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Ne sous-estimez jamais les mollusques…

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Souvent le mollusque porte l’image d’un animal mou amorphe et sans force. Lorsque quelqu’un manque de volonté en général on le traite de mollusque. Le mollusque étant simplement considéré comme un animal mou, certains assimileront tout « invertébré » mou à un mollusque. Ils sont aussi vus comme des animaux lents et baveux, à la limite du dégoûtant. Bref, ces pauvres animaux sont souvent mal considérés par la majorité des gens. Pourtant le terme « mollusque » a bien une signification précise en biologie et ce groupe est si vaste qu’il est à même de surprendre les plus blasés. Donnons déjà quelques exemples : l’escargot, le bigorneau, la pieuvre, le calmar, l’huître, la moule… Un point commun entre tous ces mollusques ? A la gueule, comme ça, pas trop. Bon, sinon, on les mange ! Mais les mollusques ne sont pas seulement intéressants qu’en termes culinaires…

Un étalage de mollusques. Vous les connaissez probablement plutôt sous cette forme mais continuez de lire cet article pour les découvrir dans d’autres contextes… Source de l’image : « étalage de pauvres mollusques » 

Déjà qu’est-ce qu’un mollusque ? Le terme « mollusque » signifie effectivement « mou » en latin. Difficile de les défendre dans ce cas. C’est bien pour ça que leur réputation a la coquille dure... Coquille dure ? Oui, la plupart des mollusques ont une coquille dure. Certains n’en n’ont pas comme la pieuvre ou la limace. Mais comme pour le serpent et ses pattes, c’est qu’en fait la coquille est régressée dans ces cas-là. Mais ce n’est pas le seule caractère particulier des mollusques :
-Les mollusques possèdent une structure très particulière : le pied. C’est un gros muscle qui sert au départ à se déplacer en rampant comme les escargots justement. Les tentacules des pieuvres sont ce même pied mais modifié.
-Ils portent aussi au niveau de la bouche une espèce de râpe particulière portant plein de petites dents : la « radula» qui permet de brouter la nourriture chez un grand nombre de groupes de mollusques.
-Les mollusques sont recouverts d’une « peau » - le « manteau» - qui produit entre autres la coquille.
-Mis à part quelques mollusques particuliers, le manteau forme un repli de telle façon qu’une cavité se forme, on parle de la cavité palléale et dans beaucoup de cas elle porte les branchies (les « cténidies» chez les mollusques car elles ont une forme de peigne et « ctenos » signifie peigne en grec).
Voilà pour un certain nombre de caractères de mollusques, comme quoi on ne les définit pas seulement par leur mollesse …

Illustration des « principaux » caractères de mollusques. Notez bien que ce mollusque n’existe pas, n’a jamais existé et n’existera jamais. C’est juste une forme de schéma récapitulatif. Les anglais l’appellent Hypothetical Ancestor Mollusc (ce qu’il n’est pas justement) ou HAM… Ce qui en anglais signifie aussi jambon  ! Source de l’image : Jambon le mollusque.

Commençons d’abord par la principale idée fausse selon laquelle les mollusques seraient tous des animaux lents. Alors là je vous défie de rattraper un calmar à la nage. Certains mollusques peuvent  aussi faire preuve d’une étonnante agilité comme la coquille St-Jacques. Et oui ! Celle ci peut ouvrir et fermer frénétiquement ses deux valves pour s’enfuir ! En général c’est lorsque son pire prédateur, l’étoile de mer, approche (et là ceux qui ne savaient pas seront peut-être étonnés de savoir que l’étoile de mer est un vorace et terrible prédateur !). Par ce fou mouvement de la coquille St-Jacques, l’eau rentre entre les deux valves et lors de la fermeture est expulsée par les côtés. C’est une forme de nage à réaction !

Vidéo d’une coquille Saint Jaques, certes maladroite, tentant d’échapper à une terrible et extrêmement vive étoile de mer …

Un autre adorable mollusque proche de la coquille Saint Jacques qui se balade…

D’ailleurs c’est le même principe utilisé par les calmars, seiches et pieuvres qui expulsent l’eau qui rentre dans la cavité palléale par un repli en siphon du manteau. L’eau est éjectée violemment et le calmar est propulsé à toute berzingue  !

Une seiche à réaction agressant un plongeur…

Le fait que les mollusques les plus communs autour de nous soient les escargots et les limaces fait peut-être penser à certains que les mollusques passent leur temps à manger de la salade. En fait il existe des prédateurs très actifs chez les mollusques. Alors oui, un grand nombre d’entre eux broutent la salade, les « algues » ou les charognes (berk, aucun art de vivre ces mollusques !) mais il existe plein de modes de nutrition différents. Déjà , beaucoup de mollusques filtrent les particules alimentaires. En effet, il est difficile d’imaginer une huître brouter. En fait, elle créé un courant d’eau qui va la traverser et elle absorbe alors les particules alimentaires en suspension dans l’eau. Mais il existe des mollusques à deux coquilles comme les huîtres ou les moules (appelés bivalves) qui chassent à l’affût ! Par exemple les mollusques du genre Poromya, sortent une   « bouche  extensible » (le « siphon inhalant », un repli du manteau en forme de long tube),  dès  qu’ils sentent une proie et la gobent subitement !

Poromya et sa grande bouche se nourrissant d’un ptit crustacé… Source de l’image : Terrible bivalve.  

Mais d’autres, plus proches des escargots, sont aussi très actifs. Par exemple, il existe des escargots prédateurs : le terrible Euglandina rosea est un escargot « classique » si ce n’est qu’il a des « moustaches ». Oui oui ! Et grâce à ça il va pister sa proie grâce à la trace de bave d’autres escargots et les manger une fois attrapés. Par des introductions malhabiles par l’homme cette espèce a d’ailleurs participé à l’extinction de plusieurs autres espèces d’escargots à Hawaï ou en Polynésie par exemple… 

Euglandina rosea. Avouez que pour un tueur en série il a la classe avec ses moustaches ! Source de l’image  : Euglandina le moustachu.

Une terrible vidéo (amis des mollusques, et maintenant vous l’êtes tous, s’abstenir) dont la musique est tout à fait appropriée…

Certains escargots marins sont de terribles prédateurs comme le cône. Le cône est un magnifique coquillage très apprécié des collectionneurs mais la radula est réduite à une seule dent qui sert à injecter un venin extrêmement puissant, mortel en quelques heures pour l’homme dans certains cas. Le mollusque attend lui aussi à l’affût, pique sa proie puis la gobe en entier ! 

Dans cette vidéo, un cône mangeant un « poisson »… remarquez que très vite, il ne va plus exister …

Finissons avec le groupe des « céphalopodes » comprenant les seiches, calmars et pieuvres. Ce sont des prédateurs à vue cette fois ci qui attraperont la proie avec leurs tentacules. Je pourrais continuer encore longtemps la liste de mollusques prédateurs, certains ayant de drôles de manières de faire, mais j’espère vous avoir déjà convaincus !

Dans cette vidéo une seiche se nourrissant. Une vivacité aussi surprenante que les céphalopodes le sont.

Certains voient aussi les mollusques comme des animaux visqueux et moches. En fait dans beaucoup de cas c’est tout le contraire et c’est bien pour cela que beaucoup de personnes collectionnent les coquilles de mollusques ! Premièrement certains ont de très belles couleurs et même certains bivalves peuvent être magnifiques. Les bénitiers géants en plus d’être de très gros mollusques abritent des « algues » dans leur manteau ce qui donne à leur intérieur une belle couleur bleue-verte.

Image d’un magnifique Bénitier. On a envie de lui faire un bisou ! Source de l’image : Bénitier affectueux .

Les Spondylus sont des bivalves dont la coquille porte de très belles expansions. 

Un  Spondylusà la coquille feu d’artifice. Source de l’image : Spondylus coquet

Mais la palme des plus beaux mollusques revient sans conteste aux nudibranches. Pourtant c’est mal parti pour eux, on les appelle « limaces de mer » ce qui n’a pas l’air très entraînant au premier abord. Mais ces gastéropodes (comprenant entre autre les bigorneaux et les escargots) portent des couleurs magnifiques et ont des formes surprenantes. Les nudibranches contrairement à la plupart des autres mollusques ont perdus leurs cténidies et ont d’autres formes de branchies souvent originales. Cela vaut pour un groupe de mollusques plus large les « opisthobranches » (groupe dont l’existence est discutée) et chez les nudibranches les branchies sont… nues, c’est à dire qu’elles ne sont pas protégées. Beaucoup de nudibranches (qui eux semblent être un bon groupe) sont brouteurs de cnidaires (méduses, coraux etc.). Les cnidaires piquent (vous le savez, peu de gens apprécient de se frotter à une méduse). Certains nudibranches utilisent les cellules urticantes des cnidaires et les stockent dans des papilles qui servent aussi parfois de branchies. Ces papilles en touffes forment souvent de magnifiques bouquets … Mais des images vous parleront mieux que des mots, regardez plutôt … 

Un des plus beaux : le Glaucus atlanticus. Source de l’image Glaucus atlanticus.
Tritonis elegans.  Ca pour être élégant, il l’est… Source de l’image : Tritonis elegans, le mollusque flocon de neige.

Nembrotha megalocera. Lui il s’est dit « quitte à avoir de jolies couleurs, autant avoir les plus belles ». Source de l’image : Nembrotha megalocera, la limace chatoyante

Au cas où vous douteriez de leur existence réelle, vous disant que des choses aussi jolies ne peuvent pas exister (et je vous comprends), voici quelques vidéos.

Comme quoi Glaucus atlanticus c’est pas un montage.


Un nudibranche s’attaquant vaillamment à un animal ressemblant à une anémone (d’ailleurs assez proche mais en fait c’est une cérianthe) 

Une « danseuse espagnole ». Rien à commenter.

Quoi ?! Vous n'en avez toujours pas assez ? On pourrait y passer des années ! Si vous voulez encore en prendre plein les mirettes cliquez ici (en fait cliquez, c'est un ordre !) : Nudibranches, National Geographic.

Au final cette grande diversité de formes et de modes de vie s’explique simplement par le fait que le groupe des mollusques est un groupe très large et ancien. Les mollusques comprennent environ 100 00 espèces, deux fois plus que tous les vertébrés réunis. Le groupe des mollusques est après celui des arthropodes (insectes et confrères à plein de pattes  (plus de quatre)) le deuxième plus important des animaux. Alors faire une généralité sur un groupe aussi vaste sera toujours risqué. Si je vous disais : « les mammifères sont herbivores » vous trouveriez probablement ça bizarre et faux ! En biologie en général, le fait que les êtres évoluent selon un arbre de la vie empêche toute généralisation hâtive. Et les mollusques sont si nombreux qu’avec eux, il y aura forcement des surprises…

Alors la prochaine fois qu’on vous traite de mollusque, répondez merci !

Pour aller plus loin :

-Brusca R.C. Brusca G.J. 2003. Invertebrates, second edition. Sinauer, Sunderland.

-Gabi G. 2008. coquillages ; étonnants habitants des mers. White star.

-Kuiter R et Debelius H. 2008. Atlas mondial des Nudibranches. Eugene Ulmer.

-Sur les cônes, Zonatus.

La phylogénie des deutérostomiens, encore une affaire pleine de rebondissements.

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Hey lecteur sais tu que tu es un deutérostomien ? Sisi ! Ha oui, qu'est-ce qu'un deutérostomien... Ce mot vient de deutéro "deuxième" et "stomo" bouche (du Grec). Ce qui signifie que la bouche se forme en deuxième chez l'embryon après... L'anus ! Oui, il a eu un moment dans ta vie où tu n'étais qu'un cul... Dur dur hein ? Ho disons le plus poétiquement alors : le blastopore donnera l'anus en premier... Le blastopore c'est le premier "trou digestif" de l'embryon. Bon mais c'est bien chouette tout ça mais alors ? Ben alors les humains sont au même titre que les étoiles de mer des deutérostomiens (j'en ai parlé par-ci par-là dans le blog). Vous n'avez rien à voir avec une étoile de mer protesterez vous... Et bien si, embryonnairement parlant vous en êtes très similaire. C'est plus tard au court du développement que les choses se gâtent (au cours du développement de cet article aussi vous verrez). 

Les deutérostomiens sont un des deux grands groupes d’animaux à deux côtés, les "bilatériens", l'autre groupe de bilatériens étant les protostomiens (cf la phylogénie animale une affaire pleine de rebondissements). Les protostomiens comprennent les « invertébrés » (cf les mystères de la phylogénie) que vous connaissez le mieux : mollusques, insectes, vers de terre etc. Les deutérostomiens comprennent les vertébrés, les étoiles de mers et quelques autres groupes qu'un non biologiste a peu de chance de connaître. Soyez heureux ! Si vous arrivez à la fin de cet article vous allez les connaître ! Le groupe des deutérostomiens est donc un large groupe et on peut penser que son évolution est bien connue depuis un bout de temps vu que nous y appartenons et que la grande injustice zoologique veut que l'on s’intéresse quasiment toujours plus à ce qui est proche de l’homme.

Voici un comparatif très simplifié du développement embryonnaire précoce chez les deutérostomiens et les protostomiens. Bon, vous me direz ça ne ressemble pas à grand chose. Source de l’image : comparatif proto/deutéro


Commençons par présenter les sympathiques protagonistes de cette histoire :

Les Vertebrata (vertébrés pour les intimes) sont des animaux à vertèbres et à crâne. Oui, vous en êtes ! On y retrouve la plupart des animaux que vous connaissez bien, mais certains ont un crâne sans avoir de vertèbres. C'est la curieuse myxine. Tous les vertébrés ont au moins chez l'embryon une chorde (ou corde), un axe rigide cartilagineux dans le dos qui sert entre autre de squelette de soutien. Notre colonne vertébrale la remplace en quelque sorte plus tard dans le développement. Au moins originellement  (c’est à dire au moins chez leurs ancêtres), les vertébrés ont un appareil branchial (la zone qui porte les branchies) qui se forme à partir du tube digestif et qui est percé de trous pour laisser passer l'eau.

Exemple de Vertebrata (même si celui-ci n’a pas de vertèbres). Voici la curieuse myxine imitant le sac de nœud phylogénétique dans lequel je me prépare à vous emmener… Source de l’image : Myxine en nœud

Les Cephalochordata (céphalochordés pour les intimes) sont de petits « vers » à l'allure de "poisson" qui restent dans le sable et filtrent les particules. Ils ont aussi une chorde et celle ci va jusqu'à la tête d'où leur nom "Cephalochordata" qui signifie "chorde dans la tête" (cephalo = tête en grec et chordata simplement corde en latin). Les Cephalochordata ont eux aussi le même type d’appareil branchial que les vertébrés. Tout comme les vertébrés, ces animaux ont des muscles en bandes... pensez simplement à vos muscles abdominaux.


Exemple de Cephalochordata. Voici l’Amphioxus ou lancelet. C’est un cephalochordata. Source de l’image : lancelet

Les Urochordata (urochordés ou tuniciers pour les intimes) ont la chorde dans la queue cette fois ci. Mais seulement à l'état adulte beaucoup d’entre eux perdent cette chorde contrairement à certains vertébrés  (esturgeon, lamproie) et à tous les céphalochordés qui la gardent toute leur vie. Ces animaux sont pour la plupart très étranges. A un stade de leur vie ils se fixent à la roche ou autre et y restent toute leur vie. La chorde va disparaître comme chez certains vertébrés  (par exemple chez nous la chorde est totalement remplacée par les vertèbres) et les branchies vont se développer énormément pour filtrer la nourriture en suspension dans l'eau et respirer. Vous l'aurez compris, ces animaux aussi ont le même type d’appareil branchial que nous.

Exemples de d’Urochordata. A gauche, une ascidie. A droite Oikopleura dioica. Si l’ascidie ressemble à un gros sac et perd sa chorde lors de son développement, Oikopleura lui garde sa chorde qui est présente dans sa queue et ressemble à un têtard. Source des images : Ascidie et Oikopleura.

Les Hemichordata (hémichordés pour les intimes), j'en ai parlé (cf le top 5 des animaux obscènes), ce sont les vers pénis mais aussi d'autres organismes étranges dont je vous épargnerais les détails de peur d'être trop long (ils sont si passionnants que je m'emporterais). Les hémichordés ont une "stomochorde" c'est à dire une sorte de bâtonnet de soutien très petit et confiné à leur partie avant. Ils ont un appareil branchial comme le nôtre. Les Hemichordata ont aussi un système nerveux qui n’est pas regroupé en nerfs et en ganglions mais en un ensemble diffus  situé en contact de la peau (ou épiderme) : ils sont «épithéloneuriens».

Exemple d’Hemichordata : le balanoglosse ou ver pénis. Source de l’image : Blanoglossus.
Il est temps de s’arrêter brièvement pour comparer les Hemichordata et les Cephalochordata…

En haut un Hemichordata. En bas, un Cephalochordata. Remarquez la similitude de l’appareil branchial. La stomochorde n’est pas délimitée sur le schéma mais elle est à peu près là où indiquée. Remarquez aussi la différence de position du système nerveux. Source de l’image : un peu de comparaison

Les Echinodermata (échinodermes pour les intimes) sont des animaux à 5 cotés... Enfin, pour faire compliqué, ce n'est pas le cas de la larve qui a deux cotés comme nous. Ces animaux ont un système nerveux diffus, comme les Hemichordata. Vous connaissez au moins l’étoile de mer et l’oursin et très probablement le concombre de mer.

Exemples d’Echinodermata. A gauche deux étoiles de met prises en plein acte obscène, au milieu un oursin crayon et à droite un concombre de mer. Source : Etoiles de mer exhibitionnistesoursin crayon , concombre coloré.


Maintenant que vous avez fait la connaissance de tout ce beau monde, quelle classification leur a t-on donné ? Suivez le raisonnement phylogénétique et vous devrez la comprendre : 
Tous ceux-là sont des deutérostomiens, on peut déjà les regrouper au sein des Deuterostomia. Céphalochordés et vertébrés ont des muscles en bandes. Hop, on les regroupe dans un groupe au nom barbare : les "Myomerozoa" ce qui signifie en gros "animaux avec des muscles en bande". Myomérozoaires et urochordés ont une belle chorde bien foutue sur tout le long du corps ou presque. On va les regrouper sons le nom de "Chordata", hop, c'est réglé. Hémichordata et Chordata partagent quelque chose de ressemblant, la chorde et la stomochorde. Mais vous verrez, ça se ressemble trop peu. Par contre ils partagent un bel appareil brancial, on va les appeler "Pharyngotrema" de pharynx et trema (du Grec) signifiant trou : ce sont les trous de l'appareil digestif qui forment l’appareil branchial. Les Echinodermes eux sont à part mais restent des deutérostomiens.

Présentons maintenant cette vision des relations de parentés entre Deutérostomiens :


Arbre phylogénétique (évolutif) « classique » des Deuterostomia. Remarquez que le vertébré est surpris de se retrouver au milieu de tout ce bordel... Source des images : Echinodermata , Hemichordata , Urochordata, Vertebrata, Cephalochordata.


Pour lire cet arbre c’est simple. Par exemple on peut dire ici que Vertebrata et Cephalochordata appartiennent au groupe des Chordata. Ce qui signifie aussi que Vertebrata et Cephalochordata sont plus proches  entre eux qu’ils ne le sont des Echinodermata. Ou encore que les Chordata on un ancêtre commun qui avait une chorde, qui n’est pas celui des Echinodermata. Il n’est pas question de savoir lequel ici est le plus évolué mais qui est plus proche de qui.

Voilà voilà c'est très joli tout ça mais... Aujourd'hui la classification des deutérostomiens est tout à fait différente ! Rha pourtant c'était tout bien rangé, les systématiciens sont pourtant là pour mettre de l'ordre ! Oui mais l'ordre le plus intuitif n'est pas toujours le plus naturel. Or de nouveaux caractères sont parfois découverts qui chamboulent tout. La comparaison de l'ADN n'y étant pas pour rien non plus.

Premièrement les Hémichordés comme je l'ai dit ont une stomochorde... Mais celle ci se forme totalement différemment de la chorde des chordés. L’argument de la chorde, bien que séduisant ne tient finalement plus très bien. De plus, les hémichordés ont eux aussi un système nerveux épithéloneurien comme les échinodermes... Haaa mais ils ont aussi un développement similaire aux échinodermes et des larves semblables. Faudrait-il les mettre ensemble ? L'ADN et certaines analyses en morphologie (contrairement à ce qu'on pourrait penser) sont formels : oui. On va appeler ce nouveau groupe Ambulacraria en rapport avec un système de cavité appelé "système ambulacraire " chez les échinodermes (qui est un système de circulation d’eau de mer). Ha mais c'est bien joli tout ça mais que fait-on de l’appareil branchial ? Contrairement à la chorde et à la stomochorde qui au final ne se ressemblent pas plus que ça, l’appareil branchial des Hemichordata lui ressemble bien à celui des Chordés. Or les échinodermes n’en n’ont pas. On est donc obligé de supposer que les échinodermes avaient un appareil branchial qu'ils ont perdu.  


