, tous ces végétaux n'ont pas la traditionnelle couleur verte qu'on associe aux plantes. Alors, à quoi sont dues toutes ces couleurs ? Quels sont les mécanismes qui se cachent derrière cette débauche de teintes allant du rouge au jaune en passant par le orange ? Et surtout, quels sont les avantages évolutifs que ces couleurs confèrent aux plantes?
Commençons par nous pencher sur la question du changement de couleur des feuilles des arbres. D'abord, à quoi est due la couleur verte des feuilles au printemps et en été? Au pigment appelé chlorophylle. J'en ai déjà parlé dans cet article là qui date d'il y a un petit moment déjà.
Où se situe la chlorophylle dans les feuilles ? Déjà, il faut savoir qu'une feuille est un organe complexe, organisé en couches.

Coupe d'une feuille (source)

Ce qu'on peut voir sur le schéma précédent, c'est que la couche centrale de la feuille, appelée mésophylle, ou parenchyme,  est le lieu où se situent les cellules responsables de la photosynthèse. Les cellules sont organisées de la manière suivante.

Une cellule végétale, avec les chloroplastes en vert (source)

Dans la cellule, l'organite responsable de la photosynthèse est le chloroplaste (en vert sur la photo précédente). En général, il y en a plusieurs par cellule. Les chloroplastes contiennent des structures en mille-feuilles, appelées les thylakoïdes : ce sont des membranes superposées les unes sur les autres. C'est dans ces membranes que sont incluses les molécules de chlorophylle, qui vont permettre la photosynthèse.

Un chloroplaste, reconstitué en trois dimensions (source)


A présent, je vais (un peu) entrer dans les détails concernant la structure biochimique de la chlorophylle. D'abord il faut savoir qu'on trouve deux types de chlorophylles, les chlorophylles A et B (photo) qui ont une structure très proche l'une de l'autre (elles ne diffèrent que par quelques atomes, représentés par la lettre R sur la figure).

Les deux types de chlorophylle (source)

La chlorophylle, associée à d'autres molécules aux noms tous plus compliqués les uns que les autres dans un ensemble appelé le photosystème, va avoir le rôle de "capteur de photons" (les photons sont les ondes-particules constitutives de la lumière). L'énergie de ces photons sera ensuite utilisée par la plante pour produire au final des sucres et du dioxygène. Mais avant cela, la plante emmagasine l'énergie sous forme chimique, dans des molécules possédant un fort "pouvoir énergétique" - c'est à dire qu'elles libéreront beaucoup d'énergie lorsqu'elles seront utilisées ultérieurement.

Utilisation de l'énergie solaire par les photosystèmes (source)
Sur ce schéma, l'énergie provenant du photon est transférée aux photosystèmes I et II (où se trouvent des molécules de chlorophylle). L'énergie provenant du photon va "exciter" la chlorophylle, qui va perdre un électron, et cet électron va servir à emmagasiner de l'énergie dans les molécules stockeuses d'énergie, qui sont le NADPH et l'ATP. Au final, la chlorophylle récupère son électron perdu en utilisant une molécule d'eau. Toutes ces réactions sont appelées la "phase claire" de la photosynthèse, car elles se déroulent à la lumière. Les sucres seront synthétisés lors de la "phase sombre", constituée d'une série de réactions dont je ne vais pas parler ici.
Ah au fait, pourquoi les feuilles sont elles vertes en été ? Le vert est donné par la couleur de la chlorophylle. En effet, comme je l'ai dit plus haut, la chlorophylle va absorber l'énergie des photons... mais pas de tous les photons ! Elle est très sélective : seuls les photons "bleus" et "rouges" l'intéressent*. Les autres photons, ceux de "couleur verte", sont réfléchis par la chlorophylle... et donc par conséquent, nous voyons les feuilles des arbres vertes.

Spectre d'absorption des chlorophylles A et B (source)

La photo précédente montre le spectre d'absorption de la chlorophylle : les pics correspondent aux longueurs d'onde des photons qui sont les mieux utilisés par la chlorophylle. Vous remarquez que la courbe fait un "creux" au niveau des photons "verts" : c'est parce qu'ils ne sont pas absorbés par la chlorophylle !
Bon et maintenant, que se passe-t-il à l'automne ? Je n'ai toujours pas répondu à la question du changement de couleur!
Comme vous le savez certainement, à l'automne, il fait plus froid. Mais il y a encore assez de lumière solaire pour que les plantes continuent à réaliser la photosynthèse... le problème, c'est que lorsque la température diminue, l'efficacité de la chlorophylle diminue aussi, et la plante devient stressée car elle a trop d'énergie solaire qui lui arrive alors qu'elle ne peut pas l'utiliser ! Et là c'est le drame, elle fait une overdose d'énergie, si l'on peut dire : on observe un phénomène appelé photo-inhibition. Suite à ce trop-plein d'énergie, la photo-inhibition va conduire à la destruction des structures cellulaires, via toute une série de réactions que je ne vais pas expliquer ici. Entre autre, cela fait intervenir des radicaux libres, que l'on appelle aussi "Oxygène actif" (et les tâches s'évanouissent… pardon, c'est hors sujet) tels que l'eau oxygénée H2O2et l'oxygène singulet (voir les pages wikipédia en anglais pour la photo-inhibitionet en français pour les radicaux libres). Et ça, vous l'aurez deviné, ce n'est pas bon DU TOUT pour la plante, car la mise en place de la chlorophylle a un coût énergétique élevé. Or, c'est l'automne, bientôt l'hiver, la plante à autre chose "en tête" que de devoir reconstruire des structures abimées.
On observe que la chlorophylle est préservée lorsque les feuilles prennent un coloration rouge, grâce aux anthocyanes, qui sont aussi des pigments végétaux très communs (ce sont eux qui donnent leurs couleurs aux fleurs ou aux fruits).