Certains fossiles laissent supposer ça : les Stylophora, des fossiles, rappelant furieusement des échinodermes, bien que très bizarres laissent penser qu'il avaient un appareil branchial. Tout va finalement  pour le mieux dans le meilleur des mondes... Mais, certains plaisantins ont eu la bonne idée de proposer une nouvelle théorie pour l'interprétation de la morphologie des échinodermes (la théorie EAT, j'y reviendrai probablement plus tard puis elle n'est pas facile à expliquer) qui ne considère plus les Stylophora comme d'anciens échinodermes avec branchies mais comme des échinodermes proches de ceux qu'on a aujourd'hui qui auraient perdus leur branchies depuis longtemps. La discussion est encore en cours mais zut ! Ce n'est plus si simple !

A gauche, un fossile de Stylophora… Mouais c’est de la paléontologie hein, on ne voit pas grand chose même si le fossile est assez joli. A droite, schéma plus simple d’un Stylophora avec trois interprétations morphologiques différentes. En a et en c, on a l’hypothèse « chordé » où les stylophora ne seraient finalement pas des échinodermes mais des animaux plus proches des Chordata. En d, l’hypothèse où les Stylophora sont des échinodermes modernes et en b, l’hypothèse selon laquelle les Stylophora seraient des échinodermes proches des actuels sans y être inclus. Evidement vous n’avez pas à comprendre tout ça, c’est juste pour montrer que leur morphologie peut être interprétée de différentes manières. Sources des images : Cothurnocystis et Morphologie des Stylophora.


Mais attendez, attendez ! les choses vont continuer à devenir plus complexes  ! Admettons les Ambulacraria, ça tient bien même si on ne comprend pas très bien ce que les Echinodermes ont fait de leur appareil branchial (si on rangeait aussi...). L'Amphioxus, le petit céphalochordé, il ressemble quand même rudement à un vertébré avec ses muscles en bandes. Oui mais avouons le, les urochordés, à part la larve, eux ils ressemblent à rien alors bon, ça se trouve ils sont tellement modifiés qu'ils sont plus proches des vertébrés qu'on ne le pense. Paf ! Dans le mille ! les urochordés seraient plus proches des vertébrés que des céphalochordés. Rhaaaa ! Mais ça ressemble à rien ce groupe ! l'ADN l'a suggéré en premier puis la façon dont les gènes sont exprimés dans le développement aussi (oui un gène ça s'exprime, ça parle, si on sait l'écouter, on peut savoir où il agit dans le corps de l'animal). En gros la morphologie vient le confirmer. Le nom de ce groupe contenant les urochordés et les vertébrés ? Olfactores puisque qu’un organe impliqué dans l’olfaction (l’odorat) serait présent chez les vertébrés et les urochordés mais pas chez les céphalochordés. 

Mais j'ai pas fini ! Ok on avait des groupes au départ on a tout chamboulé que peut-il y avoir encore ? A part enlever ou rajouter des groupes... Oui déjà on en a retiré, je vous renvoie à mon article à propos des Siboglinidae (d’ailleurs ce ne sont pas les seuls mais là je deviendrais vraiment long). Mais on en a aussi rajouté, je vous renvoie au même article à propos de Xenoturbella. Pour les flemmards je vous rappelle un peu tout ça. Xenoturbella pris en premier lieu pour un ver plat (proche du ver solitaire) puis ensuite considéré comme un mollusque s'est retrouvé projeté d'un coup chez les deutérostomiens. La structure de sa "peau" rappelle timidement celle des hémichordés. L'ADN le suggère aussi fortement. Soit, admettons, au point où on en est et vu que Xenoturbella ne ressemble pas à grand chose non plus on n’a pas beaucoup le choix. Xenoturbella serait donc proche des Ambulacraria dans un groupe appelé Xenambulacraria. Cependant ce résultat est de plus en plus largement accepté.


Xenoturbella, appartenant aux Xenoturbellida. Source de l’image : Xenoturbella.


Voici la situation aujourd’hui…

Mais restez assis ! Il reste encore des choses à dire ! C'est la situation aujourd'hui mais il est possible que nous les deutérostomiens accueillions de nouveaux venus ! Les Acoelomorpha ! Pour la petite histoire, le plus connu de ce groupe est un petit ver vert découvert en France à Roscoff. Ce petit ver vit en symbiose avec des algues (Aurélide vous parlera d’un mollusque qui copie furieusement notre ver vert). Symsagittifera roscoffensis, puisque c'est comme ça que s'appelle ce petit ver, grandit avec des « algues » en lui qui lui apportent de l’énergie. Bref, il y a d'autres vers dans ce groupe qui encore une fois ne ressemblent à pas grand chose. Supposés pendant longtemps comme proche des bilatériens (animaux à deux côtés), sans y être invités, une étude récente avec plein d'ADN et des calculs super compliqués en méthodes probabilistes en "Bayesian Inference" avec des "mixture model" en "General Time Reversible"  (ça claque) semble suggérer que les Acoelomorpha seraient donc des deutérostomiens proches de Xenoturbella. En fait une étude ADN précédente avait suggéré que Xenoturbella et les Acoelomorpha sont proches entre eux mais que cet ensemble est proche des animaux à deux côtés sans en être (oui, Xenoturbella a beaucoup voyagé). Puisque les Acoelomorpha et les Xenoturbellida ont aussi des caractères morphologiques en commun et que Xenoturbella a lui même des caractères morphologiques en commun avec les Ambulacraria (Etoile de mer et ver pénis), finalement cette hypothèse qui demande à être confirmée ne semble pas si farfelue. Xenoturbellida et Acoelomorpha sont regroupés sous le nom super barbare des « Xenacoelomorpha »… Oui quand on contracte des noms barbares ça donne ça ! Les zoologistes sont fort à ce jeu.


Exemples de vers Acoelomorpha : A gauche Symsagittifera roscoffensis, le ver de Roscoff et de jolies acoeles d’Indonésie. Source des images : adorables Symsagittifera et jolis acoeles.


Ho, je passe outre le problème de l’appareil branchial qui se complique avec la venue des Xenoturbellida et des Acoelomorpha qui eux n'en n'ont pas, à proximité des Hemichordata. D’ailleurs ce n’est pas la seule perte, cette position des « Xenacoelomorpha » implique la perte de plein d’autres caractères au cours de leur évolution (la bouche par exemple est perdue chez les Xenacoelomorpha). Alors soit ce n’est pas interprétable morphologiquement et on a des caractères qui ont disparus sans explication, ce qui pose un sacré problème (faut pas déconner non plus ho les zoologistes !), soit on devrait trouver une trace de ces caractères. Parions que beaucoup de recherches se feront prochainement pour résoudre le mystère des caractères perdus... Et je vous passe aussi quelques problèmes au sein des vertébrés, notamment cette histoire de myxine sans vertèbres qui va être traité par Donald...

Voici donc une proposition de l’arbre des deutérostomiens plus « actuelle ». La position des Acoelomorpha est encore très incertaine. Celle de Xenoturbella moins mais restons prudents…


Le « nouvel arbre » des deutérostomiens. Et oui, ça a bien changé ! Source de l’image des deux nouveaux invités : Symsagittifera roscoffensis et Xenoturbella.


Pour aller plus loin :

-Classification phylogénétique du vivant de Guillaume Lecointre et Hervé le Guyader, éditions Belin. Vous y trouverez le vieil arbre des deutérostomiens et les arguments qui le soutien.

-Article de blog (en anglais) : Our faceless cousins ? Du blog Catalogue of Organisms.

-Cameron C. B. 2005. A phylogeny of the hemichordates based on morphological characters. Canadian Journal of Zoology. 83, 196–215.
-Clausen S. et Smith A, B. 2005. Palaeoanatomy and biological affinities of a Cambrian deuterostome (Stylophora). Nature. 438 (17), 351-354.
-Delsuc F., Brinkman F., Chourrout D. et Philipe H. 2006. Tunicates and not cephalochordates are the closest living relatives of vertebrates. Nature. 439.
-Philipe H., Brinkmann H., Copley R. R., Moroz L. L., Nakano H., Poustka A. J., Walberg A., Peterson K. J. et Teldford M. 2011. Acoelomorph flatworms are deuterostomes related to Xenoturbella. Nature. 470, 255-260.
-Swalla B. J. et Smith A. B. 2008. Deciphering deuterostome phylogeny : molecular, morphological and palaeontological perspectives. Philosophical Transactions of the Royal Society. 363, 1557-1568.



A History of Fish 1 : Sans mâchoires y a de l'espoir !

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Ce blog s'appelle "les poissons n'existent pas". Il est grand temps pour moi de vous parler de poissons, ou plutôt de pourquoi ils n'existent pas. D'abord, voyons quels organismes on qualifie de "poissons".
Parler de "poissons", c'est parler de vertébrés. Qu'est-ce qu'un vertébré ? Un animal avec des vertèbres ? Malheureusement, c'est plus compliqué que ça ! 
Dressons le portrait-robot du "vertébré-cliché", l'animal qui concentre toutes les caractéristiques qu'on associerait à première vue à ce groupe :

Cliquez pour agrandir

Un animal au corps allongé,  à symétrie bilatérale (un côté gauche et un côté droit, si vous préférez), avec des membres pairs (un de chaque côté). Il aura aussi éventuellement des appendices impairs (c’est-à-dire un seul pour les deux côtés) : pensez aux ailerons des requins, par exemple. Il aura une queue, une bouche à l'avant, entourée de mâchoires, un anus à l'arrière, deux yeux, deux capsules nasales et deux capsules auditives. A l'intérieur, on aura un cerveau prolongé par la moelle épinière dorsale, un cœur ventral et enfin un squelette interne dont un crâne qui entoura la tête. Ce squelette est constitué de carbonate de calcium, donc mangez du yaourt, les kids !
Ah oui, et j'ai oublié les fentes branchiales à l'arrière de la tête.
Comment ça "moi je suis un vertébré et j'ai pas de branchies" ? Certes, mais à l'âge adulte ! Chez les embryons de tétrapodes (les vertébrés terrestres, nous y compris), les fentes branchiales sont bien présentes avant de se résorber chez l'adulte. Et puis en ce qui concerne leurs structures associées, les arcs branchiaux… on en reparlera plus tard.

Finalement, ce vertébré "idéal" ressemble pas mal à un poisson… Vous voyez, quand je vous disais que parler des poissons c'est parler des vertébrés en général ! Et si on fait abstraction de certains caractères particuliers que nous avons, nous aussi ressemblons pas mal à ça ! Mais on y reviendra.
Bon, maintenant allons voir plus loin que ce "plan" idéal. En réalité, tous les vertébrés ne possèdent pas tous ces caractères, loin de là. En fait, les nouvelles classifications impliquent que tous les vertébrés n'ont même pas…de vertèbres !

Si vous voulez un caractère qui permet de reconnaître à coup sûr un vertébré, le voici : les vertébrés ont des cellules de la crête neurale. Ces cellules, qui vont se séparer de la paroi dorsale de l'embryon pendant son développement (celle qui deviendra le système nerveux), sont à l'origine de tout un tas de structures propres aux vertébrés : les os de la face, les dents, la gaine qui entoure les neurones, les cellules pigmentaires… Pour l'instant on ne connaît des cellules de la crête neurale que chez les vertébrés.
Les vertébrés ont également des placodes, des zones épaissies sur les côtés de la tête de l'embryon. Elles donnent nombre de structures sensorielles elles aussi propres aux vertébrés : le cristallin de l'œil, la couche de cellules sensorielles présentes dans les narines et les oreilles, et le système de ligne latérale, des cellules qui détectent les mouvements d'eau chez les vertébrés aquatiques.
Enfin, tous les vertébrés connus ont également un crâne qui entoure le  cerveau. Ce crâne, selon les groupes, peut être constitué d'os ou de cartilage (ce même cartilage qui est présent chez nous, par exemple aux articulations, au bout du nez, dans les oreilles…).


Les vertébrés ont une longue histoire. Les plus anciens connus remontent au Cambrien, il y a environ 530 millions d'années. Le Cambrien est la période pendant laquelle on observe les premiers fossiles de la plupart des grands groupes d'animaux, les arthropodes (comme les insectes et les araignées) et les mollusques (dont on a déjà parlé) par exemple.
  
Haikouichthys. Crédits : Wikipédia© 2003 Nature© 1999 Nature

Haikouichthys(voir ci-dessus) est le premier vertébré connu. Il provient de Chine, de l'écosystème dit de Chengjiang, qui nous a livré de magnifiques fossiles de toutes sortes d'animaux tous plus fous les uns que les autres. Malheureusement, ils sont tout aplatis, ce qui ne facilite pas l'observation de l'anatomie.
A première vue, Haikouichthys ressemble pas mal à un céphalochordé, qui n'est pas un vertébré (c'est quoi déjà un céphalochordé ?). Mais dans sa tête, les chercheurs ont observé des taches paires, qui pourraient bien être des yeux, des cavités nasales, et des capsules auditives. L'association de ces trois éléments fait bien penser à un vertébré. Pour couronner le tout, des petites taches en série le long du dos de l'animal font furieusement penser à des vertèbres. Comme ces marques ont été observées dans des centaines de spécimens, on considère qu'elles correspondent bien à des structures réelles de l'animal.

Mais Haikouichthysn'avait encore pas tout du vertébré idéal, loin de là ! C'était un animal tout mou, sans os, et il n'avait ni nageoires paires, ni mâchoires…
Parlons-en des mâchoires justement. Figurez-vous que même  aujourd'hui certains vertébrés n'en ont pas ! Ce sont les lamproies et les myxines.


Lamproie marine (Petromyzon marinus). Crédits : ARKive

Voici la lamproie. Comme vous pouvez le voir c'est un animal allongé, sans nageoires paires, mou, et sans écailles. Son squelette interne est entièrement cartilagineux. Elle est peut-être familière à certains d'entre vous : les espèces européennes, si elles vivent en mer, se reproduisent en eau douce (comme les saumons). On parle d'espèce anadrome. En plus, il paraît que c'est très bon à manger !

Lamproie de rivière (Lampetra fluviatilis). Crédits : ARKive

Ce qu'elle aime, la lamproie, c'est parasiter d'autres "poissons" en se collant à eux (voir ci-dessus) et en leur suçant le sang à l'aide de sa bouche que voici :


La bouche-ventouse d'une lamproie marine (Wikipédia)

Une sorte de ventouse ronde, plein de petites dents et une structure en forme de piston (au milieu), qui va râper les chairs, mmmh !

Autour de cette bouche, il n'y a pas de mâchoires, juste un anneau de cartilage.
A noter que les larves des lamproies (appelées ammocètes) se nourrissent de manière très similaire aux céphalochordés (c'est quoi déjà un céphalochordé ?) : elles filtrent l'eau avec les fentes de leurs pharynx.

La lamproie est étrange, mais pas autant que la myxine, dont voici l'adorable frimousse : 

La bouche de la myxine Myxine glutinosa (crédits).

Ne vous laissez pas prendre par les apparences : les rangées de dents qu'on voit ne sont pas des mâchoires, mais bien une "langue-piston" similaire à celle des lamproies. Leurs yeux ne sont pas visibles car ils sont couverts par une couche de peau et de muscles.
Les myxines vivent plutôt dans les profondeurs marines. Elles restent enfouies dans la vase pendant la journée, et sortent la nuit, pour chasser ou se nourrir des cadavres qui tombent au fond (comme les baleines par exemple). Vous pouvez voir ci-dessous une carcasse de baleine filmée à différentes étapes de sa décomposition. Toutes les petites bêtes qui ondulent au début sont des myxines ! A noter qu'on y voit aussi des vers polychètes du genre Osedax, que l'on trouve uniquement fixés dans les os des baleines mortes. Ces vers font partie de la famille des Siboglinidae, dont on a déjà parlé ici



Les myxines ont aussi l'amusante particularité de produire un mucus (une sécrétion visqueuse) en grande quantité quand on les dérange. Regardez (ci-dessous) la quantité impressionnante de mucus que cette myxine produit !



Ce mucus a un rôle de défense contre les prédateurs, comme on peut le voir sur cette série de vidéos filmées en profondeur :  




Les prédateurs qui essayent de boulotter ces myxines repartent sans demander leur reste, la bouche pleine de mucus ! (Regardez aussi, vers 2:50, la myxine faire un nœud avec l'arrière de son corps pour s'enfoncer dans le sédiment et attraper une proie).
Il paraît que dans certaines régions d'Asie de l'est, le mucus des myxines est consommé en cuisine, un peu comme du blanc d'œuf…

Nous l'avons vu, les myxines n'ont pas de mâchoires. Mais elles n'auraient pas non plus de vertèbres, étonnant pour un organisme que l'on classe dans un groupe nommé "vertébrés" ! Par contre, les lamproies ont des petites vertèbres rudimentaires et cartilagineuses. De la même façon, les myxines sont les seuls vertébrés à ne pas avoir de nerf qui contrôle les battements du cœur. Cette anatomie a longtemps fait penser à une plus grande parenté des lamproies avec les autres vertébrés (qui ont tous des vertèbres, eux) qu'avec les myxines. Aujourd'hui, les analyses génétiques semblent au contraire démontrer que les lamproies et les myxines forment un groupe monophylétique (ça veut dire quoi, "monophylétique" ?) : les cyclostomes. Ce groupe serait caractérisé par cette structure particulière que j'ai appelée "langue-piston", et par certaines séquences d'ADN bien particulières… Les myxines auraient perdu certains caractères au cours de l'évolution, comme le contrôle nerveux du cœur ou les vertèbres. Des études récentes sur des embryons de myxines ont d'ailleurs mis en évidence la présence de petites structures qui seraient les restes de ces vertèbres perdues… Aussi étonnant que ça semble paraître, les myxines semblent donc être des vertébrés très modifiés, par la perte de tout un tas de structures. Cela n'est pas sans rappeler les Acoelomorpha et Xenoturbella, dont on a déjà parlé, avec leur morphologie très modifiée.

Avec les lamproies et les myxines, on a donc des vertébrés sans os, sans mâchoires et sans membres pairs. Diantre ! Tous ces caractères seraient donc apparus au fur et à mesure au cours de l'évolution ? Ou alors ils ont été perdus chez les lamproies et les myxines ? Les fossiles peuvent nous éclairer à ce sujet.

Sacabambaspis. En haut, le fossile découvert en Bolivie. En bas, une reconstitution. Crédits : P. Janvier, Tree of Life

Voici Sacabambaspis (ci-dessus). C'est un vertébré fossile de l'Ordovicien (il y a environ 450 millions d'années), découvert en Bolivie par une équipe du Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris. A l'avant, on peut voir sa bouche, entourée par les yeux. Lui non plus n'a pas de membres pairs, ni de mâchoires. Mais il a un truc en plus par rapport aux lamproies et aux myxines : un énorme bouclier osseux qui couvre tout l'avant du corps. De l'os, comme chez la plupart des vertébrés actuels ! Cette petite bête pourrait donc plus proche de nous, les vertébrés osseux, que des lamproies et des myxines, car nous partageons le caractère "squelette constitué d'os".
Pour qualifier l'ensemble de ces "poissons" sans mâchoires avec un bouclier à l'avant du corps, on a forgé un nom : "ostracodermes", ce qui veut dire " coquille sur la peau". Les ostracodermes ont eu une histoire florissante, et on retrouve leurs fossiles en grande quantité dans les gisements de l'Ordovicien, du Silurien et du Dévonien (ce qui constitue quand même un "règne" de plus de 100 millions d'années !).

En haut reconstitution de divers "ostracodermes" du groupe des ostéostracés. Zenaspis est en bas à gauche. En bas, le fossile de Zenaspis. Crédits : Philippe Janvier, Tree of Life

 Voici Zenaspis (ci-dessus), un autre "ostracoderme", du Dévonien cette fois (à peu près 400 millions d'années). Sur la reconstitution (en haut, individu en bas à gauche), on peut voir que lui aussi a un bouclier à l'avant du corps (cette fois-ci constitué d'une seule plaque). Sa bouche (non visible car elle est ventrale) n'a pas de mâchoires : c'est juste un orifice dans le bouclier osseux. Mais regardez bien, à l'arrière du bouclier : on voit deux petites nageoires en forme de lobe. Des nageoires paires, les nageoires pectorales. Vous aussi vous avez des "nageoires pectorales" : vos deux bras !
Les "ostracodermes" du groupe des ostéostracés, comme Zenaspis, seraient donc plus proches de nous que de toutes les autres bestioles que l'on a vues jusqu'à présent ! Finalement, pour en arriver au "poisson" idéal du début à partir de Zenaspis, il ne manque plus grand-chose, dont des mâchoires ! Celles-ci sont propres au clade des gnathostomes, les vertébrés à mâchoires,dont je vous reparlerai dans un prochain article.