Formule générale d'une molécule d'anthocyane. Les lettres R sont des groupements d'atomes qui varient selon les différentes molécules d'anthocyanes (source)
Mais attention ! les anthocyanes ne se situent pas dans le chloroplaste comme la chlorophylle, mais dans la vacuole de la cellule. Ce sont des composés solubles.
Et donc, ces petites molécules vont agir comme filtres pour protéger la fragile chlorophylle d'une trop forte intensité lumineuse. Et si les feuilles deviennent rouges, c'est parce que les anthocyanes absorbent tous les photons "verts" mais laissent passer les photons "rouges" et "bleus" qui sont utiles à la chlorophylle.

Spectres d'absorption des chlorophylles et d'un anthocyane (source)

Comme la chlorophylle n'absorbe pas strictement tous les photons qu'elle reçoit, la couleur que nous percevons est la couleur rouge des photons non absorbés. En revanche, les anthocyanes absorbent tous les photons "verts" pour protéger efficacement la chlorophylle.
Bon ! A présent, nous savons comment et pourquoi les feuilles sont rouges en automne.
Et les citrouilles alors ? D'où vient ce bel orange vif ? Est ce que ce sont des anthocyanes dilués qui sont responsables de la couleur ?
Eh bien pas du tout ! Là encore, d'autres pigments sont mis en cause : il s'agit des caroténoïdes, que l'on trouve beaucoup dans... les carottes, c'est bien, y en a qui suivent toujours dans le fond. Et ceux qui ont parcouru le blog de fond en comble me diront qu'on en trouve aussi chez les Flamants Roses. Ces pigments, quant à eux, ne se trouvent pas dans les vacuoles des cellules mais dans les chromoplastes, qui sont en quelque sorte des chloroplastes sans chlorophylle, et qui colorent les structures végétales (chromo signifie "couleur" en Grec) plutôt qu'à faire la photosynthèse. Et c'est pareil chez la plupart des fruits : pommes, oranges, citrons, etc. La variation de couleur entre le rouge et le jaune dépend du type de caroténoïde précis (il en existe de nombreux très semblables qui diffèrent seulement par un atome ou deux... ce qui suffit à changer leurs propriétés en terme de couleurs !). Dans le cas des fruits, ces couleurs servent à les rendre attractifs pour les animaux frugivores (et aussi pour Monsieur et Madame Tout-le-monde qui vont faire leurs courses au supermarché du coin), car n'oublions pas que les fruits sont les structures qui sont responsables de la dissémination des graines et donc, des futures plantes.

Variation de couleurs chez les citrouilles (source)

Voilà, maintenant, vous saurez pourquoi les feuilles sont rouges en été, et pourquoi les citrouilles sont oranges lors de l'Halloween !

* rappelons que la lumière blanche produite par le Soleil est constituée en réalité de différentes ondes électromagnétique visibles, qui possèdent différentes longueurs d'ondes, et qui additionnées les unes aux autres donnent la lumière blanche.

Bibliographie :

David W. Lee and Kevin S. Gould. Why Leaves Turn Red: Pigments called anthocyanins probably protect leaves from lightdamage by direct shielding and by scavenging free radicals. American Scientist, Vol. 90, No. 6 (NOVEMBER-DECEMBER 2002), pp. 524-531


Hock-Eng Khoo, K. Nagendra Prasad, Kin-Weng Kong, Yueming Jiang and Amin Ismail. Carotenoids and Their Isomers: Color Pigments in Fruits and Vegetables. Molecules2011, 16, 1710-1738

De l’utilité de créer son propre zombie…

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...Ou le monde fabuleux des parasites manipulateurs


Si la fête d’Halloween nous a amené sa ribambelle de monstres en tous genres, je vous propose aujourd’hui de rester dans le thème et parler des zombies. Attention, pas ces zombies snobs qui se pavanent dans des films grotesques comme «  Shaun of the Dead » ou « Warm bodies »… Ces humains complètement gaga et tout baveux se croient célèbres sous prétexte qu’ils apparaissent dans une poignée de longs métrages (quelques 350 selon Wikipédia, pas de quoi en faire toute une histoire…), alors qu’au fond, à part terroriser les foules, ils ne servent pas à grand chose. Un bon zombie est un zombie utile ! C’est un zombie prêt à tout pour servir son créateur, y compris se jeter littéralement dans la gueule du loup.


(Source)


Qui a besoin des zombies ?


En tant qu’être humain, il faut avouer qu’un zombie a une utilité relativement limitée. Des personnes pour faire le travail à notre place, on en a déjà. Nos gosses, nos employés, nos chiens s’ils sont bien dressés… Et puis la technologie fait des miracles, les ordinateurs et robots s’occupent de presque tout à l’heure actuelle, sans même qu’on s’en aperçoive. Mais il existe des créatures qui ont un besoin crucial d’un autre individu pour les maintenir en vie. Je ne suis pas en train de parler de Voldemort qui squatte le crâne de ce pauvre professeur Quirrell, mais finalement l’exemple se rapproche pas mal de la réalité. Si vous n’avez pas compris ma dernière phrase (mais vous vivez où ?!), brève explication. Voldemort (l’ennemi de Harry Potter, le mec qui vit sous un escalier), est un sorcier anéanti, incapable de se fabriquer un corps comme tout un chacun avec ce qu’il faut pour se déplacer, trouver de la nourriture, communiquer, etc. (bon, par la suite il reprendra du poil de la bête). Pour survivre, il habite littéralement le corps d’un hôte humain, et non seulement il puise en lui les ressources nécessaires pour survivre, mais en plus il le mène à la baguette (de sorcier !) pour lui faire faire ce qu’il veut (tenter de tuer des mômes par exemple). Hé bien finalement, c’est exactement ce que font nos créatures zombifiantes du jour : les parasites manipulateurs.

Les parasites sont des créatures qui vivent aux dépens d’autres êtres vivants (les hôtes). Les parasites les plus intéressants (et je ne dis pas ça parce qu’ils constituent le sujet de ma thèse), sont les parasites dit « hétéroxènes », c'est-à-dire qu’ils ont besoin de plusieurs hôtes successifs pour boucler leur cycle de vie (naitre, grandir, se reproduire). Par exemple, la très célèbre petite douve du foie Dicrocoelium dendriticum va vivre une partie de sa vie dans des escargots, puis va passer chez des fourmis via la bave du gastéropode, et finir son cycle dans des mammifères herbivores, comme des vaches ou des moutons.



Cycle de vie de la petite douve du foie (Source)


La photo de notre très sexy petite douve... (Source)


Quel est le rapport entre les parasites et les zombies ? Hé bien, prenons notre petite douve du foie, qui est minuscule et qui ne sait même pas marcher. Pauvre petit être sans défense, comment ferait-elle toute seule, perdue dans la nature immense et hostile, pour repérer son mouton, lui sauter dessus et forcer l’intrusion dans son organisme ? Mission impossible. La douve utilise une méthode bien plus subtile… La fourmi possède des pattes, elle. Et puis elle pourrait s’approcher des moutons en grimpant en haut des brins d’herbes… La douve, comme beaucoup de parasites, est devenue l’illustration même de la célèbre maxime « on n’est jamais mieux servi que par quelqu’un d’autre ». Et la pauvre fourmi, zombifiée, dirigée par son impitoyable tortionnaire, va bravement aller se faire dévorer par des moutons…


Les grandes stars


Les parasites qui « dictent » à leur hôte de se faire dévorer par le prochain hôte, on en trouve à foison dans la nature. L’exemple de la douve est très connu. Parmi les grandes célébrités, nous avons aussi Leucochloridium paradoxum. Ce ver plathelminthes, qui habite d’abord dans un escargot, doit finir son cycle dans un oiseau. Ces derniers, bien que prédateurs, ont malheureusement une préférence pour des chenilles. Qu’à cela ne tienne, le ver va induire une transformation des yeux de l’escargot en une réplique quasi parfaite de la nourriture favorite de l’oiseau ! Et pour plus d’efficacité, l’escargot attendra sagement bien en évidence en pleine lumière qu’un oiseau vienne lui picorer les yeux. Jetez un œil ici pour plus de détails et explications sur le lugubre calvaire du pauvre gastéropode.



En continuant dans la lignée des grandes stars de la manipulation, vous avez peut être déjà croisé ces images de fourmis au derrière si rouge et si gonflé qu’il ressemble à s’y méprendre à une baie, très alléchante pour les oiseaux… La faute au nématode Myrmeconema neotropicum, qui, comme vous l’aurez deviné, finit également son cycle chez un oiseau.


L'abdomen de ces fourmis, noir à l'origine, se teinte de rouge et se détache 14 fois plus facilement du reste du corps quand l'animal est parasité (Sources ici et )



Plus de subtilité pour une perfide efficacité


Pour beaucoup de mes lecteurs, les exemples que je viens de citer ne sont pas une nouveauté. Scientifiques comme grand public apprécient la magie des lugubres transformations de ces zombies, digne de films de science fiction. Mais ces extravagances détournent l’attention des œuvres de la grande majorité des parasites manipulateurs, beaucoup plus subtiles dans leurs procédés. Sans compter qu’un hôte intermédiaire (le zombie) ne sert pas uniquement de véhicule vers l’hôte final : il a des ressources à exploiter.

Petit descriptif des caractéristiques et panel d’options à disposition des parasites, logés bien au chaud dans leur hôte. Voici, pour illustrer, une brochure publicitaire trouvée chez un concessionnaire d’hôtes intermédiaires à l’usage des parasites acanthocéphales et trématodes :


« Tenez-vous bien, on a ici le nec plus ultra. Au sein de votre zombie, moelleux et de tout confort, vous pourrez vous développer à votre rythme sans difficulté, puisant dans votre hôte toutes les ressources dont vous aurez besoin [1]. Les zombies de luxe sont pourvus d’options pour moduler la quantité et qualité de ressources disponibles [2-3]. Votre zombie vous baladera tranquillement au gré de ses mouvements, vers une destination que vous pourrez choisir vous-même [4], jusqu’à ce que vous soyez prêts à vous en séparer. Vous pouvez activer l’option « protection anti-prédateur » [5-6-7], qui vous assurera une plus grande sécurité durant votre développement, réduisant la probabilité que votre zombie (et vous avec) se fasse dévorer. Une fois au dernier stade de votre développement avant votre prochain hôte, vous pourrez activer l’option « se faire volontairement bouffer » pour atterrir sans le moindre effort directement à l’intérieur même de votre hôte suivant [8-9-10-11]. Je vous conseille de choisir, lors de l’activation de cette option, des paramètres adaptés à votre future hôte, histoire de ne pas se faire dévorer par la mauvaise espèce [4-12].»


Des fourmis, contrôlées par des parasites, deviennent des véhicules de luxe tout-équipés (Source)


L’exemple des gammares et des acanthocéphales


Cette description est bien jolie mais on se demande toujours quels sont les traits concrètement modifiés chez les hôtes zombifiés. Pour illustrer ça, je vais prendre un des exemples préférés des chercheurs qui bossent sur la manipulation parasitaire, et qui accessoirement constitue le cœur de mon sujet de thèse : les gammares, parasités par des acanthocéphales.

Les gammares sont des petits crustacés très abondants dans nos rivières, avec de nombreuses espèces présentes en Europe. Ils constituent le repas de nombreux prédateurs : oiseaux, amphibiens, créatures vertébrées qui peuplent nos rivières (ouais, ce qu’on appelle vulgairement « poissons » quoi)… Et ils sont également l’hôte intermédiaire de nombreux parasites, dont plusieurs espèces du groupe des acanthocéphales. En général, les acanthocéphales ont pour hôte final un poisson ou un oiseau selon les espèces. Ils se reproduisent dans le tube digestif de ces hôtes, et pondent des œufs qui seront libérés dans le milieu avec les fèces de l’animal. Les gammares vont à leur insu consommer ces œufs, et permettre au parasite de se développer. Celui-ci passera par deux stades distincts. Seul le deuxième est viable pour être transmis à l’hôte final. L’intérêt pour le parasite est donc de grandir tranquillement dans le gammare jusqu’à atteindre ce deuxième stade, puis de laisser son hôte gammare se faire dévorer par un oiseau ou un poisson pour retrouver le lieu propice à la reproduction, et boucler le cycle.