Les fossiles que l'on vient de voir nous démontrent une chose : à part certaines pertes de caractères qui ont eu lieu chez les myxines, leur anatomie à elles et aux lamproies est bien due à une absence ancestrale. En d'autres termes, l'os et les membres pairs sont apparus une seule fois : au sein de la lignée qui comprend les gnathostomes et les "ostracodermes". Les fossiles nous montrent des organismes qui présentent des combinaisons de caractères que l'on ne voit pas dans la nature actuelle. Ils sont donc très importants pour reconstituer l'évolution de ces caractères.

Avant de partir quand même, un petit arbre récapitulatif (eh oui, on aime bien les arbres ici !) :


Les caractères qui apparaissent aux nœuds sont : 1) crête neurale ; placodes épidermiques ; crâne ; vertèbres ; 2) "langue-piston" ; 3) os dermique ; système de canaux sensoriels de la ligne latérale ; 4) nageoires pectorales ; nageoire caudale avec un lobe dorsal. Les myxines sont caractérisées par une perte des vertèbres. Les gnathostomes sont caractérisés par la présence de mâchoires.


Les lecteurs les plus attentifs l'auront remarqué : certains de ces "poissons" sans mâchoires "ostéostracés" sont plus proches des gnathostomes (les vertébrés à mâchoires, c’est-à-dire nous) que d'autres "poissons" sans mâchoires "ostéostracés". Les "ostéostracés" sont donc un groupe paraphylétique, un groupe qui n'existe pas en systématique moderne (comme nous l'avons déjà expliqué ici). Mais surtout, les "ostéostracés", les lamproies et les myxines sont tous des "poissons" au sens traditionnel du terme. La conclusion est donc la même pour les "poissons". Vous commencez à comprendre le titre de ce blog ? Ah, mais ce n'est pas fini ! La suite au prochain numéro !


Quelques liens vers des articles scientifiques sur le sujet :
  • L'article qui soutient la présence de vertèbres chez les embryons de myxines : par ici
  • Article de P. Janvier (CNRS) sur la monophylie des cyclostomes : par là 
  • Article de P. Janvier sur l'évolution des "poissons" sans mâchoires : hop ! 



    Touche pas à mes supermatozoïdes

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    Qui n’a jamais entendu parler de sélection naturelle ? Mais si, vous savez, quand un individu a quelque chose que les autres de son espèce n’ont pas (des cornes pour se défendre, des yeux pour mieux repérer ses proies…) et qu’il parvient à mieux survivre, il a le temps d’engendrer plus de descendants. Et si ce trait est héréditaire, ses enfants seront aussi plus aptes à survivre que les autres et le trait sera susceptible de se répandre peu à peu à l’ensemble de la population, au fil des générations. C’est Charles Darwin qui a suggéré cette théorie de la sélection naturelle. En fait, Wallace avait fait la découverte exactement à la même époque, mais quand il a demandé l’avis du grand Darwin avant de sortir un article, ce dernier s’est empressé de publier son fameux livre L’origine des espèces. Et même si Darwin a également présenté les travaux de Wallace avant cette publication, l’histoire n’a retenu que lui, tout du moins aux yeux du grand public…
    Mais revenons à notre sélection naturelle. Il y a quelque chose qui ne colle pas avec cette théorie. Comment expliquer par exemple la longue traîne du paon, qui est très voyante aux yeux des prédateurs et qui en plus a l’air handicapante pour voler ? Darwin répond lui-même à ce problème en invoquant ce qu’il appelle la sélection sexuelle. Si les femelles préfèrent les mâles colorés, ce sont ceux-ci qui se reproduiront le plus. Ainsi, chez de nombreuses espèces d’oiseaux, les femelles choisissent les mâles aux couleurs les plus chatoyantes, ce qui explique le fort dimorphisme observé (les femelles sont quant à elle souvent ternes et se confondent avec l’environnement). De même, si certains mâles parviennent à s’accaparer toutes les femelles, par exemple à l’issu d’un combat avec les autres mâles, ils auront le monopôle de la reproduction. L’exemple le plus frappant est peut être celui des harems, comme chez les éléphants de mer, où à l’issu d’un combat sanglant, le mâle victorieux s’accapare plusieurs dizaines de femelles.
    Les choses semblent ainsi assez simples : plus un mâle est sexy ou fort, plus il pourra avoir accès à un nombre important de femelles, et donc plus il donnera de descendants (indépendamment de sa capacité à survivre qui est évidemment un paramètre crucial). Mais pas si vite, est-ce que copuler avec une femelle certifie de sa future paternité ? Pas si sur. En effet, chez beaucoup d’espèces, les femelles copulent avec plusieurs mâles avant de donner naissance. Et cette propriété ouvre les portes à une compétition plus discrète : la compétition spermatique.
    Compétition spermatique ? Est-ce que les spermatozoïdes des mâles essaieraient de s’entre-tuer ? Eh bien, c’est à peu près ça.
    Il y a de nombreuses formes de compétition spermatique, des plus simples aux plus extravagantes. Les mâles peuvent tout d’abord essayer de supprimer le sperme de leurs prédécesseurs, de manière chimique ou mécanique. Les drosophiles, par exemple, libèrent une toxine pour détruire les spermatozoïdes concurrents. A noter que ces toxines sont aussi néfastes pour la femelle et diminuent leur espérance de vie… Beaucoup d’odonates (libellules, agrions, etc.) possèdent une morphologie particulière du pénis avec des structures spécialisées (épines, soies, barbillons), leur permettant de racler le tractus génital de la femelle pour faire place nette.
    Un pénis d'odonate (CCS Bio Blog)
    Les mâles peuvent aussi diluer le sperme rival en inséminant une plus grande quantité de spermatozoïdes.
    Une fois le sperme déposé dans le tractus génital de la femelle, les mâles ont tout intérêt à empêcher les autres mâles de copuler avec madame. Certains s’accrochent à la femelle jusqu’à la fécondation, effectuant ainsi ce qu’on appelle du gardiennage post-copulatoire. C’est pour cette raison que les mâles agrion restent littéralement accrochés à leur partenaire jusqu’à la ponte. Mais ce procédé empêche le mâle d’aller inséminer d’autres femelles pendant ce temps. D’autres mâles s’assurent de leur paternité en inhibant la réceptivité sexuelle de la femelle après leur passage. Chez de nombreux moustiques (par exemple Anopheles spp), les mâles transfèrent une substance dans leur liquide séminal qui rend la femelle non-réceptive quelques heures après l’accouplement. Chez d’autres espèces, de telles substances peuvent diminuer l’attractivité sexuelle de la femelle ou neutraliser les aphrodisiaques produits par d’autres mâles. C’est par exemple le cas chez certains papillons : bien que la femelle reste réceptive, les autres mâles ne sont plus attirés par elle.
    Accouplement (à gauche) suivi de la ponte pendant laquelle le mâle reste fixé à la femelle (Crédits)
    Les mâles peuvent aussi tout simplement obstruer les voies génitales de la femelle au moyen d’un bouchon spermatique, dont la composition est variable. Certains mâles (les bourdons par exemple) ont des glandes qui produisent une substance spéciale, une sorte de ciment qui forme une barrière à l’intromission. Chez des espèces de fourmis, le mâle sacrifie ses organes copulatoires pour boucher le tractus génital de la femelle. Enfin, Baker et Bellis ont proposé en 1988 « l’hypothèse des spermatozoïdes kamikazes », selon laquelle les spermatozoïdes non fécondants des mammifères aideraient à la formation d’un bouchon copulatoire. Cette hypothèse est cependant très controversée.
    Ceci nous amène à une autre conséquence de la sélection spermatique : la diversité des formes de spermatozoïdes. Chez certains rongeurs par exemple, la tête des spermatozoïdes a une forme de crochet, ce qui leur permet de s’agréger en petits groupes et d’augmenter leur vitesse de déplacement.
    A gauche, des têtes de spermatozoïdes de rongeurs en forme de crochets, qui permettent aux spermatozoïdes d'un même mâle de s'agglutiner (à droite). Les deux couleurs indiquent l'appartenance à deux mâles différents.
    Mais une des conséquences les plus impressionnantes de la compétition spermatique reste peut être le géantisme des spermatozoïdes de la mouche Drosophila bifurca. Le mâle de 3 mm est capable de produire des spermatozoïdes longs de 58 mm. Ramené à l’échelle humaine, cela équivaudrait pour un homme à produire des spermatozoïdes de 30 mètres de longs… Ceux-ci forment des boules denses qui occupent toute la largeur du tractus génital de la femelle. Le premier mâle à copuler a donc la certitude de féconder autant d’œufs que de spermatozoïdes libérés.
    A gauche, un mâle Drosophila bifurca entouré d'un des impressionnants testicules qui produisent les spermatozoïdes géants. Ces testicules représentent 11% de la masse du corps du mâle. Le mâle transfert les spermatozoïdes sous forme enroulée (Crédits).
    Un seul spermatozoïdes de drosophile (Drosophila bifurca) sous sa forme compacte, enroulé sur lui-même (Crédits).
    De nombreuses autres stratégies existent dans la compétition spermatique. Cette guerre est en effet de la plus haute importance puisqu’elle constitue la dernière étape, cruciale, avant d’accéder à la fécondation. Si les exemples que je viens de citer sont les plus représentés dans le monde animal, certaines espèces s’illustrent par l’originalité de leurs pratiques. Les punaises des lits (Cimex lectularius) sont peut être les championnes dans ce domaine : les mâles ont des comportements homosexuels et, à la manière d’une seringue, utilisent leur pénis perforateur pour injecter leur semence dans les corps d’autres mâles. Ces derniers, quand ils insémineront des femelles, injecteront au passage le sperme du mâle « parasite »…
    Le pénis perforateur de la punaise (à gauche) permet au mâle d'inséminer la femelle dans n'importe quelle partie du corps... parfois même dans la tête ! (Crédits)
    Références :
    D'autres articles pour aller plus loin :

    Pris pour des pigeons? Telle est la question!

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    Si je vous dis que je vais vous raconter une histoire de pigeons, avec Darwin comme héros, la sélection comme énigme et la couleur comme indice...
    Vous ne comprenez rien à ce que je veux dire? Alors lisez ce qui suit.


    Un jour Darwin nous a parlé de pigeons…

    Quand le célébrissime Charles Darwin nous a parlé de pigeons dans son oeuvre “On the origin of species”, c’était pour nous expliquer les nuances qu’il faut comprendre entre les notions de race et d’espèce. Il s’est intéressé au pigeon car cet animal a subi une sélection artificielle de longue date et son histoire est donc assez bien connue au travers de nombreux traités et écrits dans toutes les langues. Les pigeons étant des animaux domestiqués à la perfection, il mit en place son propre élevage avec le plus grands nombres de types de pigeon qu’il a pu rassembler à travers le monde (il n’a jamais confié le nombre exact dans son fameux ouvrage!). En guise de support empirique à ses hypothèses, il effectua une multitude des croisements. La question centrale qu’il se posait? Est-ce que toutes les variétés de pigeons qu’il avait pu réunir constituaient-elles des races différentes d’une même espèce ou alors étaient-elles issus de plusieurs espèces?
    Ses observations ont fait état d’un nombre assez important de caractères profondément différents entre les variétés de pigeon: taille et forme du bec, largeur de la caroncule (petite excroissance charnue qui recouvre la base du bec), longueur du tarse, largeur de certains os, taille des plumes, présence de plumes aux pattes (oui oui, y’a des pigeons qui ont des plumes vraiment partout), etc.
    La caroncule sur le bec du pigeon


    Quand notre grand Charles a fait la liste de tous ces caractères, il a cru bon penser que des espèces différentes étaient à l’origine des spécimens qu’il avait devant les yeux. Qui n’aurait pas fait la même chose!


    Quelques exemples en photos:
    [Source]
    [Source]
    [Source]
    [Source]

    [Source]

    Mais il n’en était pas à ses premières réflexions sur le sujet et la question le titillait. Il choisit un caractère d’étude particulier, la couleur, et il décida d’entreprendre des croisements afin d’affiner la réponse à sa question.
    Et finalement... Vous voulez savoir à quelle conclusion il en est arrivé? Un peu de patience, vous le saurez bientôt… Enfin si vous lisez cet article jusqu’au bout!
    Une sélection? Oui mais par les Hommes!
    Les pigeons sauvages ont été depuis des millénaires domestiqués pour tout un tas de raison, économiques, sociales, culturelles, et culinaires!!!!
    Une des fonctions du pigeon est celle du messager. On a tous entendu parler des fameux pigeons voyageurs. Et bien, certaines variétés de pigeons ont été spécifiquement élevés dans cette optique et ont été beaucoup utilisés et efficaces en temps de guerre.

    Vaillant, pigeon de combat, c’est un dessin animé, mais faut pas négliger le rôle des piafs pendant la guerre quand même ! (http://www.toutlecine.com/images/film/0010/00106272-vaillant-pigeon-de-combat.html)


    Pline indiquait que les romains payaient les pigeons un prix considérable selon leur généalogie et leur provenance pour s’en servir ensuite comme monnaie d’échange.
    Le pigeon faisait aussi office de cadeau entre les pays, comme l’Iran ou le Touran qui faisaient parvenir des oiseaux très rares à l’Inde il y a quelques siècles.
    Du temps de la 4ème dynastie égyptienne, il y a plus de 3000 ans avant notre ère, le pigeon était déjà inscrit au menu. Et malgré sa disparition de nos tables pendant quelques années à cause de l’image de saleté et vecteur de maladie qu’on lui collait (je vous rassure il n’y a aucun risque à manger du pigeon d’élevage), la culture culinaire du pigeon ne s’est pas perdue depuis les temps anciens puisque de nos jours encore, il constitue un met couramment dégusté.


    De nos jours, en France, le pigeon est élevé d’une part pour des raisons culinaires, mais aussi pour de la compétition. En effet, des concours de pigeons voyageurs sont fréquemment organisés. Ces pigeons, bagués, subissent des entrainements de longues haleines comme vous pouvez vous en douter. Ce sont des sportifs avant tout !
    Ainsi quelque soit la raison qui a poussé les hommes à mettre en place des élevages, ils ont, dans un objectif de rendement, d’amélioration de la qualité, ou encore de choix de caractères particuliers, exercé une sélection forte sur les populations de pigeons depuis des millénaires et dans nombreux pays du monde. Et selon le but de la sélection, des caractères différents pouvaient être sélectionnés artificiellement sur plusieurs générations, jusqu’à obtenir des individus proches de la perfection (la perfection est toute relative!).

    Les couleurs ne se discutent pas…
    Comme Darwin s’est intéressé au critère de la couleur, je vous propose de passer en revue les pigeons qu’on peut croiser de nos jours à Paris et d’en noter les couleurs…


    Comme vous pouvez le voir sur ces photos, il y a des pigeons de couleurs très différentes… et encore ces photos ne sont pas réellement représentatives de la diversité de ce qu’on peut voir au détour d’une rue. Sur la place de la Contre Escarpe par exemple, devant Notre-Dame, ou encore, sur les toits de l’université de Jussieu !
    Au milieu de toute cette diversité de motifs, on arrive à établir un classement approximatif mais qui sert néanmoins de base aux scientifiques qui étudient les pigeons.
    Tout d’abord, il y a les pigeons tout blancs! Ceux là ne sont pas si fréquents que ça à Paris mais il est possible d’en observer si on fait bien attention. Les pigeons blancs sont assimilés aux colombes, symbole universel de paix. Il parait qu’il y a une région en Amérique du Sud, au Pérou il me semble, où la plupart des pigeons sont blancs. Et Nicobola m’a confié qu’ils sont aussi assez fréquents à Göteborg, en Suède. L’exact inverse de Paris et de Londres !
    Après les pigeons blancs, il y a les pigeons gris clairs, qui ont deux barres noires/bleues à l’extrémité des ailes. Vous n’avez pas l’impression que ces pigeons là sont les plus fréquemment observes (ne serait-ce que sur les photos ci-dessus)? Encore un peu de patience et vous comprendrez pourquoi…
    Ensuite, on trouve des pigeons gris tachetés avec du noir. Mais on voit aussi des pigeons noirs tachetés avec du gris. Quelle différence me direz-vous? Et bien la proportion de chaque couleur voyons! Les seconds donnent l’impression d’être plus foncés de ce fait. Dans les deux cas, les tâches forment un peu comme un damier sur la robe du pigeon.
    Enfin, on a les pigeons …. Noirs ! Tout noir, de la tête à la pointe de la queue ! Ceux là sont facilement reconnaissables.

    Un beau dégradé du blanc au noir...

    Malgré les catégories que je viens de vous citer, il ne faut pas avoir l’esprit trop fermé, car la Nature est très originale et alors on trouve tous les intermédiaires possibles. Parfois même, un pigeon tout noir aura une ou deux plumes blanches sur chaque aile ou encore un pigeon tout blanc pourra avoir la tête toute noire !
    Et un autre détail qu’il ne faut pas oublier…. Les nuances que je vous ai cité existent aussi dans les tons roux ! D’un roux plutôt blanc à un roux tout foncé en passant par les échiquiers blanc-roux et roux-blanc (regardez donc là dessous comme ils sont beaux).

    Pour ceux qui se poseraient la question... Les couleurs chez les pigeons sont dues à des pigments particuliers qu'on appelle la mélanine. Cette molécule est la même que celle qui pigmente notre peau et notre poil. Il en existe deux types: l'eumélanine, qui est à l'origine de la couleur noire/brune, et la phéomélanine, qui est contenue dans la cellule et de la quantité de pigment total contenue, d'où la gamme de nuance de couleur de pigeon qu'on retrouve dans la Nature.


    Alors … une ou plusieurs espèces ?
    Trêves de suspens, il faut que je vous dise tout maintenant !
    Darwin, suite à de longues réflexions et expérimentations en est arrivé à la conclusion que toutes les variétés de pigeons étaient différente races, mais de la même espèce. Ses arguments ? Et bien les voilà :
    - Il aurait été difficile pour les hommes de domestiquer 7 ou 8 espèces différentes et de les faire se reproduire librement
    - La domestication remonte à des temps anciens et dans des régions très variées et la sélection de caractères a eu le temps d’opérer de diverses façons sur l’espèce
    - Ces espèces supposées ne sont connues nulle part à l’état sauvage et les espèces domestiques ne semblent jamais être revenues à l’état sauvage
    - Les variétés présentent des « caractères très anormaux » par rapport aux autres espèces de colombidés mais en revanche elles présentent beaucoup de points communs avec les pigeons bisets
    - Les couleurs bleues et les marques noires réapparaissent dans toutes les variétés qu’on les conserve pures ou qu’on les croise
    - Les hybrides sont féconds

    Un dessin des races issues du pigeon biset (http://www.ibri.org/Books/Pun_Evolution/Chapter3/fig3-06.jpg)

    Ainsi, l’ensemble des variétés de pigeons seraient, selon Darwin, issus du pigeon biset, Columba liviaà robe grise avec 2 barres bleues/noires à l’extrémité basse des ailes. Je vous en ai parlé tout à l’heure en vous décrivant les différentes couleurs de pigeon qu’on voyait à Paris. Effectivement un grand nombre des oiseaux qu’on voit tous les jours ressemblent comme deux gouttes d’eau au pigeon biset sauvage, alors qu’ils sont en fait des pigeons domestiqués. Le pigeon biset sauvage nicherait au bord des précipices (est-ce que ça n’aurait pas un lien avec leur aisance à voltiger entre les grands immeubles qu’on trouve en ville? A cogiter !) et serait doué d’un vol puissant. Il se pourrait que certains oiseaux sauvages persistent encore sur les côtes de la Méditerranée.
    Voilà un pigeon qui aurait les caractéristiques du pigeon biset sauvage!