Le parasite acanthocéphale (genre Polymorphus) est ici très clairement visible à travers la cuticule de ce gammare Gammarus lacustris (Source)

Cycle de vie d'un acanthocéphale ayant pour hôte final un poisson et pour hôte intermédiaire un gammare


Premier constat des chercheurs : les gammares qui abritent des parasites sont plus enclins à se faire dévorer par les prédateurs [10-9]. Des dizaines d’études se sont alors penchées sur le sujet : qu’est-ce qui change entre un gammare sain et un gammare parasité qui mènerait à cette différence de prédation ? Petit listing non exhaustif.

Tout d’abord, la couleur du gammare change, puisque les acanthocéphales, d’une couleur allant du jaune au rouge, sont visibles par transparence [13-14]. Mais plus que l’apparence, ce sont les changements de comportements qui intriguent. Les gammares, vivant d’ordinaire dans le fond des rivières et dans des endroits sombres et abrités, sont subitement attirés par la lumière [15-16], se mettent à nager en surface [17-18] et dédaignent les refuges [9-10]. Le tout en s’agitant bien plus qu’à l’ordinaire [16]. En somme, ils deviennent très faciles à repérer par les prédateurs. Et puis plutôt que d’aller se fondre dans la masse de leurs congénères pour passer incognito, ils se la jouent subitement solitaire [19-20]. La manipulation va pourtant bien plus loin que ça : non content d’être bien repérables, les gammares parasités vont développer une affinité avec… leur prédateur lui-même. Si leurs congénères sains (d’esprit…) vont rapidement se mettre à couvert quand ils détectent une odeur de prédateurs, nos gammares parasités vont y être irrémédiablement attirés… [8-9-10]

Pour pousser la subtilité encore plus loin, rappelez-vous que les parasites ont un intérêt à ce que leur hôte gammare se fasse dévorer seulement quand ils ont eux-mêmes atteint leur deuxième stade de développement. Hé bien tant qu’ils sont au premier stade, la manipulation va quand même s’observer mais… dans l’autre sens ! Pour faire simple, le parasite va modifier le comportement du gammare d’une manière menant à une réduction de ses chances qu’il se fasse croquer par un prédateur. Les gammares vont par exemple passer plus de temps à l’abri [6]. Et puis il y a aussi l’histoire du mauvais prédateur : c’est bien beau d’être repérable, mais si le gammare se fait manger par un poisson alors que le parasite doit se développer dans un oiseau, ça ne sert pas à grand-chose… Hé bien même à ce niveau-là le parasite semble avoir trouvé la parade. Par exemple, des variations temporelles peuvent être observées : les gammares seraient ainsi attirés vers la surface seulement la nuit, ou le jour, menant respectivement à une prédation par des animaux nocturnes ou diurnes [4]. Sans compter que les comportements modifiés sont différents selon l’hôte final visé, menant effectivement à une prédation plus importante par le « bon » hôte [10].


Au premier stade de leur développement, les acanthocéphales rendent leurs hôtes gammares plus résistants à la prédation (Source)


Adaptation ou effet secondaire ?


Par soucis de vulgarisation, j’ai présenté l’effet des parasites sur leurs hôtes de manière très déterministe et finaliste. Cependant, à l’heure actuelle et malgré des dizaines d’années d’études sur les parasites manipulateurs, la question se pose toujours (et peut être même plus encore) sur le caractère adaptatif de ces modifications [21]. Est-ce que les comportements des hôtes parasités ont vraiment évolué parce qu’ils apportaient un bénéfice au parasite ? Ou est-ce que ces modifications ne sont que des effets secondaires induits par l’infection, pas forcément bénéfique pour le parasite, ni même pour l’hôte ?

La question n’a pas de réponse précise à l’heure actuelle, mais il semble que les deux hypothèses soient valables selon le trait qu’on considère. Certaines études ont par exemple montré que le changement d’apparence de nos gammares n’avait pas d’effet sur ses chances d’être prédaté [14], de quoi tordre le cou à l’explication adaptative. De même, les comportements d’ordre global (modification de l’activité générale de nos animaux par exemple) pourraient n’être qu’une conséquence physiologique de l’infection, détectable quelque soit le parasite (y compris ceux qui ont un cycle de vie simple). En revanche, la spécificité de certaines modifications de comportement donne des points à l’explication adaptative. Par exemple, le comportement d’un gammare sera modifié différemment selon qu’il est parasité par une espèce qui veut terminer sa vie dans un oiseau, ou dans un poisson, et cette différence va effectivement mener à un risque de prédation plus grand, respectivement par des oiseaux ou des poissons [10]. De plus, la manipulation inversée au cours du premier stade du développement du parasite soutient également une évolution liée aux bénéfices pour le parasite à modifier le comportement de l’hôte. Toujours est-il que la question reste entièrement ouverte, les parasites affectant en général simultanément de nombreux traits de l’hôte, les deux explications pouvant être également simultanément tout à fait plausibles.


Faut-il craindre les parasites manipulateurs ?


En dépits de leurs pratiques qui peuvent paraître lugubres, les parasites manipulateurs sont connus pour jouer un rôle important dans les écosystèmes [22], du fait notamment de leur capacité à modifier les relations biotiques. Cependant, quand ces relations biotiques font intervenir l’homme, c’est une autre histoire.

La malaria, ou paludisme, est une maladie due à un parasite unicellulaire du genre Plasmodium, et qui causerait chez l’humain près d’un million de morts par an. Vous imaginez alors l’intérêt de comprendre tout le cycle de ce parasite, en termes d’applications préventives par exemple. Ce parasite est transmis à l’homme via le moustique. Et si ces derniers sont souvent largement blâmés pour être le vecteur de cette terrible maladie, ils n’y sont relativement pour rien. Et même pire : le parasite va pousser le moustique à nous contaminer… Des études ont ainsi montré que le parasite vampirise encore plus les moustiques, qui non seulement vont se mettre à piquer bien plus de gens, mais en plus vont être du genre collant, se nourrissant plus longtemps sur chaque victime [23]. Le parasite bénéficie donc à la fois d’un plus grand nombre d’hôtes potentiels, et aussi de plus de temps pour opérer le changement d’hôte… Ce caractère manipulateur du parasite est malheureusement encore trop ignoré dans les modèles épidémiologiques.


Le moustique, vecteur du parasite de la malaria, voit son comportement de nourrissage modifié sous l'emprise de ce parasite, augmentant sa probabilité de transmission (Source)


Deuxième exemple avec un autre protozoaire, le parasite Toxoplasma gondii, qui est responsable chez l’humain de la toxoplasmose. Le cycle classique de ce parasite comprend un hôte intermédiaire, souvent le rat, et un hôte final, le chat, au sein duquel il se reproduit. Comme vous l’aurez deviné, un rat infecté va présenter des modifications comportementales augmentant sa probabilité de se faire croquer par le matou du coin… [24] En d’autres termes, nos rongeurs infectés vont soudainement être attirés par leur ennemi mortel ! Si vous vous étonnez que votre chat d’ordinaire paresseux et incapable vous ramène une belle proie, prenez garde… Même si l’humain ne fait pas partie du cycle classique du parasite, il peut tout à fait être infecté. Si contrairement à une idée reçue, la transmission ne se fait pas par simple contact avec votre animal, une ingestion impromptue de fèces (vous vous touchez le visage après avoir changé la litière du chat…) est vite arrivée (si, si !). Et même si les humains sont une voie sans issue pour le parasite, les patients affectés présentent une personnalité et un niveau de QI altérés… [25] Quand aux parasites responsables de la malaria, ils auraient également un effet sur nous, rendant les humains plus alléchants pour les moustiques... [26] Considérant le nombre important de parasites en tous genres capables de nous infecter, on a de quoi se poser des questions… Sommes-nous en permanence sous l’emprise d’une maléfique manipulation ? Sommes-nous finalement déjà tous des zombis ?...


Des souris qui aiment les chats, ça existent. Elles ne sont pas forcément masos, mais probablement sous l'emprise d'un parasite tel que celui de la toxoplasmose qui les pousse à aller se faire dévorer (Source)



Bibliographie :

  • [1] Benesh, D. P. & Valtonen, E. T. 2007. Effects of Acanthocephalus lucii (Acanthocephala) on intermediate host survival and growth: implications for exploitation strategies. Journal of parasitology, 93, 735–741.
  • [2] Gaillard, M., Juillet, C., Cézilly, F. & Perrot-Minnot, M.-J. 2004. Carotenoids of two freshwater amphipod species (Gammarus pulex and G. roeseli) and their common acanthocephalan parasite Polymorphus minutus. Comparative biochemistry and physiology. Part B, Biochemistry & molecular biology, 139, 129–136.
  • [3] Minchella, D.J., Leathers, B.K., Brown, K.M. & McMair, J.N. 1985. Host and parasite counteradaptations: an example from a fresh-water snail. American Naturalist, 126, 843–854. 
  • [4] Lagrue, C., Kaldonski, N., Perrot-Minnot, M.J., Motreuil, S. & Bollache, L. 2007. Modification of hosts’ behavior by a parasite: field evidence for adaptive manipulation. Ecology, 88, 2839–2847. 
  • [5] Hammerschmidt, K., Koch, Milinski, K.M., Chubb, J.C. & Parker, G.A. 2009. When to go: optimization of host switching in parasites with complex life cycles. Evolution, 63, 1976–1986. 
  • [6] Dianne, L., Perrot-Minnot, M.-J., Bauer, A., Gaillard, M., Léger, E., Rigaud, T. & Elsa, L. 2011. Protection first then facilitation: a manipulative parasite modulates the vulnerability to predation of its intermediate host according to its own developmental stage. Evolution, 65, 2692–2698. 
  • [7] Médoc, V. & Beisel, J.-N. 2011. When trophically-transmitted parasites combine predation enhancement with predation suppression to optimize their transmission. Oikos, 120, 1452–1458. 
  • [8] Baldauf, S.A., Thünken, T., Frommen, J.G., Bakker, T.C.M., Heupzl, O. & Kullmann, H. 2007. Infection with an acanthocephalan manipulates an amphipod’s reaction to a fish predator’s odours. International Journal for Parasitology, 37, 61-65. 
  • [9] Perrot-Minnot, M.-J., Kaldonski, N. & Cézilly, F. 2007. Increased susceptibility to predation and altered anti-predator behaviour in an acanthocephalan-infected amphipod. International journal for parasitology, 37, 645–51. 
  • [10] Kaldonski, N., Perrot-Minnot, M.-J. & Cézilly, F. 2007. Differential influence of two acanthocephalan parasites on the antipredator behaviour of their common intermediate host. Animal Behaviour, 74, 1311–1317. 
  • [11] Carney, W.P. 1969. Behavioral and morphological changes in carpenter ants harboring dicrocoeliid metacercariae. The American Midland Naturalist Journal, 82, 605–611. 
  • [12] Webber, R.A., Rau, M.E. & Lewis, D.J. 1987. The effects of Plagiorchis noblei (Trematoda: Plagiorchiidae) metacercariae on the susceptibility of Aedes aegypti larvae to predation by guppies Poecilia reticulata and meadow voles (Microtus pennsylvanicus). Canadian Journal of Zoology, 65, 2346–2348. 
  • [13] Bakker, T. C. M., Mazzi, D., & Zala, S. 1997. Parasite-induced changes in behavior and color make Gammarus pulex more prone to fish predation. Ecology, 78, 1098–1104. 
  • [14] Kaldonski, N., Perrot-Minnot, M.-J., Dodet, R., Martinaud, G. & Cézilly, F. 2009. Carotenoid-based colour of acanthocephalan cystacanths plays no role in host manipulation. Proceedings. Biological sciences / The Royal Society, 276, 169–76. 
  • [15] Bauer, A., Trouvé, S., Grégoire, A., Bollache, L. & Cézilly, F. 2000. Differential influence of Pomphorhynchus laevis (Acanthocephala) on the behaviour of native and invader gammarid species. International journal for parasitology, 30, 1453–7. 
  • [16] Maynard, B.J., Wellnitz, T.A., Zanini, N., Wright, W.G., Dezfuli, B.S. 1998. Parasite-altered behaviour in a crustacean intermediate host: field and laboratory studies. Journal of Parasitology,84, 11062-1106. 
  • [17] Haine, E. R., Boucansaud, K. & Rigaud, T. 2005 Conflict between parasites with different transmission strategies infecting an amphipod host. Proceedings of the Royal Society B, 272, 2505–2510. 
  • [18] Bauer, A., Haine, E.R., Perrot-Minnot, M.J. & Rigaud, T. 2005. The acanthocephalan parasite Polymorphus minutus alters the geotactic and clinging behaviours of two sympatric amphipod hosts: the native Gammarus pulex and the invasive Gammarus roeseli. Journal of Zoology, 267, 39–43. 
  • [19] Durieux, R., Rigaud, T., & Médoc, V. 2012. Parasite-induced suppression of aggregation under predation risk in a freshwater amphipod. Behavioural Processes, 91, 207–213. 
  • [20] Lewis, S. E., Hodel, A., Sturdy, T., Todd, R. & Weigl, C. 2012. Impact of acanthocephalan parasites on aggregation behavior of amphipods (Gammarus pseudolimnaeus). Behavioural processes, 91, 159–63. 
  • [21] Thomas, F., Adamo, S. & Moore, J. 2005. Parasitic manipulation: where are we and where should we go? Behavioural processes, 68, 185–99. 
  • [22] Lefèvre, T., Lebarbenchon, C., Gauthier-Clerc, M., Missé, D., Poulin, R. & Thomas, F. 2009. The ecological significance of manipulative parasites. Trends in ecology & evolution, 24, 41–48. 
  • [23] Koella, J.C., Sørensen, F.L. & Anderson, R.A. 1998. The malaria parasite, Plasmodium falciparum, increases the frequency of multiple feeding of its mosquito vector, Anopheles gambiae. Proceedings. Biological sciences / The Royal Society, 265, 763–8. 
  • [24] Berdoy, M., Webster, J. P. & Macdonald, D. W. 2000. Fatal attraction in rats infected with Toxoplasma gondii. Proceedings. Biological sciences / The Royal Society, 267, 1591–1594. 
  • [25] Flegr, J. & Hrdy, I. 1994 Influence of chronic toxoplasmosis on some human personality factors. Folia Parasitologica, 41, 122-126. 
  • [26] Lacroix, R., Mukabana, W.R., Gouagna, L.C. & Koella, J.C. 2005. Malaria infection increases attractiveness of humans to mosquitoes. PLoS Biology, 3, 1590–1593.