    Différentes couleurs... Et alors?
    Maintenant qu’on sait que tous ces piafs sont de la même espèce et pourquoi il y en a de différentes couleurs, je suis sûre que vous voulez savoir ce que ça change pour un pigeon d’être noir, gris, blanc, ou roux. Les chercheurs émettent beaucoup d’hypothèses à l’heure actuelle et sont en train de les vérifier une à une. Je vais vous présenter certaines de ces hypothèses :
    -Selon la couleur, un pigeon ne serait pas attaqué de la même façon par les parasites. En effet, les observations montre que plus un pigeon est foncé et plus il porterait de parasite dans ces plumes. Mais ça n’affecterait pas son état de santé pour autant. On pourrait penser que c’est parce qu’il est plus résistant que les pigeons clairs, non ?! Vous vous demandez pourquoi les pigeons noirs sont plus parasités? Peut-être parce qu’ils fréquentent des lieux où les parasites sont plus denses, il s’agirait donc d’une différence de comportement entre les oiseaux clairs et sombres... La question reste à éclaircir!
    -Les pigeons de couleur sombre seraient plus gros! Les chercheurs pensent que soit ils arriveraient à mieux se nourrir que les pigeons clairs (ils passent plus de temps à chercher à manger, ou alors c’est qu’ils ont une force de persuasion plus forte face aux petits moineaux dans la lutte pour les miettes de pain!), soit ils alloueraient la plus grande partie de l’énergie acquise par l’alimentation dans la croissance.
    -Les pigeons les plus foncés semblent stocker plus de métaux lourds dans leurs plumes. Les chercheurs pensent qu’il y aurait un rapport avec les pigments présents dans leurs plumes (la mélanine est une molécule qui a beaucoup d’affinité pour certains métaux lourds) et peut-être aussi avec leur meilleur capacité à se nourrir (c’est logique que s’ils mangent plus, ils ingèrent plus de cochonnerie aussi!)
    -Des études menées aux Etats-Unis ont montré que les pigeons qui avaient des plumes blanches étaient beaucoup plus soumis à leur prédateur naturel en milieu urbain que ceux qui étaient entièrement colorés. Une des hypothèses est qu’un plumage sombre permet de mieux se camoufler au milieu de la grisaille de la ville que les plumes blanches.
    -Théoriquement, le taux de reproduction des mâles foncés devrait être plus important que celui des mâles blancs car le processus de production de la mélanine implique la production d’une hormone mâle, la testostérone. Cette hormone est connue pour son rôle dans la reproduction.
    J’espère que maintenant, quand vous prendrez quelqu’un pour un pigeon, vous y réfléchirez à deux fois et surtout vous n’oublierez pas de penser à sa couleur ;)

    Pour finir :

    - Un petit court-métrage de Sylvain Chomet :
    - Deux extraits d’une vidéo sur les pigeons à Paris proposé par Natural Movement et Anne Caroline Prévot Julliard (chercheur du Muséum National d’Histoire Naturelle) :
    - L’Origine des Espèces disponible en ligne en version anglaise :
    - Un site sur les pigeons dont Darwin a parlé (en anglais of course !) :
    - Un site internet sur Charles Darwin et l’Evolution :
    - Un article cousin de celui là, mais qui parle surtout des différentes morphologies de pigeon :

    Biblio
    -Darwin (1859) On the Origin of Species
    -Johnson et Janiga (1995), The feral Pigeon, Oxford University Press
    -Ducrest, Keller, Roulin (2008) Pleiotropy in the melanocortin system, coloration and behavioural syndromes, Trends in Ecology and Evolution, 23/9: 502-510.
    -Karimi (2010) rapport de stage au laboratoire Ecologie et Evolution
    -Jacquin, Lenouvel, Haussy, Ducatez, Gasparini (2011) Melanin-based coloration is related to parasite intensity and cellular immune response in an urban free living bird: the feral pigeon Columba livia, Journal of Avian Biology, 42/1:11-15.

    A table !!! Ou quand parfois, ce sont les plantes qui mangent les animaux...

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    Petite introduction

    Aujourd'hui nous allons parler des... plantes carnivores. Ahaha ! me diras tu, cher lecteur, chère lectrice, enfin des plantes qui bougent, qui chassent, qui dévorent des animaux ! Des plantes qui font autre chose que rester sans rien faire à se dorer la pilule au soleil toute la journée pour photo-synthétiser...
    Que nenni, Petit Scarabée !

    Tout d'abord, il faut se sortir de la tête toutes ces élucubrations et autres histoires à dormir debout à propos des plantes carnivores. Non, une plante carnivore ne peut pas manger un être humain... et encore moins un mammouth !
    Ceci est un mammouth. Dans une plante carnivore. Si si...
    d'après le film : Ice Age : Dawn of the Dinosaurs

    Bien longtemps pourtant, on a considéré les plantes carnivores comme de véritables dévoreuses de chair animale. Pour preuve, le récit d’un certain Carl Liche, publié en 1881 et reprit à l’époque par de nombreux journaux. Cet explorateur relate une de ses aventures : à Madagascar, guidé par la tribu des Mkodo, il se retrouve nez à nez avec un arbre anthropophage. James W. Buel publie en 1887 Sea and Land dans lequel il rapporte le témoignage de nombreux voyageurs « de confiance » ayant aperçu une plante carnivore de grande taille en Afrique Centrale et en Amérique du Sud (deux zones de forêts denses), la Ya-te-veo (traduit littéralement par « Je te vois ») qui « ne se contente pas seulement des myriades d’insectes de grandes tailles qu’elle attrape et consomme, mais sa voracitéatteint le point de faire des humains ses proies ». En 1927, Chase Osborn reprend le récit de Liche dans son livre "Madagascar, Terre de l'arbre anthropophage". Ce n’est qu’en 1955 que la supercherie du récit de Carl Liche est révélée (ainsi d'ailleurs  que l'existence factice de Carl Liche)(Chase et al., 2009).

    La plante "Ya-te-veo", illustration de J.W. Buel, 1887
    Source : wikipedia.org 
    On pourrait se dire qu'avec le temps, toutes ces histoires auraient pu être considérées comme de simples fables et oubliées... Néanmoins, le mythe de la plante carnivore et/ou anthropophage reste vivace dans la culture occidentale, que ce soit dans les livres (Le Seigneur des Anneaux, Harry Potter...)les bandes dessinées (Batman, Hulk, Tarzan), les films (La petite boutique des horreurs en 1960, Jumanji en 1995, Les Ruines en 2008...) ou les jeux vidéos (Super Mario, Pokemon).

    Quelques exemples des plantes carnivores imaginaires obtenues par certains auteurs après avoir consommé des substances pas très légales... tu reconnaîtras, chère lectrice, chère lecteur, un Pokémon, un personnage de la série Batman, et des petits sorciers bien connus... ou bien encore des fonds d'écranà ne plus savoir qu'en faire !

    Mais revenons à nos moutons. Enfin, à nos plantes carnivores réelles... car, oui, toutes ces histoires de plantes mangeuses d'hommes ont bien un fond de vérité : il existe des plantes qui sont capables de consommer de la matière animale pour assurer leur croissance.
    Dès 1860, Charles Darwin (et oui, encore lui !) étudie les plantes du genre Dionaea, Drosera et Utricularia et publie ses résultats dans l'ouvrage Insectivorous plants en 1875... Même si, à l'époque, ses conclusions ne font pas l'unanimité car elles vont à l'encontre de certaines croyances religieuses (voyons, les plantes ne mangent pas les animaux, tout le monde sait ça, c'est contre nature !), cet ouvrage est l'un des premiers consacré exclusivement à ces plantes si particulières. 

    Mais au fait, c'est quoi une plante carnivore exactement ?

    La définition d'une plante carnivore semble évidente, me diras-tu cher lecteur/chère lectrice. C'est une plante qui mange des animaux ! Ha mais oui bien sûûûûûûr. Où avais-je la tête ? Pas sur les épaules en tout cas...
    Oui, parce vous me la trouverez, la bouche de la plante...
    Alors, comment caractérise-t-on une plante carnivore ?

    Thomas J. Givnish propose la définition suivante : une plante est dite carnivore si, et seulement si, elle possède un ensemble de caractères et de processus physiologiques qui lui permette d’attirer, de piéger et/ou de digérer des proies, mais également de récupérer les éléments nutritifsde ces proies, le tout ayant un effet sur sa capacité photosynthétique (Givnish et al., 1984; Juniper et al., 1989).
    Quand on imagine une plante carnivore, on pense en premier lieu aux plantes typiques présentes dans les genres Nepenthes, Drosera ou même Dionae.
    Il faut savoir que ces plantes, bien qu'elles possèdent des morphologies différentes, fonctionnent de la même manière : elles attirent, piègent et digèrent les insectes qui s'approchent un peu trop près...

    La digestion des insectes est effectuée grâce à des enzymes protéolytiques (c'est à dire, qui lysent, fractionnent les protéines en plus petits éléments assimilables par la plante à travers ses parois cellulaires).
    C'est cette caractéristique - la digestion - qui engendre pas mal de polémiques autour d'une définition claire et précise de la carnivorie végétale.
    Ainsi, toutes les plantes considérées actuellement comme carnivores ne répondent pas entièrement à cette définition. En effet, certains auteurs introduisent la notion de "précarnivorie" et de "protocarnivorie".
    Pour Juniper et al. (1989), une plante qui attire, qui capture et qui assimile les éléments nutritifs de sa proie, mais qui ne sécrète pas d’enzymes digestives (et dont la digestion repose donc sur une décomposition réalisée par des commensaux ou des bactéries) tombe sous un statut de « précarnivorie ». Non seulement elle n’est pas carnivore, mais l’appellation « précarnivore » sous entend une idée gradiste de l’évolution, c'est-à-dire un concept selon lequel certains organismes actuels sont « plus évolués » que d’autres organismes (actuels eux aussi) et que ces organismes « plus évolués » descendent des organismes « moins évolués ».
    Pour Givnish et al. (1989), la protocarnivorie se définit par la possession de caractères permettant l’attraction, la capture ou la digestion d’une proie, mais dont ce n’est pas la fonction primaire et dont l’allocation d’énergie n’est pas dévouée à la carnivorie. Prenons l'exemple des plantes incluses dans le genre Nicotiana (c'est le genre où se situe N. tabacum, plus connu sous le nom de... tabac) : certaines d'entre elles sécrètent des mucilages (= une sorte de glu, de colle...) pour empêcher que les insectes phytophages ne les attaquent et ne les consomment. Elles tuent les insectes par le même procédé que les plantes du genre Drosera mais elles ne les consomment pas !

    Je ne vais pas détailler les différents types de pièges qui existent, tu pourras très facilement, chère lecteur, chère lectrice, observer toutes les formes par toi même si tu te rends au magasin de jardinage le plus proche de chez toi, section "plantes d'intérieur", rayon "plantes tropicales", étagère "plantes carnivores", - 30% de réduction sur les pots marqués d'une pastille bleue oups désolé je m'égare un peu là où en étais-je...
    Ah ? On me dit en régie que je dois quand même détailler les différentes plantes carnivores qui existent et les mécanismes qui leur permettent de consommer des insectes. Eh bien soit ! en avant la musique !
    On distingue différents types de pièges permettant aux plantes carnivores de récupérer les Insectes en guise de casse-croûte… je vais vous en présenter quelques uns.

    1) Les pièges passifs ou semi-actifs
    Il s’agit des pièges qui ne nécessitent pas de mouvements de la part de la plante pour capturer l’insecte : ce dernier va au devant de sa propre mort de son plein gré… si l’on peut dire !

    1.1) Piège à mucilage… ou piège « papier tue-mouche »
    Les plantes qui possèdent ce type de piège attrapent leurs proies de la même manière que tous les humains qui en ont assez de voir tourner les mouches au plafond de leur cuisine : une simple bande de papier collant suffit à immobiliser les insectes bruyants pour les humains… mais les plantes, quant à elles, vont sécréter des enzymes digestives qui vont dégrader les protéines des insectes collés aux feuilles. Ensuite, les éléments issus de cette dégradation vont être absorbés par la plantes.
    Ce type de piège se retrouve chez les genres Byblis, Drosera, Drosophyllum, Pinguicula, Roridula et Triphyophyllum. En réalité, il ne s’agit pas d’un véritable « papier tue-mouche » mais plutôt d’un tapis de petits poils glandulaires– appelés les trichomes – qui sécrètent des mucilages– liquide gluant – et des enzymes digestives (d’après Albert et al. 1992). Chez ces espèces, l’insecte piégé est lentement digéré sur place.
    Une feuille de Drosera avec un insecte englué ; la feuille se replie progressivement sur la proie
    Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Drosera_capensis_bend.JPG 

    Dans le cas des pièges semi-actifs des plantes du genre Drosera, on observe que quelques instants après la capture de l’insecte, les trichomes se replient et se collent à lui. L’insecte est alors définitivement piégé et pour faciliter le contact de celui-ci avec les glandes productrices d’enzymes, la feuille entière peut se replier sur la proie en quelques heures.

    1.2) Pièges à urnes… ou comment finir sa vie noyé !
    Urne de Nepenthes. Ce qui est important à retenir, c'est qu'il existe 3 grandes zones :
    zone supérieure, constituée du péristome, des lèvres et du "chapeau", qui servent à l'attraction de l'insecte
    zone médiane, correspondant à la zone glissante (où l'insecte va vraiment être pris au piège) et qui va l’empêcher de remonter et de sortir
    zone inférieure, où l'insecte va être finalement digéré lentement et absorbé.





























    Cette stratégie est celle de plusieurs genres tels que Cephalotus, Darlingtonia, Heliamphora, Nephentes et Sarracenia. Ces pièges ont tous en commun le fait d’être des feuilles dont la partie supérieure se retrouve être l’intérieur de l’urne (Juniper et al., 1989). Les pièges de ces différents genres sont constitués de 3 zones principales correspondant chacune à une fonction bien précise.

    Il existe d’autres pièges passifs chez d’autres genres, qui ne sont ni des « papiers tue-mouche » ni des urnes, mais je n’en parlerai pas ici. Sinon, cet article va finir par être trop long et personne ne pourra le lire jusqu’au bout sans mourir d’ennui ! 

    2) Les pièges actifs
    Attention ici, on retrouve LA plante carnivore emblématique, à savoir… la Dionae. Mais aussi un autre genre de plante mal connu…

    2.1) Les pièges à mâchoires… gare aux morsures !
    Les marges des lobes des feuilles de Dionaea sont parsemées de glandes qui sécrètent des glucides – c'est-à-dire des sucres simples. De plus cette zone absorbe les UV, la rendant attractive au regard des insectes. Quand une proie s’approche et excite des poils sensibles sur le piège, un courant ionique calcique se déclenche et a pour effet de changer l’acidité dans les cellules de la nervure centrale. Ce changement provoque une fermeture du piège par différence de pression hydrostatique. Ce mouvement est très rapide, de l’ordre du 1/30ème de seconde (Barthlott et al., 2008). Bon… peut être que là je vais clarifier les choses, c’est un peu abscond quand on ne connaît pas grand-chose à la biologie cellulaire. En gros, imaginez la chose : l’insecte se pose au centre de la feuille en mâchoire. A ce moment là, elle titille les poils sensibles présents dans le piège… ce qui a pour conséquence un changement de la quantité d’eau dans les cellules (et vous savez très certainement, chère lectrice, cher lecteur, que les cellules végétales contiennent un gros réservoir d’eau – entre autre – appelé vacuole) : cela permet au piège de se refermer brutalement. Un peu comme quand on appuie sur un ballon de baudruche fermé presque dégonflé : si on appuie fort, la matière plastique va redevenir tendue par l’air à l’intérieur. Eh bien, lorsqu’on parle de changement de pression hydrostatique, c’est un peu comme si les cellules étaient un ballon de baudruche dégonflé qui redevient gonflé instantanément…

    Cela se passe de commentaire... en tout cas, l'insecte va y passer, ça c'est sûr !
    Sources : http://www.dionaea-muscipula.com/culture.html

    Au final, la proie continuant à se débattre à l’intérieur du piège provoque sa fermeture complète et hermétique en quelques heures. Ensuite la plante sécrète un ensemble d’enzymes (estérases, phosphatases, protéases) qui auront pour effet de dégrader la proie. Quelques semaines plus tard, le piège se rouvre sur la carapace vide de l’insecte et redevient fonctionnel (Juniper et al., 1989).

    2.2) Les pièges à outres… totalement siphonnés !
    On ne trouve ce type de pièges que chez les Utricularia, qui sont des plantes aquatiques d’eau douce. Elles possèdent des utricules (c'est-à-dire des outres) de taille variable, entre 0,2 et 1,2 cm de diamètre (Chase et al., 2009). Cette structure est refermée par un clapet qui porte des poils sensitifs. La pressionà l’intérieur d’une outre au repos est plus faible par rapport à celle du milieu extérieur (Adamec, 2011). Dès qu’un animal touche un des poils sensitifs, le clapet s’ouvre brusquement (1/50ème de seconde, Barthlott et al., 2008) et il est aspirédans l’outre avant que le clapet ne se referme. Des enzymes sont alors sécrétées à l’intérieur de l’outre afin de digérer la proie qui s’y trouve ; la plante peut ensuite récupérer les produits de la digestion (Chase et al., 2009).


    Voici une petite outre d'Utricularia
    Pour plus d'informations sur les différents pièges existants chez les plantes carnivores, cliquer ici .

    Les plantes carnivores parmi les autres plantes à fleurs : pas si simple de s'y retrouver...

    Bref. Passons à présent à la question qui m’intéresse plus personnellement et qui s'éloigne bien évidement de la sempiternelle ritournelle "la plante carnivore de ma petite sœur perd ses feuilles, faut-il que je l'arrose plus ?" ou encore "c'est quoi comme espèce ma plante ? c'est une rare ?" ; la question que vais développer ci-après est donc la suivante : où se situent les plantes carnivores dans l'arbre des plantes à fleurs ?
    Attention, ici, lorsque je parle "d'arbre des plantes à fleurs", je fais bien entendu référence à la classification phylogénétique des plantes à fleurs - appelées aussi Angiospermes - dont j'ai déjà parlé dans la dernière partie d'un article précédent ici . Pour celles et ceux qui n'auraient pas lu cet article ou qui auraient tout simplement la flemme, je dirais seulement que "l'arbre des plantes à fleurs" est la manière actuelle de classer les Angiospermes, selon leurs relations de parenté.

    Or donc, nous voici face à un problème concret : en bon scientifique que nous sommes - et particulièrement en tant que scientifique bien au fait des notions reliées à l'évolution en général - nous voulons savoir si le syndrome carnivore (autre nom de la carnivorie) est apparu une seule fois dans l'arbre des Angiospermes... c'est à dire si toutes les plantes carnivores actuelles sont directement reliées entre elles, phylogénétiquement parlant. 
    Pour Darwin, en 1875, toutes les plantes carnivores connues se répartissent dans trois grands groupes, disséminés parmi les autres groupes d'Angiospermes : les Droseraceae, les Lentibulariaceae, les Nepenthaceae. Par conséquent, Darwin considère que la carnivorie associée à ces groupes est également apparue trois fois de manière indépendante. Je parlerai plus en détail de cette notion d'apparition indépendante plus loin dans cet article.
    Par contre, Léon Croizat, en 1960, considère que la carnivorie chez les plantes correspond à une divergence « à la base » du groupe des Angiospermes ; il pense que la carnivorie est aussi ancienne (si ce n’est plus) que le groupe des Angiospermes lui-même. En clair, cela signifie que pour Croizat, les plantes carnivores sont apparues antérieurement à toutes les autres plantes à fleur au cours des temps géologiques. Dans un article précédent, Nicobola a déjà parlé des travaux de Croizat ici .

    Or, d'après les dernières études sur les plantes carnivores, il semble que ce soit la solution de Darwin qui soit la bonne... Voyez plutôt :

    Phylogénie des Angiospermes avec mise en évidence des différentes lignées indépendantes de plantes carnivores (d'après Ellison & Gotelli, 2009).
    Bon, d'accord... on ne voit pas très bien, c'est écrit très petit. Mais ce qui est important à voir ici, ce ne sont pas forcément les noms des plantes... mais les couleurs. Ainsi, en vert, on retrouve les groupes qui contiennent un ensemble de plantes strictement carnivores. En jaune, ce sont les groupes où seules quelques espèces de plantes sont carnivores, et enfin en bleu, il s'agit d'un groupe où la carnivorie d'une espèce est encore discutée.
    Comme tu peux l'observer sur la figure précédente, cher lecteur, chère lectrice, toutes les plantes carnivores ne sont pas regroupées au sein de l'arbre des plantes à fleurs : elles sont disséminées parmi les autres groupes de plantes non carnivores. 
    Mais alors, comment cela est il possible d'avoir la même chose... différemment en plusieurs fois dans l'arbre du vivant... et au final, s'agit-il bien de choses identiques ou de choses qui semblent seulement identiques mais qui ne le sont pas ? C'est à dire, dans notre cas, est ce que les différentes plantes carnivores ont toutes les mêmes caractéristiques morphologiques, même si elles ne sont pas directement liées phylogénétiquement, ou bien est ce que ce sont des caractères morphologiques qui se ressemblent fortement mais qui ne font que "s'imiter" les uns les autres ?

    Toutes ces questions - un peu tarabiscotées, certes - peuvent trouver une réponse simple et claire : la carnivorie est un phénomène de convergence chez les plantes à fleurs.
    La convergence est, d'après Darlu et Tassy (1993), "l'apparition indépendante chez deux espèces (ou plus) d'un même caractère." Dans notre cas, il s'agit de la carnivorie végétale... Ce mécanisme de nutrition des plantes grâce à l'utilisation de matière organique azotée provenant des insectes est semblable chez différents groupes de plantes non apparenté directement... ce qui est bien la définition de la convergence. 