Note : la bibliographie, donnée à titre d'exemple, est très loin de l'exhaustivité, la littérature dans le domaine étant innombrable. 



Sophie Labaude

Essuyons quelques préjugés sur les éponges.

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Souvent vues comme des animaux très simples, pour peu qu’on sache que ce sont des animaux, les éponges subissent une grande injustice. Auparavant considérées comme le « chainon manquant » entre les végétaux et les animaux, on les retrouve encore reléguées aux premiers chapitres de tout livre universitaire de zoologie qui se respecte. Et même si cette vision en échelle est (en principe) révolue, le fait que les livres de zoologie commencent généralement par les éponges pour finir par les vertébrés, participe au maintient de cette idée. Pourtant, malgré leur aspect végétatif, les éponges sont bien des animaux. Bon, déjà c’est quoi un animal ? Pour faire simple, c’est un organisme multicellulaire qui se nourrit d’autres organismes, qui produit du collagène, et avec au moins une phase mobile. Quoi, des éponges qui bougent ? Pourtant ce sont des organismes fixés sans muscles ni système nerveux. Mais la larve est ciliée et nage : on a bien une phase mobile. Tout ceci n’est pas très impressionnant mais attendez la suite…

Une belle image d’éponge, parce que les prochaines le seront moins mais plus dans le contexte… Source : éponge jolie.


Trêve de blabla sur cette injustice que doivent essuyer les éponges, j’ai déjà évoqué ça dans un article précédent (cf. article complexité, et ce sera en trame de fond de cet article, vous vous en doutez). Rentrons dans le vif du sujet, ce n’est pas une découverte récente, mais les éponges bougent bel et bien. Oui, je l’ai déjà dit, la larve ne fait pas que larver, mais l’adulte aussi peut se « déplacer » et se contracter. En fait ce comportement est connu depuis longtemps et a même été reporté par Aristote ! Mais depuis tout ce temps, malheureusement, l’origine de ces mouvements est encore mal connue. Cependant, une étude récente parue dans le journal « Invertebrate Biology » (Bond, 2013) décrivait les mouvements d’une éponge calcaire (groupe qui n’a pas été tellement étudié) : Leucosolenia botryoides. Ça a été pour moi l’occasion de me pencher un peu sur le problème et de le partager avec vous. Mais à quoi donc peuvent ressembler les mouvements chez une éponge ? Voyez plutôt :



Impressionnant non ? Oui bon, c’est du “time-lapse”, en gros du super accéléré (pour du time-laps un peu plus esthétique, mais pas dans le sujet, vous pouvez aller voir ici).  Le mouvement est bien connu chez les autres animaux. Il est en général effectué de deux manières : le battement de cils (en milieu aquatique) ou les contractions musculaires. Chez l’éponge adulte, les cils sont connus et sont associés à des cellules appelés choanocytes. Mais autant qu’on sache (ou du moins que je le sache), ça participe aux mouvements d’eau au sein de l’éponge mais pas au mouvement de l’éponge au sein de l’eau. Et malheureusement, il n’y a pas de muscles chez les éponges… Tout ceci reste donc bien mystérieux…

Schéma général d’une éponge. Remarquez l’absence de muscles et de système nerveux. Et pourtant… Source: schéma super sérieux.