    Le mécanisme de convergence est fréquemment retrouvé au cours de l'évolution : il peut être le résultat de l'adaptation morphologique de deux espèces éloignées phylogénétiquement au même milieu de vie. C'est ce qui se passe chez les plantes carnivores - la carnivorie permet la survie dans des milieux très pauvres en matières azotées nécessaires à la croissance des plantes - mais je pourrais prendre un tout autre exemple... disons, celui du Thon et du Dauphin : ils vivent dans un même milieu (le milieu marin) et subissent donc des contraintes physiques identiques ;  chez ces deux espèces, on trouve un corps effilé, profilé pour la vitesse et offrant peu de résistance à l'eau. Attention, il ne faut pas tomber dans le piège du finalisme quand on raisonne de cette manière : ce n'est pas parce que le Thon ou le Dauphin "veulent" aller plus vite que leur forme change, non, bien au contraire... mais ce sont les individus possédant les formes les plus effilées qui ont pu engendrer une descendance plus importante, ce qui a entraîné la sélection en faveur des individus les plus aptes à se mouvoir en milieu aquatique... et puisque ce milieu offre les mêmes contraintes physiques pour des groupes d'organismes différents, il est logique de penser qu'une forme générale - effilée et hydrodynamique - sera retenue au cours de l'évolution. D'où l'observation actuelle de convergences.

    Si j'ai parlé ici des plantes carnivores, c'est donc pour démontrer une chose : il ne faut pas se fier aux apparences lorsqu'on étudie les sciences de l'évolution, car les éléments que l'on observe à priori n'ont pas forcément de relation phylogénétique proche entre eux ! 
    Voilà, j'espère que tu auras compris et apprécié cet article, chère lectrice, chère lecteur... et que tu n'hésiteras pas à poser des questions si question il y a !!!

    Je tiens à remercier tout particulièrement Simon Verlynde, qui m'a aidé dans la rédaction de cet article. Merci Simon ! 

    Bibliographie 

    Adamec L., 2011, Functional characteristics of traps of aquatic carnivorous Utricularia species.Aquatic Botany. Vol. 95, n°3, p. 226–233.

    Albert V.A., Williams S.E., Chase M.W., 1992, Carnivorous Plants : Phylogeny and Structural Evolution.Science, New Series, Vol. 257, n°5076, p. 1491-1495.

    Barthlott W., Porembski S., Seine R., Theisen I., 2008, Plantes carnivores – biologie et culture. Editions Belin, Paris

    Chase M.W., Christenhusz M.J.M., Sanders D., Fay M.F., 2009, Murderous plants: Victorian Gothic, Darwin and modern insights into vegetable carnivory . Botanical Journal of the Linnean Society. Vol. 161, n°4, p. 329–356.

    Croizat L. 1960. Principia botanica, or beginnings of botany (with sketches by the author). Caracas, Venezuela.

    Darlu P. & Tassy P., 1993, La reconstruction phylogénétique - conseils et méthodes. Masson

    Darwin C., 1875, Insectivorous Plants. John Murray, London

    Ellison A.M. and Gotelli N.J., 2009, Energetics and the evolution of carnivorous plants – Darwin’s ‘most wonderful plants in the world’. Journal of Experimental Botany. Vol. 60, n°1, p 19–42.

    Givnish T.J., Burkhardt E.L., Happel R.E., Weintraub J.D., 1984, Carnivory in the Bromeliad Brocchinia reducta, with a Cost/Benefit Model for the General Restriction of Carnivorous Plants to Sunny, Moist, Nutrient-Poor Habitats. The American Naturalist. Vol. 124, n°4, p 479-497

    Juniper B.E., Robins R.J, Joel D.M., 1989, The carnivorous plants. Academic Press, London.


    La coopération : pourquoi pose-t-elle problème ?

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    D’innombrables exemples…

    La coopération au sens très large (l’entraide entre plusieurs individus) est un caractère éminemment présent dans la nature, loin de concerner uniquement l’espèce humaine. Pour ceux qui ne seraient pas convaincus, et je doute qu’ils soient nombreux, sachez que l’on retrouve des actes de coopération chez tous les grands groupes d’organismes, indépendamment de leur complexité, et à tous les niveaux au sein d’un organisme.

    Je ne parle pas de la coopération « grand public », vous savez ces vidéos qui font le tour de la planète où on voit un hippopotame bravant un féroce crocodile dans le but ultime de délivrer une antilope des dents acérées du monstre… Aussi attendrissantes que soient ces vidéos dont on donne des significations très anthropomorphiques, nul besoin d’invoquer ces soudains excès de bravoures au semblant altruiste pour parler de la coopération. Prenons plutôt quelques exemples des plus simples.




    La plupart des animaux qui vivent dans des groupes sociaux coopèrent pour maints aspects de leur vie quotidienne. Prenez un groupe d’oiseaux en train de picorer, chacun va lever la tête relativement souvent pour s’assurer qu’aucun prédateur ne rode dans les parages. Chaque individu profite de la vigilance des autres du groupe, de telle façon qu’il n’a pas besoin d’être aussi vigilant que s’il était seul, et que malgré ça il serait averti plus rapidement de l’approche d’un prédateur.

    Chez les chauves-souris vampire qui se nourrissent de sang, il arrive qu’un individu n’ait pas réussi à se procurer de la nourriture, et se trouve dans une situation critique pour sa santé. Qu’à cela ne tienne, il lui suffit de solliciter un de ses partenaires pour que celui-ci lui régurgite une partie de son propre repas. Il s’agit alors d’un acte que l’on peut qualifier d’altruiste, puisque le donneur doit payer un coût (le sang régurgité) et ne reçoit aucun bénéfice direct. Cependant, il pourrait arriver par la suite que cet individu ait à son tour besoin de nourriture, et qu’on lui rende la pareille.


    Partage de sang chez les chauves-souris vampire [Source gauche, droite]


    Dans une troupe de lionnes, une véritable coopération se met en place lors de la chasse. Au lieu de chasser chacune leur propre proie, elles réunissent leurs forces et se coordonnent pour attraper des proies plus grosses. Et au final, même si cette proie devra être partagée par l’ensemble du groupe, un individu y gagne plus que s’il devait chasser tout seul des proies forcement plus petites et moins faciles à attraper.

    La liste des actes de coopération n’en finit pas. Elle concerne également d’autres règnes que les animaux. Les plantes peuvent par exemple coopérer en se prévenant par des signaux chimiques de l’attaque d’un herbivore. La coopération peut tout à fait concerner plusieurs espèces, comme ces stations de nettoyage sous-marines où des petits poissons (qui n’existent pas, non, non !) débarrassent leurs clients de leurs parasites en s’en nourrissant. J’ai également parlé d’une coopération au sein de l’organisme. Pensez à nos petites cellules qui coopèrent bravement pour faire fonctionner notre organisme !


    Quelques exemples de coopération parmi les nombreux que compte le règne animal : défense contre les prédateurs chez le bœuf musqué [Source], épouillage chez les primates [Source], nombreuses espèces de poissons nettoyeurs [Source], partage de l’élevage des jeunes chez les suricates [Source]



    La coopération et l’évolution


    Tous les exemples cités précédemment vous auront sans doute convaincu d’une chose : la coopération semble apporter d’énormes bénéfices à ses acteurs, ce qui vous paraît tout à fait logique puisqu’elle est soumise à la sélection naturelle. Cependant, la coopération a très longtemps posé problème, et continue de faire cogiter les chercheurs. Car malgré cette intuition de logique, comprendre comment la coopération a pu apparaître et se développer est loin d’être une chose aisée.

    Pour vous expliquer simplement, reprenons un des exemples précédents. Un oiseau est plus en sécurité au sein d’un groupe puisqu’il profite de la somme des vigilances de tous les individus du groupe. Lui-même participe à cette vigilance commune, en observant autour de lui. Comme toutes les activités, être vigilant prend du temps et de l’énergie. Il faut sans cesse relever la tête, faut faire gaffe aux torticolis et puis ça empêche de se goinfrer comme il faut. Mais si jamais cet oiseau décidait de ne pas participer à la vigilance collective, il aurait tout loisir de manger tranquillement et ça ne changerait pas grand-chose à sa sécurité au final, pour une paire d’yeux de moins… Vous venez d’assister à l’apparition du premier individu dit « tricheur » de la population, et c’est justement, précisément, ce qui pose problème dans l’établissement et le maintien de la coopération. Car cette tendance à la tricherie risque de se répandre dans la population et d’engloutir dans le même temps la coopération.

    Il en est de même pour les chauves-souris. Imaginez un individu qui sollicite les autres quand il est affamé mais refuse de partager sa nourriture lorsqu’on le sollicite à son tour. Si on reprend le raisonnement très simple de la sélection naturelle, comme il aura les bénéfices de la nourriture des autres et ne payera aucun coût pour en fournir aux affamés, il aura un meilleur succès que les autres, grandira plus vite par exemple, vivra plus longtemps ou pourra consacrer plus d’énergie à sa reproduction, si bien qu’il engendrera plus de descendants qui partagent le caractère « égoïste », et la population s’en trouvera alors envahie.

    Pour finir de vous convaincre, les humains sont excellents lorsqu’il s’agit d’envahir une population d’individus tricheurs. C’est pour cette raison que les sociétés basées sur l’échange de services, et où l’argent n’existe pas, ne sont souvent que des utopies. Je vais vous citer l’exemple formidable qui m’a permis de comprendre la théorie des jeux. Dans une ville, les gens ont le choix entre aller au travail en voiture ou en bus. Evidemment, moins il y a de voitures qui circulent, plus la route est dégagée et plus les véhicules sont rapides pour acheminer les habitants à leur lieu de travail. Mais la voiture reste quand même toujours plus rapide que le bus. Si tout le monde prenait le bus, les routes seraient bien dégagées et le trajet mettrait disons 15 minutes. Sauf qu’en voiture, il ne faut que 10 minutes… Du coup les petits malins commencent à prendre leur voiture, quitte à faire ralentir les bus, mais aussi les voitures ! Petit à petit, comme il est toujours plus rapide de prendre sa voiture, tout le monde va s’y mettre si bien qu’au final il faudra une demi-heure de route en voiture (les routes étant saturées !) et trois quarts d’heure pour les irréductibles écologistes et les gens sans permis qui prennent toujours le bus.


    Pour comprendre ce graphique, prenez n’importe quelle personne prenant le bus (en orange). La courbe bleue étant en dessous (temps de trajet plus faible), cette personne aura toujours intérêt à prendre la voiture. D’où le point de stabilité atteint au moment où tout le monde prend sa voiture, alors que le trajet serait plus court si tout le monde coopérait pour prendre le bus.



    Pour résumer, si tout le monde coopère en prenant le bus, chacun ne met que 15 minutes pour rejoindre son travail. Mais irrémédiablement, la tricherie va envahir la ville et les habitants devront subir au minimum les 30 minutes de voiture !

    Vous comprenez où je veux en venir ? Même si les habitants auraient tous intérêt à prendre le bus, la population tendra naturellement vers l’opposé. De même que dans la nature. Dans une population où tout le monde coopère, il suffit qu’un individu tricheur apparaisse et qu’il profite de la coopération des autres sans en payer le coût pour que la population bascule vers une population de tricheurs ! D’où le problème du maintien de la coopération.

    Le problème est encore plus pointu pour l’apparition de la coopération, et non son maintien. En effet, si on considère au départ une population totalement égoïste, où tout le monde ne s’occupe que de lui, comment la coopération pourrait se répandre ? Si un individu tout gentil apparaît spontanément dans la population, tout le monde profitera de lui et il aura un succès encore plus faible que les autres, donc aucune chance de répandre son caractère coopératif en engendrant plus de descendants.




    La solution ?


    Pourtant, la coopération existe bel et bien, et elle est très répandue. La question ne se pose plus quant à son intérêt, puisqu’on a vu qu’elle apportait nombre de bénéfices à ses acteurs. Mais son apparition, son évolution et son maintient ont soulevé depuis longtemps de nombreuses théories. Je ne vais pas ici les expliquer en détail, il faudra attendre d’autres articles. Cependant, il est trop cruel de vous tenir en haleine sans vous lâcher quelques bribes d’explications.

    La sélection de parentèle, mise en lumière par Hamilton, est une des principales hypothèses quant à l’apparition de la coopération. Un individu avide de répandre ses gènes aura tout intérêt à aider ses enfants, parents, frères et sœurs qui portent une grande partie de ses gènes. D’ailleurs la coopération observée est souvent plus importantes entre individus apparentés, pour cette raison.

    J’ai parlé plus haut de la théorie des jeux. C’est un thème qui sera abordé dans ce blog et qui apportera pas mal de réponses, notamment à propos du maintient de la coopération. Sachez seulement qu’un équilibre entre tricheurs et coopérateurs pourra s’établir. Les tricheurs peuvent également être évincés de la population, ou punis, et la coopération se maintient alors sous la menace. Encore une hypothèse qui fonctionne à merveille chez les humains : la menace d’une punition encourage très fortement la coopération.

    Enfin, la sélection de groupe revient en force dans le thème de la coopération. Toutefois, il faut prendre ce concept avec une infinie précaution. Nous sommes loin de la théorie de la sélection de groupe de Wynne-Edwards (1962), qui a été très vivement critiquée notamment par Williams (1972), et finalement considérée comme fausse. Loin également de Lorenz (1963) qui l’invoquait pour expliquer l’agressivité (selon lui, les individus se battent entre eux dans le but d’éliminer les plus faibles…). Depuis, la sélection de groupe est un peu tabou parmi les biologistes. On n’ose pas en parler, les étudiants se font taper sur les doigts s’ils en font allusion… Mais elle refait surface comme une bête de l’ancien temps qui se réveillerait d’une longue hibernation… Bon bon j’avoue je m’égare ! En attendant un article dévoilant le mystère de la coopération, je vous laisse cogiter !




    Bibliographie


    Pour les impatients, les articles clés expliquant l’évolution de la coopération :

    - Nowak, M.A. 2006. Five rules for the evolution of cooperation. Science, 314, 1560-1563.

    - West, S.A., Griffin, A.S. & Gardner, A. 2007. Evolutionary explanations for cooperation, Review. Current Biology, 17, R661-R672.


    Pour le “retour” de la nouvelle théorie de la sélection de groupe, voire le magazine « New Scientist » n°2824 (aout 2011)

    Evolution et complexité… Ce n’est pas simple !

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    La théorie de l'évolution, sous ses airs simples, est complexe… ou l’inverse selon certains ! Souvent, dans les médias par exemple, l’idée sera véhiculée que l’évolution mène vers plus de complexité. Cette affirmation est engendrée par plusieurs facteurs, notamment les représentations visuelles que l'on peut rencontrer de l'évolution. Mon idée ne sera pas de savoir ce qu’est la complexité (c’est un sujet bien trop complexe !) mais plutôt de montrer que l’évolution vers la complexité est quelque chose que l’on peut critiquer. Je vais donc accepter une « définition » intuitive de la complexité pour plus de simplicité.

    La première illustration utilisée pour représenter l’évolution est celle ci :

    La marche de l’homme vers le progrès… Source ici : hominides.

    Je l'ai trouvée d’ailleurs en premier résultat de google image France lorsqu’on tape « évolution ». Bon, je vous l’accorde, en fait l’illustration est tirée d’un site où justement cette représentation est critiquée. Je vous conseille d’ailleurs d’aller faire un tour sur cette page pour y voir les critiques (ici !). Cette image ne joue pas directement sur cette idée de complexité mais sur celle de progrès. Mais le progrès vers quoi ? Très probablement la complexité justement. Et qui est le plus complexe à la fin ? L’humain. C’est d’ailleurs un sacré hasard qu’on discute autant de l’évolution vers la complexité lorsque l’on se considère soit même comme complexe.

    A propos de représentations, Stephen Jay Gould, un auteur bien connu de vulgarisation scientifique sur l’évolution, fait aussi remarquer une chose : dans les représentations de l’évolution au cours du temps sur la Terre, on montre toujours dans les premiers temps des organismes évolutivement éloignés de l’homme (par exemple dans les mers anciennes : des crustacés et des méduses). Mais plus on approche de l’apparition de l’homme, plus on voit des organismes proches de l’homme (Puis, à partir d’une période géologique donnée quasiment tous les animaux représentés sur terre, sur mer ou dans l’air sont des vertébrés à quatre pattes (ou tétrapodes) !). Comme si les autres organismes présents antérieurement dans le temps avaient disparus où étaient en voie de disparition ! Alors que ces organismes n’ont pas cessé d’évoluer pour autant !
    Mais il sera rare (voire impossible) de trouver sur une de ces fresques (cf illustration plus bas) la période d’apparition des coléoptères (pourtant les plus nombreux des animaux en termes de nombre d’espèces), des escargots terrestres (pourtant loin d’être rares et sujets à un passage évolutif de l’eau à la terre ferme tout comme nous) ou même de groupes importants de bactéries ! Certes on ne peut pas tout représenter mais quel favoritisme pour l’homme et les organismes qui lui sont évolutivement proches !

    Une fresque biaisée de l’évolution. Remarquez par exemple qu'au Tertiaire les insectes ont disparus ! (cliquez pour agrandir. Fresque de l'évolution)

    Vous vous en doutez, le sujet a été largement traité. Mais une des premières objections que l’on pourrait faire est : si l’évolution tend vers plus de complexité alors toutes les lignées devraient tendre vers la complexité. Or si l’on juge certains groupes actuels comme « simples »… alors l’évolution ne tend pas nécessairement vers une complexité générale car cela implique que ces groupes n’ont justement pas tendu vers cette complexité ! Mais Gould a aussi traité ce problème d’un point de vue plus statistique : oui, l’humain est complexe, c’est quand même qu’il y a quelque chose qui l’a poussé à devenir complexe ! Gould réfute cette idée en abordant le problème par ce qu’il appelle « un mur de gauche » ou « la marche de l’homme (ou de la femme) ivre » : imaginez une personne saoule (ou tentez vous même l’expérience, le seul défaut c’est que vous risqueriez de ne pas vous en souvenir) marchant dans la rue. Cette personne titube de manière aléatoire à gauche comme à droite. A gauche se trouve un mur et à droite rien. Heuuu imaginons aussi qu’il n’y a pas de trottoir ni de voitures dans la rue, comme ça cette personne peut aller à droite autant que possible (bon, ho ! je bidouille comme je veux la métaphore dans mon esprit hein !). Cette personne ne peut pas traverser le mur mais peut aller loin à droite. Statistiquement elle va revenir plusieurs fois au mur mais elle peut aller aussi loin que possible du mur (sachant que la probabilité d’atteindre un point qui est loin à droite diminue avec sa distance au point de départ). Et bien remplacez le mur par la complexité minimale (à gauche) et la droite par la complexité maximale. Lâchez des centaines de personnes bourrées et la plupart seront collées au mur  (voir effondrés dessus hein) et très peu loin du mur. Cette hypothèse suppose que l’évolution vers plus ou moins de complexité est aléatoire (pas que l’évolution elle même est aléatoire, là encore on peut discuter longtemps). Gould constate que dans le vivant c’est effectivement le cas : les organismes les plus présents sur la planète sont les bactéries, organismes simples alors que l’ « être suprême » serait unique : ce serait l’humain. Certains dirons que les primates sont plus complexes au sein des mammifères, les mammifères plus complexes au sein des vertébrés, les vertébrés plus complexes au sein des animaux, etc. Oui, mais la personne ivre part nécessairement d’un point qui est plus à droite que le précédent pour continuer à droite. Voici un schéma illustrant ce problème : 

    « La mode de la bactérie» : on ne peut pas aller « plus à gauche » que la complexité minimale mais on peut toujours aller à droite. Cependant la proportion d’organismes à droite diminue avec la distance. 
    Bon maintenant on a brassé du théorique, c’est rigolo… mais voyons des cas plus concrets : 

    L’homme est-il réellement plus complexe ? Au niveau de la cognition ça ne fait pas de doute. Mais l’homme a aussi perdu beaucoup de caractères au cours de son évolution : sur ces points il a donc perdu en complexité. Notamment les branchies (A History of Fish 1 : Sans mâchoires y a de l'espoir !), la queue, pas mal d’os du crâne, différents types de poils (l’homme n’a pas de « moustaches » ou vibrisses comme les souris ou les chats). On pourra me dire « oui mais l’homme a plus de caractères complexes que simples ». Le problème c’est que chaque caractère est indépendant des autres donc comparer des choses indépendantes n’a pas de sens. 

    Mais d’autres exemples peuvent être cités : admettons alors que pourquoi pas, les primates sont plus complexes au sein des mammifères, les mammifères plus complexes au sein des vertébrés, les vertébrés plus complexes au sein des animaux, etc. Alors c’est supposer que les « invertébrés » (entre guillemets parce qu’ils n’existent pas (Les mystères de la phylogénie...) !) sont moins complexes que nous (même si comme je l’ai dit plus haut, mesurer la complexité générale a peu de sens). 

    Que nenni ! Prenez une éponge (cf illustration plus bas) : la plus amorphe créature au sein des animaux. Elle ne bouge pas, n’a pas d’organes, pas de système nerveux, filtre l’eau,... Bref, les éponges sont ce qu’on appelle le « groupe frère » des animaux, c’est à dire qu’à part être des animaux elles n’ont rien de commun avec les autres animaux. Premièrement il fallait bien que quelqu’un se dévoue pour cette place, on peut donc les féliciter pour leur sacrifice. Deuxièmement les éponges ont leurs propres caractères parfois bien complexes. En effet, on ne les définit pas seulement par les caractères d’animaux qu’elles n’ont pas (ce serait bizarre comme définition et de toute façon ça marche pas (cf  encore Les mystères de la phylogénie...) ). Elles ont ce qu’on appelle un système aquifère, c’est à dire un système de canaux internes qui font circuler l’eau et qui peut se diviser en sous chambres reliées par d’autres canaux. Bref, un labyrinthe de cavités dans lequel se paumerait le Minotaure (qui n’a au final qu’à suivre le courant !). Pas mal pour des "êtres inférieurs".

    Voici le type d’organisation labyrinthique que l’ont peut trouver dans une éponge :  l'éponge labyrinthe.

    Un autre caractère complexe présent chez beaucoup d’éponges, ce sont les spicules : des petites épines parfois aux formes compliquées servant de microsquelette aux éponges. Si la forme des spicules peut être complexe, leur agencement lui aussi peut l’être et est loin d’être aléatoire, formant un véritable macrosquelette cette fois. Et j’en connais qui n’ont pas de structures comme ça ! Quels êtres inférieurs a-spiculés ces humains, ils sont tellement simples qu’ils n’ont pas de spicules…

    A gauche les spicules d’une éponge. Quand on a eu à retenir le nom de chaque type de spicule (et il y en a un certain nombre) on ne voit plus ça comme quelque chose de simple (diversité des spicules). A droite l’organisation d’une éponge avec la façon dont les spicules s’organisent (squelette de spicules). 

    Bon puis je n’allais pas clore le sujet sans une belle image d’éponge, juste pour les yeux :

    Belle éponge.


    Bon mais alors qu’est-ce que je vous fais depuis tout à l’heure ? Suis-je en train de vous montrer le contraire de ce que je voulais vous faire comprendre ? Finalement les éponges elles aussi sont complexes, tout le monde tend bien alors vers la complexité ! Non non, ici je veux montrer que la complexité revêt des formes auxquelles en tant qu’humain on ne pense pas forcement. Et que tout être vivant tend différemment vers la complexité ou la simplicité selon les caractères ou les critères considérés. Ce qui illustre que l’évolution ne semble pas se diriger vers une tendance générale.

    Mais vous voulez des exemples d’êtres qui se complaisent plus dans la simplicité que dans la complexité ?

    Un des premiers types d’organismes que l’on peut citer est celui des parasites souvent morphologiquement simples. Mais ils peuvent avoir des cycles de vie très complexes par ailleurs. Par exemple cet article que j’ai écrit où j’insiste sur le développement complexe de certains parasites, cet article renvoyant lui même vers d’autres articles sur leurs cycles alambiqués (les néodermates).

    Nos amies les ascidies sont de drôles d’organismes. J’en ai déjà parlé sur ce blog (deutérostomiens). Qu’est-ce qu’une ascidie ? Un sac planté au fond de l’eau qui filtre. Une éponge quoi ? Non non non ! Les ascidies sont des organismes qui ont bien plus à voir avec nous (les vertébrés) qu’avec les éponges. D’ailleurs il suffit de voir la larve pour s’en convaincre : c’est la larve d’un chordé typique (les vertébrés sont eux même des chordés). Une chorde dorsale de soutien du corps, un système nerveux au dessus de la chorde, etc. Mais lors de la métamorphose c’est le drame. Les ascidies se fixent par la tête et se transforment en cette espèce de sac filtreur qui ne peut plus se déplacer (cependant elles restent capables de mouvements).

    Schéma de la terrible métamorphose de l’ascidie (Métamorphose !)… 

    La larve a des organes sensoriels à l’avant comme un œil. Le système nerveux à l’avant forme aussi un épaississement, tout comme notre cerveau. Ces caractères, présents chez les chordés (et donc les vertébrés) sont alors perdus lors de la métamorphose. En gros passer d’une forme active et nageuse à un sac passif ça fait penser spontanément à de la simplification. Je me rappelle bien avant un examen de zoologie en Licence, lorsque nous révisions au dernier moment avant de rentrer dans la salle, une de mes camarades m’a alors fait la remarque suivante : « mais comment ça se fait que des animaux évolués comme les chordés (parce que nous en sommes) deviennent finalement si simples ? ». Simplement parce que ça fonctionne ! Allez sur une plage rocheuse, retournez un caillou et si vous êtes observateur vous trouverez des ascidies ! On les trouve quasiment partout. En fait les ascidies sont évoluées à leur manière. Et ce serait trop simple de dire qu’elles sont simples : leur branchies sont super développées, elles présentent un « manteau » ou une « tunique » qui les protège qu’on ne trouve pas chez les autres animaux et fait intéressant… le battement de leur cœur change régulièrement pour inverser le sens de circulation du sang… bien qu’on ne sache pas pourquoi c’est comme ça, c’est un fait apparemment unique chez les animaux !

    Bon allez, la zolie image :

    Clavellines jolies.

    Mais chez les animaux on trouve encore quelqu’un de plus étrange : notre ami Trichoplax adherens le placozoaire. Lorsque le groupe des éponges est apparu, le groupe des autres animaux appelés « eumétazoaires » a également fait son apparition (je ne vais pour vous expliquer d’où vient ce nom, c’est une honte… Allez si ! ça signifie « vrais animaux » comme si les éponges en était des faux ! Ah ces humains, indécrottables !). Ce qui signifie que les éponges ne sont pas plus vieilles que nous puisque nous avons divergé au même moment. Bref, le groupe des eumétazoaires aurait divergé ensuite en donnant d’un côté le groupe des placozoaires et de l’autre celui des autres eumétazoaires (donc les eumétazoaires sont aussi vieux que les éponges et les placozoaires sont plus jeunes que les éponges au sein des eumétazoaires, capiche ? Bon allez, jetez un œil sur l’arbre qui suit, ça vous aidera peut-être). 

    Voici un arbre très simplifié de l’évolution des animaux dont je parle pour que ce soit plus clair. J’en ai profité pour rajouter les animaux à quatre pattes ou « tétrapodes » (entre autre nous) et les ascidies. Notez cependant que certains auteurs placeront Trichoplax autre part…

    Les placozoaires selon cette hypothèse n’auraient donc pas les caractères spécifiques aux autres eumétazoaires comme par exemple un système digestif. Décrivons déjà un placozoaire : c’est un truc. Ok plus précisément : il est constitué d’une couche de deux cellules, plate, qui rampe au fond de la mer ou des aquariums (là où on l’a découvert !). Ces animaux n’ont que quatre formes différentes de cellules, encore moins que les éponges ! Là désolé, je ne peux pas les sauver comme les éponges ou les ascidies, morphologiquement ils sont simples, point. Mais que nous a révélé le génome de Trichoplax ? Que bien qu’il n’ait pas le plus complexe des génomes chez les animaux, il contient tout de même plein de gènes qu’on ne s’attendrait pas à trouver ici notamment des gènes du développement qu’on retrouve chez les autres eumétazoaires. Cela est étrange sachant que la morphologie est très simple chez cet animal mais qu’on retrouve un grand nombre de gènes responsables de la morphologie plus complexe des autres eumétazoaires chez Trichoplax ! Mais alors à quoi ça peut bien servir à notre timide Trichoplax ? Plusieurs hypothèses : soit l’ancêtre de Trichoplax était un animal déjà complexe qui s’est simplifié en gardant ses gènes, soit ces gènes avaient au départ une autre utilité que celle qu’on leur connaît aujourd’hui. Il est encore difficile de trancher mais cette complexité génétique de Trichoplax reste surprenante pour un animal morphologiquement si simple…


    Trichoplax adherens… Là il n’y a rien que je puisse faire… Ca ne ressemble à rien…  

    Même en vidéo ça ne ressemble toujours à rien...

    Bon allez, un dernier petit exemple, je vais m’aventurer très timidement chez les plantes, Boris devrait vous en reparler en détails. Chez les plantes à fleur on distinguait deux grands groupes : les dicotyledones et les monocotyledones (les détails viendront plus tard). On considérait les dicot’ comme plus évoluées car ayant une structure plus complexe et les monocot’ moins évoluées car moins complexes. Les dicot’ sont aujourd’hui considérées comme paraphylétiques, c’est à dire qu’elles n’existent pas plus que les "poissons". Mais elles sont paraphylétiques parce que les monocot’ proviennent des dicot’ ! C’est à dire que les monocot’, supposées simples proviennent de plantes plus complexes. Simples vraiment ? Les « dicot’ » ont un vrai bois bien organisé alors qu’en substance ben les monocot’ c’est que des feuilles emboîtées… Que faire de ça ? C’est pas très compliqué… Et bien si ! C’est sans compter sur l’ingéniosité de ces plantes : rien qu’en emboîtant des feuilles on a des palmiers, de l’herbe, des orchidées, du bambou… Comment faire compliqué à partir du simple ! Les Shadocks auraient aimé ! Et ces plantes se retrouvent partout… Mais laissons Boris vous en parler plus en détails plus tard, toujours est-il que si l’évolution poussait vraiment vers la complexité, on ne devrait pas s’attendre à ce que la simplicité fonctionne aussi bien !

    A gauche une foret de bambous, à droite d’étranges Bromeliacea… Y’a un monde entre leurs morphologies et leur mode de vie et pourtant, c’est toujours le même principe…

    Voilà pour un petit tour de la question. Bien sûr il y aurait beaucoup de choses à dire en plus, ce problème est loin d’être évident. Mais ces quelques exemples montrent qu’on trouve de la simplicité dans la complexité et de la complexité dans la simplicité. Peut-être est-il trop schématique de caractériser dans sa totalité un organisme comme simple ou complexe…


    Pour aller plus loin :

    Srivastava M. et al. 2008. The Trichoplax genome and the nature of Placozoans. Nature, 454-955.

    Rossenlenbroich, B. 2006. The notion of progress in evolutionnary – the unresolved problem and an empirical suggestion. Biology an philosophy, 21, 41-70.

    Gould S. J. L’éventail du vivant : Le mythe du progrès. 2001. Editions points.

    Les mondes darwiniens, L’évolution de l’évolution, coordonné par Heams T., Huneman P., Lecointre G. et Silbersetin M. 2009. editions Syllepses. Lecointre G. Récit de l’histoire de la vie ou De l’utilisation du récit.

    SSAFT : [Le sur-sur-mercredi, on converge] Les Poissons Amphibies

    SVT Colin : Lettre ouverte aux finalistes et aux gradistes...





    A la découverte des Rhinogrades

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    Dessin d'un rhinograde, d'après la publication originale (Stümpke, 1961)
    [Source]

    L'une des rares photos d'un rhinograde dans son habitat naturel
    [Source]

    Les Rhinogrades sont un groupe d'animaux ayant pour particularité de se déplacer à l'aide de leur nez.
    Contrairement à une idée répandue, les Rhinogrades ne sont pas des mammifères. Ils n'ont pas de poils et n'allaitent pas leurs petits. Les pseudo-poils des Rhinogrades sont en réalité composés d'os lamellaire, comme les écailles des carpes ou des soles. Ils sont recouverts de kératine, comme nos cheveux ou nos ongles... ou même les fanons des baleines !
    D'un point de vue phylogénétique, les Rhinogrades appartiennent en réalité au groupe des Pleuronectiformes, comme les soles, les limandes ou les turbots. L'intérieur de leur corps est fait d'arêtes osseuses.
    Comme tous les Pleuronectiformes, les Rhinogrades se métamorphosent en passant à l'âge adulte. Bébés, ils ont les formes des "poissons" comme on se les imagine souvent : corps ovoïde, yeux de chaque côté du corps, disposition des nageoires...
    A l'âge adulte, les Pleuronectiformes se métamorphosent : les yeux migrent du même côté; une face devient le bas, l'autre le haut. Le fait que le haut du corps soit la face droite ou gauche dépend des espèces : le côté droit devient le haut chez la sole commune (Solea solea), tandis que c'est le côté gauche chez le turbot (Scophthalmus maximus).
    Chez les Rhinogrades, Pleuronectiformes hautement dérivés, c'est le nez qui se métamorphose principalement lors du passage à l'âge adulte. De nombreuses zones d'ombre subsistent, mais l'on sait qu'un gène inédit, la Primapriline, intervient dans la migration du nez des Rhinogrades. Ces animaux, comme les grenouilles ou les crapauds, sont ainsi purement aquatiques à la naissance, et terrestres à l'âge adulte.

    Sachez que les Rhinogrades sont actuellement mis à l'honneur par une exposition temporaireà la Grande Galerie de l'Evolution, au Muséum national d'Histoire naturelle de Paris.

    Voici un super reportage de Guillaume Lecointre (directeur du département Systématique et Evolution du Muséum) et Franz Jullien (taxidermiste et responsable de la collection de Rhinogrades du Muséum) :


     
    N'hésitez pas à aller voir :
    •  Labat & Sigissui 2009 : description de 3 nouvelles espèces de Rhinogrades, provenant de l'île Santo (Pacifique)
    • Stümpke, Harald 1961 : Bau und Leben der Rhinogradentia. 1. Auflage, 83 S., Stuttgart: Gustav Fischer Verlag, 1961 : la publication originale par le Dr. Harald Stümpke (université de Karlsruhe)
    • La convergence évolutive est présente partout ! JP Colin a lui aussi publié (sans que l'on ne se concerte) aujourd'hui un article sur ce groupe saisissant : Le Nasoperforateur de Bouffon
    Article signé Micropangolin (auteur invitée)

    Cela n'aura sans doute pas échappé à votre attention, ces rhinogrades sentent méchamment le truc-qui-n'existe-pas du premier avril ! Si notre hypothèse sur leur position systématique est complètement nouvelle, les rhinogrades eux-mêmes sont un vrai canular, célèbre dans l'histoire des sciences (et le livre de Stümpke, un faux nom, existe réellement et a même été traduit en français). L'exposition au MNHN aussi est réelle, n'hésitez pas à aller y jeter un coup d'oeil !

    Le mystère des conodontes

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    Les paléontologues sont des gens qui savent souvent faire preuve d'abnégation. Comme par exemple lorsqu'il s'agit d'étudier pendant des décennies des organismes dont on ne connaît ni la nature, ni l'apparence, ni le mode de vie… Prenez les conodontes, par exemple. Ces fossiles, qui ressemblent à des dents (d'où leur nom qui signifie "dents en cône") sont connus depuis le milieu du XIXème siècle. Ils sont minuscules (de l'ordre d'un millimètre), et donc difficiles à étudier. Pourtant, il existe de nombreux conodontologues à travers le monde. Pourquoi ? Eh bien figurez-vous que les conodontes sont d'excellents fossiles stratigraphiques. Cela signifie qu'on les trouve en grande quantité dans certaines roches, à savoir dans les sédiments marins de l'ère Primaire et du Trias.
    Quatre types différents de conodontes sur une tête d'épingle (MEB). Source

    Pour situer un peu, je rappellerai que l'ère Primaire (ou Paléozoïque) constitue la première portion (la plus longue) de la période où l'on connaît la plupart des fossiles (même si l'histoire de la vie a commencé bien avant le début de cette période, peu de fossiles aussi anciens qui permettraient de la raconter sont connus). Au début de l'ère Primaire, il y a 540 millions d'années, sont probablement apparus la plupart des grands groupes d'animaux actuels, comme les arthropodes, les mollusques ou encore les deutérostomiens ; cette période dite "explosion cambrienne" a été relatée par le grand paléontologue et vulgarisateur de l'évolution Stephen Jay Gould dans son ouvrage La Vie est Belle. Les premiers conodontes connus datent de la fin de cette époque cambrienne, et sont donc vieux de 500 millions d'années.
    Un aperçu de la vie animale durant le Cambrien, il y a 500 millions d'années. Les étranges organismes représentés sur cette image constituent les premiers représentants connus de nombreux groupes du vivant. Ils sont connus principalement grâce à des fossiles du Canada et de Chine. Source et légende
    Le Triasest la première période de l'ère Secondaire (ou Mésozoïque). Il a commencé il y a 250 millions d'années, s'est terminé il y a 200 millions d'années et a vu apparaître notamment les dinosaures, les mammifères, les crocodiles (du moins leurs proches parents éteints), les requins modernes, les coraux constructeurs de récifs modernes ou encore les diptères (mouches et moustiques)…
    La fin du Trias a été marquée par une extinction massive de nombreux groupes d'êtres vivants (il y a eu quatre autres de ces "crises" majeures, dont la plus célèbre et la plus récente a eu lieu à la fin du Crétacé, il y a 65 millions d'années). On ne trouve pas de conodontes dans les terrains plus jeunes, on peut donc supposer que les organismes qui portaient ces conodontes n'ont pas survécu à cette extinction massive.

    Pendant ces longs 250 millions d'années d'existence, les organismes qui les portaient ont laissé des fossiles de conodontes partout. Et pendant ce temps, ils ont évolué.  Et vite. Assez vite pour que les spécialistes puissent déterminer, en fonction de la forme de conodonte qu'ils ont trouvé, à quelle époque l'animal correspondant vivait. En somme, les conodontes peuvent être utilisés comme "point de repère" temporel, à chaque période étant associé son (ou ses) forme(s) (on dit aussi "espèces", même si ce ne sont pas des espèces au sens biologique) de conodontes. C'est de là que provient le terme de "fossile stratigraphique" (la
    stratigraphieétant la discipline qui étudie la succession des couches géologiques à travers le temps).  Et c'est cette application (parmi d'autres) qui rend les conodontes si utiles à la géologie - les compagnies pétrolières, par exemple, s'en sont beaucoup servi.

    Mais voilà, tout ça ne nous dit pas ce que c'est un conodonte. Cette question a été posée dès leur découverte, et n'a pas encore trouvé de réponse définitive. Du fait de ce questionnement et de leur importance, la nature des conodontes fut longtemps l'un des plus grands mystères de la paléontologie. Menons donc l'enquête : que peuvent-ils bien être ? 
    Dès leur découverte dans les années 1850 par Christian Pander, une hypothèse a été proposée : les conodontes seraient des dents de "poissons". En effet, ces fossiles sont composés de cristaux de phosphate de calcium, un composé chimique qui n'est pas très répandu chez les êtres vivants. Il compose notamment l'os et les dents des vertébrés. Cela pose cependant deux problèmes : aucune dent de vertébré connue n'a l'apparence d'un conodonte, et aucun conodonte n'avait été trouvé associé à un organisme. Toutes les possibilités d'interprétation restaient donc ouvertes. 
    Ainsi, au fil des années, les conodontes ont été assimilés à des os qui soutiennent des branchies de vertébrés, à des mâchoires de "vers" ou de mollusques, à des spicules (sortes de petites épines dans la paroi du corps) d'épongesou encore d'algues… Presque tous les groupes d'animaux (et même en dehors) y sont passés ! 
    Dès le début du XXème siècle, des conodontes de différentes formes ont été retrouvés associés entre eux. Ces "appareils conodontes" (voir image ci-dessous) ont relancé l'hypothèse "dents" ou "mâchoires" (car ils démontraient que les conodontes faisaient partie d'une structure plus large), mais toujours sans organisme entier pour la soutenir. Cet "animal conodonte" est un peu devenu un symbole de la paléontologie : un organisme dont on savait l'existence (puisqu'on connaissait les appareils conodontes), mais sans l'avoir jamais trouvé.

    Un "appareil conodonte", c'est-à-dire un ensemble de conodontes de types (ou "espèces") différents que l'on retrouve connectés entre eux. Source : Palaeos

    En 1973, on a pensé avoir trouvé l'animal conodonte : l'empreinte fossile d'un organisme allongé du Cambrien, qui possédait des conodontes dans son tube digestif ! Hélas, il fut démontré que cet animal avait plus vraisemblablement mangé celui qui portait les conodontes, d'où la présence de ces derniers dans son estomac. En effet, d'autres restes de divers animaux étaient mélangés aux conodontes, ceux-ci étaient en vrac et non pas arrangés de la même façon que dans les "appareils" qu'on avait déjà trouvé, et certains spécimens du même animal n'avaient pas de conodontes dans leur tube digestif. L'animal porteur de conodontes restait donc inconnu.