Deux théories se sont longtemps affrontées pour expliquer les contractions chez les éponges, mais pour cela il faut revoir quelques points sur la morphologie générale d’une éponge On trouve au sein du « mésohyle », la couche centrale de l’animal, des cellules en forme étoilées appelées « actinocytes ». L’extérieur de l’éponge quand à lui est couvert de cellules appelées « pinacocytes » . En fait le débat a longtemps été mené pour savoir si les actinocytes ou les pinacocytes étaient responsables des contractions. En gros si c’était une diminution de volume ou de surface ! Pour vous donner une orientation du débat, les actinocytes étaient auparavant appelés myocytes de myo = muscle… Un peu biaisé…

Coupe transversale du tissus d’une éponge. L'extérieur est en haut, l’intérieur en bas. « ex » et « en » sont respectivement les exopinacocytes et les endopinacocytes. « ac » sont les actinocytes présents dans le mésohyle. Source: intimité de l'éponge.

Le mécanisme de contraction des éponges a été étudié en détails chez l’espèce Tethya wilhemlma grâce à la microtomographie (une méthode récente d’imagerie) et des coupes histologiques. Ces méthodes ont l’air plus complexes que l’animal lui-même mais laissent penser que les contractions, du moins chez cette espèce, sont majoritairement produites par les pinacocytes, autant au sein des canaux internes (souvenez vous que les éponges ont un ensemble compliqué de canaux) que de la couche extérieure. Alors, les actinocytes servent-ils au mouvement ou non ? Dans tout mouvement musculaire (bien qu’ici ça n’en soit pas), il faut un agoniste pour créer le mouvement, et un antagoniste, pour revenir à la position initiale. Dans ce cas ce seraient les actinocytes qui joueraient le rôle d’antagoniste, mais leur rôle resterait « auxiliaire » dans la contraction (ou plus justement, dans la décontraction).

Ces mouvements ont plusieurs fonctions supposées. Ils semblent périodiques chez certaines espèces et aideraient à l’expulsion de déchets (nourriture et débris cellulaires). Dans d’autres cas ils contribueraient peut-être à empêcher les autres animaux de trop les taquiner. Il a été montré en laboratoire que lorsque l’on retirait les autres animaux, les éponges arrêtaient complètement de se contracter. Vous doutiez-vous que les éponges étaient timides ?


Tethya wilhelma, une éponge qui se contracte beaucoup. En haut, le degré de contraction. En bas les animaux en situation naturelle. Ne sont-elles pas mignonnes les pitites bouboules ? Source : contraction Tethya(en haut), Tethya s'amusant (en bas).

Bon, mais jusque là on a rien de super impressionnant, l’éponge de ménage aussi se contracte quand vous la serrez, et se décontracte ensuite toute seule, rien de plus fou que ce qui traîne derrière votre évier. Ceci dit, comme je suis totalement impartial, je veux vous convaincre que les éponges c’est génial et super vif (ok, relativement… ok, c’est quand même super lent, mais au moins ça bouge). Et pour ça, je vais vous décrire deux modes de déplacement des éponges parmi d’autres.

La première est rigolote et a été décrite récemment (fin 2013, comme quoi ya encore du progrès à faire sur la connaissance de ces animaux). Beaucoup d’éponges possèdent des spicules, de petits éléments squelettiques au sein de leurs tissus. La diversité et la complexité des spicules (voir ici ) est parfois étonnante, et toute personne prétendant que les éponges sont simples (animaux inférieurs, primitifs, basaux, vieux, comme vous voulez), n’a manifestement jamais eu à apprendre le nom des principaux spicules pour un examen. Mon vieux tonton zoologiste « gradiste » théorique (ça m’arrange pour le récit d’inventer un zoologiste super rétrograde) se demandera pourquoi s’emmerder à avoir plein de spicules différents quand on est un animal mou, informe et simple. Moi-même je n'ai pas la réponse, mais en plus d’avoir une fonction de soutien, il a été montré qu’ils ont une fonction de locomotion ! Ils permettraient de s’accrocher au substrat et de se tracter. Des parties entières de Leucosolenia botryoides, constituées d’une multitude de tubes, peuvent se déplacer de concert dans la même direction ! Les mouvements des spicules seraient dus à celui des cellules du mésohyle (la « chair » de l’éponge).

Leucosolenia, une éponge qui rampe grâce à ces spicules (en bas). Des bouquets entiers de tubes (visibles en haut) peuvent bouger tous ensemble ! J’espère que vous êtes ébahis ! Source: bouquet d'éponge (en haut). Ptitspicules (en bas)

L’autre manière de se déplacer est plus complexe. Elle est due à la somme du mouvement de toutes les cellules. L’éponge se déplace alors sur le substrat et au sein de l’animal, c’est un réarrangement total de l’ensemble de l’éponge qui se produit. Il a été montré que la plupart des cellules, les pinacodermes comme les cellules du mésohyle, bougent à différentes vitesses selon leur type cellulaire. Les cellules du mésohyle étant les plus mobiles. Pour résumer, les cellules du mésohyle sont les cellules principalement mobiles, et les pinacocytes sont plus contractiles. On trouve dans le mésohyle au moins quatre types de cellules ayant leur propre morphologie, leur propre répartition, et leur propre vitesse. Autant dire qu’il en faut de l’organisation pour mettre tout ça en mouvement ! Dans ce lent chaos dynamique, il y a aussi les spicules. Bien sûr, les spicules ne bougent pas eux même (ce ne sont pas des cellules, mais des structures minéralisées), mais elles sont entraînées par les cellules du mésohyle. Ces dernières se regroupent autour des spicules et les mènent vers la bordure de l’éponge. Elles s’organisent ensuite de manière parallèle et s’accrochent au substrat (grâce à des cellules qui les entourent) et se positionnent comme des mâts de tente !

Ephydatia fluviatilis,  une des éponges d’eau douce pourtant discrète. En son sein c’est un méli-mélo de cellules bougeant dans tous les sens de manière ordonnée ! Source : l'éponge qui cache bien son jeu.