    Il a fallu attendre…1983 pour que ce Saint-Graal soit découvert. Mais si vous imaginez que les paléontologues l'ont mis à jour dans une contrée lointaine, au terme d'une longue marche et au prix d'un dur labeur, vous serez déçus. L'animal conodonte a été découvert…au fond de la collection d'un musée !
    C'est en fouillant dans des tiroirs remplis de plaques de roche provenant d'Ecosse, et vieilles du Carbonifère (entre 350 et 300 millions d'années) qu'Euan Clarkson a observé un étrange animal, allongé, portant à l'avant des conodontes. Bien caché dans son tiroir, à Edinbourg, il n'avait jamais vraiment été remarqué auparavant ! Clarkson publia sa découverte avec deux collègues, dans un article sobrement intitulé "The Conodont Animal"
    (voir image et reconstitution ci-dessous). Elle a été par la suite confirmée par la découverte d'autres spécimens similaires. Pouvions-nous donc (enfin) savoir qui étaient les porteurs de conodontes ? Pas si sûr…


    L'animal conodonte du Carbonifère d'Ecosse (cliquez pour agrandir). A gauche : photo du spécimen fossile, tirée de la publication originale (Briggs et al. 1983, Lethaia). A droite : schéma interprétatif montrant les différentes structures visibles sur le spécimen, et leur(s) interprétation(s) possible(s).

    Là se pose un problème souvent rencontré par les paléontologues. Ils n'ont pas toujours la possibilité d'identifier une structure qu'ils observent, n'ayant que rarement accès à des techniques disponibles sur des espèces actuelles (observation du développement embryonnaire, génétique, structure et composition des tissus…).
    Ce qui est sûr, néanmoins, c'est que cet animal conodonte est allongé, symétrique, et n'a pas de membres latéraux. Il n'y a pas d'autres pièces squelettiques dures, à part les conodontes eux-mêmes. Ils sont disposés comme dans les "appareils conodontes" déjà connus, et leur position à l'avant du corps, juste derrière l'emplacement supposé de la bouche, est cohérente avec leur fonction présumée (des mâchoires, des dents ou un appareil portant les branchies) ; tout cela démontre selon les auteurs que les conodontes faisaient bien partie de l'animal (et n'avaient donc pas été ingérés). A l'arrière du corps on observe des sortes de "nageoires" supportées par des rayons. Juste devant les conodontes, probablement au niveau de la tête, deux larges expansions. Le long de l'axe du corps, il y a au moins une structure linéaire. Et des séries de blocs répétés le long du corps, qu'on devine en forme de V. 
    Problème : cette description peut correspondre à deux groupes d'animaux, très différents.

    Le premier, ce sont les chordés. Cet animal conodonte ressemble en effet furieusement à un céphalochordé, une myxine ou une larve de lamproie. Les nageoires seraient alors de même nature que celles des vertébrés, les expansions à l'avant seraient des yeux (très développés), la ligne horizontale serait la chorde (un caractère qui définit les chordés) ou le tube digestif, et les blocs répétés seraient des blocs musculaires - ou myomères. Pour rappel, ces blocs musculaires sont propres aux chordés : on les trouve chez les céphalochordés et chez les vertébrés. On les voit bien dans les "filets", de saumon par exemple (voir ci-dessous). Pour plus d'informations sur les caractères des chordés et des vertébrés, vous pouvez aller voir nos articles ici et ici.

    Des exemples de chordés. L'amphioxus Branchiostoma lanceolatum : notez les blocs musculaires en forme de V et la chorde (ligne plus claire le long du corps qui se prolonge à l'avant). En bas à droite : de la chair de saumon montrant les blocs musculaires (en rose) séparés par des myoseptes (en blanc). Sources : ici et ici

    L'autre possibilité, ce sont les chétognathes. C'est un groupe mal connu de "vers" (terme qui ne veut rien dire, soit dit en passant : les "vers" en tant que groupe n'existent pas !) marins nageurs. Eux-mêmes, on ne sait pas les classer : les phylogénies basées sur l'ADN les rapprochent des protostomiens, qui incluent les mollusques, les arthropodes et les annélides, alors que leur développement embryonnaire est identique à celui des deutérostomiens, dont on a déjà parlé. On sait (par des fossiles très bien conservés venus de Chine) qu'ils existent au moins depuis le Cambrien.
    Les chétognathes (voir ci-dessous) sont de forme allongée, transparents, ont des "nageoires" sur les côtés, un capuchon à l'avant (qui pourrait correspondre aux expansions de notre animal conodonte ?), la ligne longitudinale pourrait être le tube digestif… Restent les séries d'éléments en V, inexpliqués par cette hypothèse car les chétognathes ne sont pas segmentés.

    En haut : vue générale du chétognathe Sagitta gazellae. Notez les "nageoires". En bas : zoom (MEB) sur la région de la tête d'un chétognathe. On distingue bien les "mâchoires" sur le côté, et le capuchon autour. La bouche est au milieu. Sources : ici et ici

    Mais que faire des conodontes eux-mêmes ? Les chétognathes ont bien des sortes de "mâchoires" fines et recourbées (d'où leur nom, qui signifie "mâchoires en forme de cils"), qui font penser à certains conodontes (voir ci-dessus). Mais elles sont en chitine, un tissu non-minéralisé que l'on retrouve dans la carapace des insectes et autres arthropodes par exemple. A l'inverse, les conodontes sont en phosphate de calcium, un minéral que l'on retrouve, on l'a vu, chez les vertébrés, et notamment dans leurs dents !

    Le mystère serait-il entièrement résolu ? C'est le cas pour beaucoup de spécialistes, qui pensent que ces caractères démontrent plutôt que les porteurs de conodontes sont bien des chordés, voire carrément des vertébrés sans mâchoires. C'est ce parti qui a été pris dans la jolie reconstitution ci-dessous :

    Reconstitution d'un animal conodonte, interprété selon l'hypothèse qu'il s'agit d'un vertébré. Dessin de Livia Bascher.

    Mais cela n'exclut pas quelques problèmes. On a vu que les structures pouvaient être interprétées différemment. Et ici, l'analyse phylogénétique des caractères n'est pas d'un grand recours, puisque le résultat dépendra de la façon dont les observations ont été interprétées, et donc codées dans l'analyse sous la forme de caractères. C'est l'anguille qui se mord la nageoire caudale !
    Si l'animal conodonte est un vertébré, cela ne résout d'ailleurs pas tout. Les conodontes ressemblent à des dents, mais celles-ci sont en principe apparues chez les gnathostomes (ou un de leurs proches parents, selon des recherches récentes), un groupe défini par la possession de nombreux caractères que l'animal conodonte n'a pas : il lui manque les mâchoires, mais aussi la présence d'ossifications, et les nageoires paires ; caractères qui apparaissent chez des vertébrés non-gnathostomes sans mâchoires ni dents (pour mieux comprendre, vous pouvez vous référer à l'arbre phylogénétique en fin de mon article précédent). Il faudrait donc imaginer que l'animal conodonte a perdu tous ces caractères, ou (plus probable) que les conodontes et les dents soient apparus indépendamment, dans deux lignées différentes. 
    Sur la base de ces doutes, certains militent pour l'hypothèse que l'animal conodonte fasse partie d'un groupe à part au sein des chordés, voire carrément en dehors. Un point de vue que tous ne partagent pas, d'autant plus que pour avoir des financements de recherche, il vaut mieux dire qu'on étudie des vertébrés plutôt que des "vers" marins…

    Malgré ces débats apparemment sans fin, les paléontologues ne se découragent pas. Avec toujours autant d'abnégation, ils continuent pour la plupart d'entre eux d'utiliser les conodontes pour dater les roches, comme si de rien n'était. Les autres essayent de reconstituer l'animal qui les portait, et de lui donner une place dans l'arbre métaphorique de l'évolution, en se disant que les mystères comme celui-là font tout le sel de leur métier…


    Quelques références : 
    • L'histoire du mystère des conodontes a aussi été racontée par l'incontournable Stephen Jay Gould dans un court essai. On peut le trouver dans le recueil Le Sourire du Flamant Rose. D'ailleurs même si ce n'est pas pour lire cet essai, je ne saurai que vous conseiller chaudement de lire un recueil (n'importe lequel) de Stephen Jay Gould ! Incontournable vous dis-je !
    •  Une page de l'University College de Londres (ici) et une autre tenue par un amateur (ici), avec des images montrant la diversité potentielle des conodontes, et des exemples d'applications.


    Petit tour du zoo au plancton !

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    Lorsque l’on parle de plancton, la plupart des gens vont penser au krill, le met préféré des baleines. L’image qu'on en a est souvent est celle de petites crevettes microscopiques gigotant dans l’eau. Mais la définition du plancton est en fait différente. Les organismes planctoniques sont ceux qui sont incapables de nager à contre courant. Ce sont donc les organismes passifs par rapport aux mouvements de l’eau. A l’inverse, le neuston est l’ensemble des organismes capables de nager à contre courant par exemple nos chers faux amis les « poissons » ou les calmars. La première distinction connue est celle entre zooplancton et phytoplancton. Le zooplancton c’est le plancton animal et le phytoplancton c’est celui qui est capable de photosynthèse. Reste aussi le bactérioplancton constitué de bactéries et le virioplancton de virus.  Bien que la plupart des organismes du zooplancton bougent, ils ne peuvent pas résister au courant (dès que celui-ci n’est plus négligeable)… Au sein du zooplancton on en croise deux sortes : le méroplancton et l’holoplancton. Dans l’eau on aime bien tout balancer partout (gamètes et bébés), beaucoup d’organismes ont donc d’étranges larves qui lorsqu’elles se métamorphoseront tomberont au fond et rejoindront le benthos (les organismes du fond). On parle de méroplancton. A l’inverse les animaux planctoniques qui restent toute leur vie dans la colonne d’eau (pelagos) sont appelés holoplanctoniques. C’est essentiellement de ça dont je vais vous parler, les larves, ce sera pour plus tard. Par ailleurs, je vais me concentrer sur le plancton marin plutôt que d’eau douce.

    Une « crevette » du krill, le plus people des planctons.  Source  : pitit krill !

    Et une représentation anthropomorphisée (on dirait des humains-crevette) du krill provenant de Happy Feet 2.  Source : happy krill.
    Les possibilités de formes que l’on trouve dans l’univers planctonnique semblent infinies, c’est là qu’on y trouve les animaux les plus ahurissants. Il semble qu’une des contraintes majeures soit de flotter et donc de trouver les formes les plus bizarres pour cela semble être un défi d’envergure… Que beaucoup relèveront avec brio !

    Premièrement parlons du plancton le plus commun… Allez sur un bateau, prenez un filet adapté à la prise de plancton, filtrez et vous aurez très probablement trouvé deux protagonistes en grand nombre. Le plus commun de tous c’est Monsieur Plancton ! Oui celui de Bob l’éponge ! Et bien c’est un copépode ! De petits "crustacés" qui nagent avec deux longues antennes et avec un seul œil au milieu ! Tels de petits cyclopes. Les copépodes sont de loin, les organismes les plus communs du plancton. Si vous buvez la tasse il y a de fortes chances pour que vous en avaliez quelques-uns. Autant dire que leur importance dans toute la chaîne alimentaire des océans est primordiale.

    Une représentation d’un copépode en furie. Source : Mr Plankton.


    Parce que Bob l’éponge c’est rigolo mais graphiquement c’est limité, voici une des magnifiques planches d’Haeckel qui nous représente les copépodes d’une manière légèrement différente ! Source : planche d'Haeckel : copépodes.

    Nos seconds amis sont les appendiculaires. Ils appartiennent au groupe des tuniciers dont j’ai déjà parlé ici : deutérostomiens et ici : complexité. Ces petits tuniciers ressemblent à des virgules. Ils filtrent les particules alimentaires de l’eau comme la plupart des tuniciers. Pour cela ils créent une loge en mucus (gélatineuse quoi) à l’allure très compliquée. Ils vont la changer jusqu’à 10 fois par jour (pas très économes !) très probablement pour se débarrasser des débris trop gros qui restent coincés dans la loge de mucus. Et ce qu’il y a d’important, c’est qu’ils vont participer à la « neige organique ». Cette loge de mucus contenant principalement des sucres va couler et servira de gourmandise aux organismes vivant profondément, là où la photosynthèse ne se fait plus… Quelle générosité ! Ils distribuent des sucreries à tout le fond des océans.

    A gauche un appendiculaire en forme de virgule (source : appendirgule), à droite un appendiculaire avec sa loge en mucus. Arriverez-vous à y retrouver l’animal ? (source : appendimaison)

    Avec ces deux exemples vous voyez comme quoi même si on ne paye pas de mine, on peut gouverner les océans… Mais nos deux compères sont relativement petits… Or rien dans la définition du plancton ne nous parle de la taille ! Et oui, dans le plancton on peut en trouver des maous  costauds…

    Dans le mille ! Les méduses sont du plancton ! Et si beaucoup ont effectivement une taille inférieure à 1cm usuellement attendue d’autres peuvent être gigantesques comme la problématique Nemopilema nomurai dont Taupo a parlé sur SSAFT.

    Z’avez peur des méduses à la plage ? Evitez donc celle ci…  Source : ça c'est de la méduse !
    Un de mes amours de zoologiste c’est le groupe des cténaires, normal, je les ai étudiés lors de ma deuxième année de master. Si certains rappellent superficiellement les méduses (dont ils ne sont probablement pas particulièrement proches) d’autres ont des formes bien plus atypiques. Notamment la ceinture de vénus ou Cestum veneris, d’après moi le plus beau et le plus gracieux des cténaires (y’a pourtant de la compet’). Je ne vais pas m’y attarder parce que là aussi je pense que j’en reparlerai plus tard ! Cette forme de grand ruban peut atteindre jusqu’à 1,50m. Alors si vous me dites encore que le plancton c’est des petits animaux je deviens tout rouge !


    Cténaires et méduses sont des prédateurs mais d’autres plus discrets et plus actifs sévissent dans le plancton. Parmi les plus communs se trouvent d’étranges animaux inconnus du grand public. Les chaetognathes (ou vers sagittaires car ils ont la forme élancée d’une flèche, Naldo les a évoqués ici : conodontes) ne sont connus quasiment que par les gens qui ont eu un jour ou l’autre des cours de niveau universitaire en zoologie… Et encore ! Ces terribles prédateurs chassent les copépodes (autant dire qu’ils ont de quoi manger), ils sont donc très important dans la régulation des populations de copépodes ! Aussi méconnus qu’importants... Quelle injustice ! Ces animaux transparents peuvent faire jusqu’à plus de 10cm. Et ils se servent de deux terribles mâchoires formées de crochets pour semer la terreur chez les copépodes… D’ailleurs « Chaetognatha » signifie « mâchoire soyeuse ». Le plus curieux avec ces vers sagittaires c’est leur position dans la classification des animaux. Rarement un animal aura été aussi réticent à se laisser classer ! Et Darwin lui-même (z’avez vu, on aime beaucoup parler de lui ici) a dit des chaetognathes qu’ils sont « remarquables pour l’obscurité […] de leurs affinités ».

    Un chaetognathe en pleine orgie. Miam miam ! Source : chaetognathe heureux.
    Un ver élancé et prédateur ! Tiens, il y a aussi le magnifique Tomopteris. C’est une annélide ou ver à anneaux ! Hmmm je pense que l’image parlera d’elle-même. Je vais me passer de commentaires pour cette fois !

    Vous avez le droit de pleurer tellement c’est zouli. Et croyez-moi, à voir nager ça l’est encore plus !  Source : Tomopteris.

    Mais attendez, si les formes jusque là sont déjà incroyables préparez-vous, là ça va envoyer du lourd.

    Une de mes plus incroyables expériences zoologiques qui m’a fait adorer les mollusques encore plus est celle ci : j’effectuais un stage dans une collection zoologique où je devais ranger la collection de mollusques. Tout allait très bien, je découvrais des formes de coquilles géniales, j’étais content comme un poisson bigorneau dans l’eau ! Jusqu’au moment où je suis tombé sur un truc difforme ! Ça :

    Un heuuu… enfin heuuu…. J’avais dit quoi déjà ? Ah oui, Pterotrachea. Remarquez sa forme de… heuuu de… enfin… de rien ! Source : mollusque mystère
    Alors là c’est une belle photo hein mais imaginez ça dans de l’alcool au fond d’un tiroir de collection… C’en était sûr : Les mollusques sont vraiment pleins de surprises. Vous détailler d’où lui vient cette forme étrange serait long et fastidieux et même moi, je ne la comprends pas très bien ! Sachez cependant que ces mollusques sont des gastéropodes : en gros ce sont des escargots très étranges (mollusques). Certains mollusques très proches de Pterotrachea ont encore une toute petite coquille conique… Voilà qui est rassurant !

    Restons dans les formes bizarres et présentes sur nos côtes avant de plonger dans les abysses. Les siphonophores déjà traités par JP Colin (Les siphonophores sont les plus forts) sont des organismes coloniaux proches des méduses. A plusieurs on peut faire du bon travail et certains vont jusqu’à atteindre plusieurs dizaines de mètres ! Trop fort les siphonophores ! Et si quand on est seul on peut avoir des formes psychédéliques, quand on est plusieurs les possibilités sont multipliées ! Regardez donc ces étranges formes de cloches !

    C'est vrai que les siphonophores sont très forts. Source : siphonoforts.
    En parlant de colonies, d’autres aussi font du bon travail de groupe : les pyrosomes. Ces étranges colonies de tuniciers (encore eux ? Ben oui ce ne sont finalement pas que des sacs passifs), s’organisent en doigt de gant en une forme étrange et gracieuse. Chaque individu de la colonie avale l’eau par l’extérieur et la rejette dans une loge commune à l’intérieur du doigt de gant permettant alors la nage à réaction ! S’ils ne peuvent pas atteindre la vitesse d’un calmar au moins ils ont le mérite d’essayer !

    Bon y’a du jeu dans les couleurs mais quand même, avouez que ça fait du bien aux mirettes !  Source : pyrosome.

    Parce qu’il n’est pas facile de comprendre comment ça fonctionne, voici un schéma de pyrosome. Source :  pyrosome en coupe.

    Un pyrosome très géant et d’autres tuniciers planctoniques.

    D’ailleurs dans cette vidéo vous voyez deux autres sortes de tuniciers planctoniques : des dolioles qui sont simplement des sacs qui nagent à réaction et les salpes, des colonies linéaires de tuniciers que l’ont voit à la fin de la vidéo… Oh et donc sachant que je suis un amoureux des cténaires, je ne peux pas m’empêcher de partager cette photo d’une Lampea (un cténaire amateur de salpe) se faisant un festin… Bataille de plancton !

    Ça me donne presque faim... Source : Lampea gourmande.
    Les siphonophores et beaucoup de cténaires se trouvent entre autre justement dans les abysses. Et qui va t’on y croiser ? Notre cher ami le Chaetopterus pugaporcinus ou ver cul de cochon, notre fameux gagnant du concours de l’animal le plus obscène. On ne se privera pas d’une image supplémentaire de cette autre étrange annélide (bande de cochons)…

    Bon, la photo parle d’elle-même… Source : notre grand gagnant.
    Dans le genre « moi j’suis un animal que personne il m’attend à me voir flotter mais j’m’en fout j’le fais quand même » on a certains concombres de mer ! Et oui, nos deuxièmes sur le podium des animaux obscènes laissent parfois de côté leur forme phallique et se laissent aller à la flottaison… Tout en n’oubliant pas de garder de drôles de formes comme ce mystérieux concombre de mer :

    Oui oui c’est un concombre de mer ! Source : l'étrange concombre...
    Mais il y a aussi le drôle Enypniastes eximia qui est aussi un concombre de mer :


    Voilà, pour finir une chouette vidéo où l'on retrouve quelques-uns de nos protagonistes :


    Et une autre vidéo avec des images sublimes et bien contée en plus !


    Ce petit tour du plancton était un prétexte pour vous montrer encore une fois que la diversité au sein des animaux est hallucinante et que malheureusement beaucoup de magnifiques formes qui pourtant ont une importance primordiale dans les écosystèmes marins sont pourtant quasiment inconnues du grand public…

    Pour aller plus loin, n'hésitez pas à cliquer sur les liens dans l'article ou à aller sur wikipédia ;)

    La spéciation selon King Kong

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    Une fois n’est pas coutume, partons de science fiction pour aborder l’évolution. Comment expliquer de façon ludique le principe de la spéciation dite allopatrique ? Je vais prendre un cas très intriguant, connu sous le nom d’évolution insulaire. Un phénomène qui est à l’origine du nanisme et du gigantisme de certaines créatures des îles…

    Vous avez sans doute déjà vu ces images. Une troupe d’américains débarque sur une île du nom lugubre de Skull Island  (l’île du crâne), où une créature y est vénérée comme un dieu. Une créature qui a toute l’apparence d’un gorille… hormis la taille ! Et pour cause, il est littéralement géant. Alors que tout un chacun est subjugué par le film, les scientifiques dans l’âme ne pourront s’empêcher de se poser la question fatidique : mais comment est-ce possible ? Est-ce crédible ? Comment un gorille géant peut-il exister ?