Alors, quels mécanismes permettent d’organiser tout ça vu que les éponges n’ont pas de système nerveux ? Déjà, on suppose qu’il existe des mécanismes de reconnaissance cellulaire qui permettent aux cellules d’un même type de se regrouper et de bouger de concert. Mais il y a aussi des mécanismes qui rappellent le fonctionnement du système nerveux (quand bien même il n’y en a pas). Certaines éponges (pas toutes, selon les connaissances actuelles) utilisent des potentiels d’action pour permettre la communication entre les cellules, c'est-à-dire des différences de charges électriques entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule. Pour l’instant aucune technique ne permet d’étudier correctement ces propriétés chez les éponges. Ceci dit, certaines études d’expression fonctionnelle de gènes (où on joue avec les gènes d’éponges) montrent qu’il y a effectivement, chez l’éponge Amphimedon queenslandica, la présence de canaux à ions sélectifs. Ces canaux laissent passez uniquement certains ions ce qui régule les différences de charges. Cela laisse penser que certaines membranes cellulaires chez cette espèce auraient une spécialisation électrochimique. De plus, un grand nombre de neurotransmetteurs (les molécules impliquées dans le système nerveux) connus chez les autres animaux sont exprimés chez certaines éponges. Au final, morphologiquement, les neurones ne semblent pas exister chez les éponges, mais fonctionnellement c’est une autre histoire qu’il reste à résoudre.

Amphimedon queenslandica, l’éponge qui a presque un système nerveux…. En bas une image des embryons qu’elle incube. Parce que oui, en plus de tout ça certaines éponges accordent des soins parentaux ! Source : l'éponge presque maligne.

Alors quelles réflexions peut-on en tirer ? Quand j’ai commencé à écrire l’article (y’a un bout de temps), j’avais juste en tête de parler de mouvement chez les éponges pour montrer, comme d’hab, que tous les animaux son choupis et cool. Mais entre temps un article est paru dans la célèbre revue scientifique Science (vous pouvez aller voir sur SSAFT), ce qui est une bonne occasion de placer cet article dans une perspective évolutionniste. Pour faire simple, selon cet article paru dans Science, les éponges sont plus proches de nous que les cténaires (les cténaires sont des animaux qui ressemblent superficiellement aux méduses, mais sont organisés très différemment). Pour formuler ça autrement, les cténaires sont les animaux les plus éloignés de nous, contrairement aux éponges (le fait que les éponges soient les animaux les plus éloignés de nous est majoritairement supposé). Tout ça peut sembler obscur, mais les cténaires, en plus d’être magnifiques, ont un système nerveux et des muscles. Ça supposerait deux choses : soit les muscles et le système nerveux sont apparus de manière indépendante chez les cténaires et les autres animaux qui en sont pourvus, soit les éponges ont perdu les muscles et le système nerveux. L’article de Science favorise l’hypothèse que les éponges auraient perdu tout ça. A première vue pourquoi pas, après l’article que vous venez de lire, on peut penser que les éponges ont encore des traces de ces systèmes d’organes. Ceci dit, de mon point de vue, ça me semble étrange de perdre toutes ces structures pour retrouver de manière tordue toutes les fonctions associées. En ce sens, l’hypothèse de la réversion me semble d’autant plus tirée par les cheveux que ce sont des structures importantes, intégrées et qu’en plus la fonction est conservée chez les éponges par des mécanismes divers. Quand à la convergence du système nerveux et musculaire entre cténaires et la plupart du reste des animaux… Ça me semble très peu probable. Mais ce n’est qu’une impression personnelle. Reste que ce sont des résultats récents et qu’il faudrait attendre de voir comment la communauté scientifique interprète et commente ces résultats.

Un arbre résumant les débats récents. Ici la topologie qui a été trouvée dans le dernier article sur le sujet. Beaucoup de zoologistes auraient des choses à redire. C’est un débat passionnant et passionné. Source : l'arbre qui fait parler.

Toujours est-il qu’en biologie les apparences sont trompeuses et qu’il est dur de juger de la complexité d’un organisme qui nous est éloigné avec nos yeux d’humains. Quelle que soit la position phylogénétique des éponges, il n’y a pas de doute qu’elles ont encore beaucoup de surprises à nous dévoiler ! Que ce soit des réversions ou des conditions primitives quant à l’absence de système nerveux et musculaire, elles n’en sont pas moins mobiles et surprenantes à leur manière !

Et puis parceque j’ai mis trop de temps à publier cet article (fêtes, reprise après les vacances etc.), un article sur la sensation chez les éponges est encore paru entre temps : http://www.biomedcentral.com/1471-2148/14/3/abstract, avec une vidéo d’une éponge qui éternue…




Pour aller plus loin :

Un article très récent sur SSAFT sur la position phylogénétique des éponges (et des cténaires) : http://ssaft.com/Blog/dotclear/index.php?post/2013/12/13/De-notre-relation-avec-Bob-lEponge

Un article que j’ai écrit il y a trois ans sur les éponges sur mon blog de zoologie : http://nicobola.blogspot.fr/2010/10/les-spongiaires.html

Un article sur ce blog qui discute, en partie, de la complexité des éponges : http://fish-dont-exist.blogspot.fr/2012/03/evolution-et-complexite-ce-nest-pas.html

Bibliographie :

Bond C. 1992. Continuous Cell Movements Rearrange Anatomical Structures in Intact Sponges. The Journal pf Axperimental Zoology, 263:284-302.

Bond C. 2013. Locomotion and contraction in a asconoid calcareous sponge. Invertebrate Zoology. 132(4):283-290.

Nickel M. 2010. Evolutionary emergence of synapic nervous systems : what can we learn from the non-synaptic, neverless Porifera ? Invertebrate Biology, 129(1):1-16.

Nickel M., Scheer C., Hammel J. U., Herzen J. et Beckmann F. 2011. The contractile sponge epithelium sensu lato – body contraction of the desmonsponge Tethya wilhelma is mediated by the pinacoderm. The Journal of Experimental Zoology, 214:1692-1698.

Ryan J. F., Pang K., Schnitzler C.E., Nguyen A-D., Moreland R.T., Simmons D.K., Koch B.J., Francis W.R., Havlak P,. SmithS.A. et al. 2013. The Genome of the Ctenophore Mnemiopsis leidyi and Its Implications for Cell Type Evolution. Science, 342(6164). 


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