    King Kong en version 1933 et 2005


    Evidemment, le roi Kong appartient à la science-fiction, et je doute fort qu’un jour il soit découvert un singe de sa taille. Néanmoins, s’il devait y avoir une explication plausible à la présence de Kong sur cette île (une explication qui ne ferait intervenir ni gorille mutant, ni expériences  de clonage ayant mal tourné et encore moins des petits hommes verts), elle pourrait se formuler en deux mots : spéciation allopatrique (du grec « allo » = différent, et « patrida » = patrie). Le principe est tout simple. Deux populations (ou groupes d’individus) d’une espèce sont séparées géographiquement, et ne peuvent donc plus se reproduire entre elles. Chacune de ces deux populations va donc évoluer en prenant des chemins différents, si bien qu’au final, ces deux populations vont former deux espèces différentes. Les îles se prêtent particulièrement bien au principe de cette spéciation. D’ailleurs ce n’est pas pour rien qu’un des exemples les plus connus de Darwin, les pinsons, provienne d’une spéciation insulaire. Mais revenons à King Kong. Comment  diantre expliquer son existence ?

    Localisation supposée de Skull Island (source)

    Il y a plusieurs scénarios possibles, mais prenons le plus simple. Au départ, aucun singe géant sur aucune île. Mais une population de gorilles de taille tout à fait banale, et habitant encore plus banalement en Afrique, comme nos gorilles actuels. Cette population peut d’ailleurs ressembler fortement à nos gorilles actuels, même si elle est un peu plus vieille. Ce sont en fait leurs ancêtres. Et puis quelque part, plus à l’Est et à peu près à la même latitude, se trouve une île. Nos gorilles et l’île (Skull Island vous l’aurez deviné), sont séparés par un océan. Cet obstacle est infranchissable, sauf selon une probabilité tout juste suffisante à ce que quelques gorilles, un jour, le franchissent. Il peut s’agir par exemple de gorilles importés par les humains de l’île lors de leur arrivée par bateau. Toujours est-il qu’un jour, quelques gorilles d’Afrique sont parvenus sur cette île. Et qu’ont-ils fait alors ? Et bien comme tout le monde, en tentant de survivre, ils se sont adaptés aux conditions locales. Et leur taille a augmentée, au fil des générations. Il se peut que cela soit dû à une nourriture plus abondante, à des conditions météorologiques ou des pressions de prédation différentes… Et c’est ainsi qui naquit King Kong ! (d’ailleurs, si Kong semble le seul singe géant de l’île dans la dernière version cinématographique, sachez que le reste de la population est caché, puisqu’un film sorti en 1933 relate des aventures du fils de Kong !). Il est à noter que la petite taille de la population d’origine (une poignée d’individus) augmente la chance d’obtenir rapidement des changements assez impressionnants, même si ces changements ne sont pas adaptatifs, c'est-à-dire qu’ils n’augmentent pas forcement les chances de survie ou de reproduction des individus. Par exemple, s’il se trouve qu’un des individus qui arrivent sur l’île porte une mutation bizarre (concernant sa taille ou quoique ce soit d’autre), il risque de la répandre même si elle n’apporte aucun intérêt, tout simplement puisque cet individu sera à la racine de la nouvelle population qui va envahir l’île. On parle de goulot d’étranglement.

    Les exemples de gigantisme ou de nanisme passionnent tant ils sont impressionnants. Je pourrais également vous citer les aventures de Gulliver et sa rencontre avec les Lilliputiens (des hommes minuscules), ou encore de leurs homologues géants et moins connus les Brobdingnagiens. Et puis les réalisateurs s’en donnent à cœur-joie pour créer des insectes gigantissimes ou des éléphants minuscules, comme dans la récente adaptation cinématographique du célèbre roman « L’île mystérieuse », de Jules Verne. Mais peut être que des exemples réels seraient plus parlants.

     
    Les disproportions du film « Voyage au centre de la terre 2» s’expliquent par l’évolution insulaire. Celle-là même qui a pu faire diminuer les Lilliputiens.

    Et bien sachez que les éléphants de taille miniature ont bel et bien existé ! Ils peuplaient certaines îles méditerranéennes durant le Pléistocène et n’atteignaient pas un mètre de haut. Du côté des hommes aussi la fiction rejoint la réalité. L’homme de Florès, Homo floresiensis, habitant d’une île indonésienne il y a quelques dizaines de milliers d’années, mesurait également aux alentours d’un mètre de hauteur.  Si les îles sont des paradis de spéciation allopatrique, il convient également de prendre le terme d’île dans un sens plus large, c'est-à-dire tout environnement favorable à une espèce et séparé des autres environnements favorables par une barrière quelconque. Par exemple, pour une plante vivant exclusivement en altitude, chaque montagne est une île et chaque vallée joue le rôle d’un océan. Si l’on en revient aux hommes, le principe de nanisme insulaire peut alors expliquer la petite taille des populations pygmées, même si la spéciation (différenciation en deux espèces distinctes) ne s’est pas encore produite. Aucune île, mais un espace de vie séparé des autres hommes a permis cette évolution différente.

    Reconstitution de l’éléphant nain de Sicile Elephas falconeri. Chaque île méditerranéenne abritait une espèce d’éléphant nain différente (source)
    Reconstitution de deux cerfs nains du Pléistocène : Megaceros cretensis (à gauche), de l’île de Crête et Megaceros algarensis (au milieu) de Sardaigne, comparé à leur ancêtre continental présumé Megaceros verticornis (Benton et al. 2010)


    Du côté des géants, nous pouvons trouver par exemple le rat de l’île Tenerife (qui fait partie des îles Canaries), éteint lui aussi, et qui devait atteindre un kilo. Ou tout simplement des tortues géantes qui peuplent plusieurs îles.

    Enfin pour finir, sachez que la spéciation allopatrique est un phénomène très important dans la création de nouvelles espèces, mais que d’autres types de spéciation existent. Peut-être que l’exemple de Godzilla servira à les expliquer dans un prochain article !



    Bibliographie


    Benton, M. J., Csiki, Z., Grigorescu, D., Redelstorff, R., Sander, P. M., Stein, K., & Weishampel, D. B. 2010. Dinosaurs and the island rule : The dwarfed dinosaurs from Haţeg Island. Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, 293, 438-454.

    Poulakakis, N., Mylonas, M., Lymberakis, P. & Fassoulas, C. 2002. Origin and taxonomy of the fossil elephants of the island of Crete (Greece): problems and perspectives. Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, 186, 163-183.

    Van Heteren, A. H. 2012. The hominins of Flores: Insular adaptations of the lower body. Comptes Rendus Palevol, 11, 169-179.

    Sophie

    Quand diversité rime avec homogénéité : le cas des Monocotylédones

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    Salut à toi, chère lectrice, cher lecteur. Tu l’as certainement remarqué si tu regarde au moins une fois par jour par la fenêtre, c’est le printemps ! Et si tu as bien regardé, les plantes s’en donnent à cœur joie ! C’est à qui sortira la première la tête du sol et fleurira en premier pour attirer les insectes… Mais pas seulement les insectes ! Car dès que le printemps est là, les botanistes sont de sortie !
    Aujourd’hui, donc, je m’en vais te présenter un grand groupe de plantes à fleurs : les Monocotylédones. Quoi qu’est-ce ? me diras-tu. Eh bien, sous ce nom un tantinet barbare se cachent de nombreuses plantes, dont voici un aperçu :

    Un exemple de la diversité florale des Monocotylédones : Sabot de Vénus,Fleur de Bananier,Oiseau de Paradis, Perce Neige,Tradescantia,Tulipe
    Ah, tout de suite, avec une image, c’est plus simple, on a une idée plus claire. Maintenant, laisse moi t’éclairer sur ce que sont vraiment les Monocotylédones… même si, tu t’en rendras bien vite compte, tu en connais plus que tu ne le pense sur ces plantes au nom étrange.

    Voici comment je compte présenter ce groupe : cet article va certainement paraître un peu « catalogue », mais la diversité est grande dans ce groupe et je vais avoir du mal à faire un tri dans tout ce qui compose ce grand ensemble. Si vous souhaitez, vous pouvez donc parcourir l’article en fonction des illustrations qui le jalonnent et vous arrêter où vous souhaitez, pour lire un paragraphe sur un groupe en particulier (ils seront reconnaissables à la typographie particulière) ou bien tout lire dans son ensemble, paragraphe après paragraphe. Comme vous le sentez ! Dans l’ensemble, j’ai pris des exemples que vous connaissez tous mais pas forcément en détail. 

    Les Monocotylédones sont un groupe de plantes situé au sein des Angiospermes : il s’agit d’un clade, encore appelé groupe monophylétique (pour ceux qui auraient oublié, cela correspond à un ensemble d’êtres vivants qui regroupe un ancêtre et tous ses descendants).


    Un arbre des Angiospermes simplifié (voir aussi cet article sur ce même blog)

    Parmi les Amborellales, on ne trouve qu’Amborella trichopoda ; parmi les Nymphaeales, on trouve toutes les espèces proches de Nymphaea alba que l’on connaît aussi sous le nom de Nénuphar. Les Autrosbaileyales sont un ordre qui ne contient qu’une famille (les Austrobaileyaceae) qui ne contient elle-même qu’un genre et qu’une espèce : Austrobaileya scandens. Les Magnollids quant à eux regroupent plus de plantes, entre autre les espèces du genre Magnolia (comme ici, Magnolia grandiflora ) ou encore les espèces de l’ordre de Piperales, qui regroupent les différents poivres consommés dans nos assiettes. Nous avons également les Monocots, appelés Monocotylédones en français – nous en reparlerons plus tard – et les Eudicots, appelés Eudicotylédones en français, qui sont un groupe très largement représenté à la surface de la Terre ; vous avez ici un exemple d’Eudicots : Bellis perennis appelée aussi Pâquerette.

    Mais revenons à nos Monocotylédones. D’après l’arbre ci-dessus, il ne s’agit que d’un groupe de plantes à fleurs parmi tant d’autres… et pourtant, je vais vous montrer plus en détail qu’il s’agit d’un groupe extrêmement diversifié, dans lequel les phyllum sont nombreux et possèdent chacun leurs spécificités.

    Arbre phylogénétique des Monocotylédones, d'après Chase et. al 2009
    D’après l’arbre ci-dessus, les Monocotylédones présentent un grand nombre d’ordres : je vais faire de mon mieux pour vous présenter, par la suite, ceux qui me semblent les plus intéressants.

    Nous avons donc vu que les Monocotylédones étaient un clade à part entière, inclus dans le grand arbre des plantes à fleurs. Maintenant, je vais te présenter quelques caractères propres (=synapomorphies) aux Monocotylédones.
    Avant toute chose, je vais utiliser des termes morpho-anatomiques décrit précédemment dans cet article.
    De manière générale, les Monocotylédones possèdent des fleurs trimères, c'est-à-dire que le nombre de pièces florales au sein d’un verticille (rappelons que l’on trouve la plupart du temps 4 verticilles au sein d’une fleur : les sépales, les pétales, les étamines, le pistil) est un multiple de 3 ; par exemple, prenons la Tulipe :

    Une tulipe (vue générale,vue rapprochée)
    On y trouve 6 tépales (équivalent des sépales et pétales non différenciables entre eux), 6 étamines et 3 carpelles constituant le pistil. Nous avons bien ici des multiples de 3 uniquement. Je vous ai peut être un peu perdu… voilà de quoi bien fixer les idées :

    Schéma d'une coupe de fleur de Monocotylédone "typique"
    Mais attention, la présence d’une fleur trimère n’en fait pas une synapomorphie ; en effet, les chercheurs se sont aperçu que ce caractère souvent retrouvé chez les Monocotylédones était en réalité un caractère ancestral : il s’agit donc ici d’une symplésiomorphie, c'est-à-dire d’un caractère ancestral partagé par l’ensemble des Monocotylédones. (d’après Simpson, 2010) Par exemple, Amborella trichopoda, précédemment citée dans le premier arbre phylogénétique dans cet article, peut tout à fait posséder 6 tépales… et pourtant, ce n’est pas une Monocotylédone ! Cette trimérie est donc bien une symplésiomorphie.
    Une des synapomorphies (cette fois ci, c’en est vraiment une !) de ce groupe est la présence d’un seul cotylédon (d’où le nom : « mono » – un– « cotylédone » – cotylédon). Rappelons que les cotylédons sont les premières feuilles à sortir de la graine lors de la germination. Ce sont aussi des organes de réserves nutritives disponibles pour l’embryon présent dans la graine (chez certaines espèces uniquement).
    Les Monocotylédones possèdent également des feuilles à nervures dites parallèles (voir photo suivante) : ce caractère est une autre synapomorphie du groupe.

    Parmi d’autres synapomorphies intéressantes, citons également l’absence de croissance secondaire chez tous les Monocotylédones : ces plantes ne fabriquent pas de bois et n’ont pas d’accroissement en largeur (mais seulement en hauteur). Je discuterai de ce point plus tard. Ajoutons à cela que les vaisseaux conducteurs des sèves des Monocotylédones ont une disposition particulière : on parle d’atactostèle  par opposition à la disposition que l’on trouve chez d’autres plantes que les Monocotylédones, telles que les Eudicotylédones :


    A gauche, une actatostèle (typique des Monocotylédones), à droite, une stèle typique des Eudicotylédones
    A présent, je vais présenter quelques familles emblématiques des Monocotylédones ; tu verras qu’en fin de compte, tu les connais bien, ces plantes là !
    [Retour au plan]
    Les Alismatales (ça existe ça ?)

    Parmi les Alismatales (voir arbre phylogénétique plus haut) se trouve la famille des Araceae. Kesako ? me direz vous. Eh bien, dans cette famille, on trouve bon nombre de plantes bien connues présentes dans toutes nos jardineries ! Entre autre, les Phylodendrons, qui sont des lianes tropicales, mais on en trouve aussi sous nos latitudes, comme par exemple l’Arum Tacheté Arum maculatum… ou encore les Lentilles d’eau ! Si si parfaitement !
    Les plantes de cette famille possèdent une synapomorphie facilement identifiable (sauf chez les Lentilles d’eau) : il s’agit de l’inflorescence, très particulière, composée d’un spadice entouré d’une spathe. Mais encore ? me diras tu… de quoi s’agit il ? Avec un dessin, c’est toujours mieux.
    Dessin de l'inflorescence d'un Arum
    Chez l’Arum Tacheté, largement réparti en milieu tempéré, la pollinisation est assez peu conventionnelle : la présence d’une spathe et d’un spadice permet un fonctionnement très spécial. En effet, cette plante est pollinisée par de petits moucherons. Elle attire ces insectes en produisant, au niveau de l’inflorescence, une odeur de charogne en décomposition ; elle produit aussi de la chaleur, ce qui renforce l’impression, pour l’insecte, qu’il s’agit d’un animal mort à consommer (Bournérias & Bock, 2006). L’insecte entre dans la spathe, descend au fond de l’inflorescence en espérant trouver à manger. Au passage, il se frotte aux étamines et récupère involontairement du pollen sur son corps. Une fois arrivé au fond de l’inflorescence, il ne peut plus remonter car il est bloqué par des fibres rigides… Est la fin ? me direz vous. Mais pas du tout ! Il faut attendre quelques temps que l’inflorescence arrive à maturité : à ce moment, les fibres se ramollissent, ce qui permet un passage de l’insecte, qui s’envole vers d’autres cieux fleurs d’Arum, qui elles ne sont pas encore matures et produisent une odeur de charogne. Les moucherons rentrent alors dans cette nouvelle inflorescence, chargés de pollen ; ils se dirigent une nouvelle fois vers le fond et… au passage déposent du pollen sur les stigmates, situés au fond de l’inflorescence ! Il y a donc eu un transport de pollen d’une plante à une autre, ce qui permettra une fécondation croisée et réduira le risque de « consanguinité » chez ces plantes.

    A gauche, une feuille d'Arum maculatum, au centre une inflorescence d'Arum maculatum, à droite une coupe dans la spathe d'Arum maculatum, permettant de voir les moucherons piégés dans l'inflorescence
    Un autre caractère particulier de cette famille est que, contrairement à ce que j’ai dit au début, les feuilles de certaines espèces présentent une nervation qui n’est pas parallèle mais réticulée (c'est-à-dire en réseau) : il ne faut donc pas se fier aux apparences premières et bien étudier tous les caractères d’une plante avant de proposer une identification correcte ! par exemple en regardant plus précisément l’organisation interne de la tige (actatostèle ou non, voir plus haut) ; c’est grâce à ce genre de caractères que l’on peut savoir dans quel groupe se situe la plante étudiée.


    Les Pandanales (un jeu de mot mal placé ?)

    Parlons à présent d’un autre ordre (voir arbre phylogénétique plus haut) : les Pandanales. Et en particulier, une famille de plante qui se trouve dans cet ordre, les Pandanaceae. Cette famille contient le genre Pandanus, qui est économiquement un genre très important dans les îles du Pacifique. En effet, ces plantes sont utilisées dans la construction d’habitations, mais aussi en tant que nourriture (les fruits sont consommés).
    Une particularité des plantes de ce genre est qu’elles possèdent une croissance sympodiale. Mais encore, me direz-vous ? Eh bien c’est le contraire de la croissance monopodiale. Oui, bon, ça ne nous aide pas non plus…
    Schéma d'une plante à croissance monopodiale (en haut) et d'une plante à croissance sympodiale (en bas). Les ronds noirs sont les bourgeons qui ont une croissance limitée dans le temps.
    Dans le cas d’une croissance monopodiale, l’ensemble de la plante est initié, fabriqué, par un seul et même bourgeon terminal, appelé méristème apical caulinaire. C’est le même bourgeon tout au long de la vie de la plante. C’est comme ça que se construit une très grande majorité de Monocotylédones. Mais dans le cas des Pandanus, la croissance est sympodiale, c'est-à-dire que la plante est d’abord initiée par un méristème apical caulinaire - appelé aussi bourgeon terminal-  qui fini par mourir. La croissance est alors reprise par des méristèmes axillaires - des bourgeons situés à l’aisselle des feuilles, qui ne se développent que lorsque le bourgeon terminal meurt - qui se succèdent dans le temps car ils cessent de fonctionner au bout d’un moment. La conséquence de ce type de croissance est un port avec beaucoup de ramifications (généralement dichotomiques, c'est-à-dire ramifiées en forme de Y).

    Les Liliales (un ordre royal !)

    Nous avons vu une particularité des Pandanales – à savoir la croissance dichotomique – et maintenant, nous allons nous concentrer sur un autre ordre, celui des Liliales. Suite à la dernière classification APG III (oui souvenez vous, c’est le nouveau système de classification des plantes à fleurs, qui prend en compte les relations évolutives entre les différentes familles de plantes ; voir aussi cet article ), le groupe des Liliales, qui regroupait auparavant de nombreuses familles de Monocotylédones, a explosé, c'est-à-dire que les familles auparavant « rangées » dans le groupe des Liliales se sont retrouvées « rangées » dans d’autres groupes. Depuis, il ne reste que 10 familles présentes dans ce groupe. Je vais ici présenter la famille des Liliaceae que beaucoup d’entre vous connaissent, j’en suis sûr. En effet, dans cette famille se trouvent toutes les plantes du genre Lilium c'est-à-dire… le Lys, symbole des royautés ! mais aussi d’autres plantes telles que les Tulipes (dont nous avons déjà parlé plus haut).

    En voilà une belle fleur de Lys !
    Ces plantes possèdent des fleurs typiques de Monocotylédones : 6 tépales (sur deux rangées), 6 étamines (sur 2 rangées également) et un gynécée composé de 3 carpelles soudés supères. C'est-à-dire que la partie femelle de la fleur est constituée de 3 carpelles (là où sont enfermés les ovules) qui sont soudés entre eux, et situés au dessus de l’insertion des tépales sur le pédoncule. Comme vous le voyez, la trimérie (c'est-à-dire une fleur en base 3) est évidente.


    Les Asparagales (elles sont belles mes asperges, on en profite !)

    A présent, je vais vous parler des Asparagales. Tiens c’est bizarre, ce nom me rappelle celui des Asperges… C’est bien normal ! Les Asperges se situent dans la famille des Asparagaceae, elle-même dans l’ordre des Asparagales. Mais d’autres plantes se situent dans cet ordre ; je suis sûr que vous en connaissez un grand nombre. Voyez par vous-même…

    Une Orchidaceae, une Iridaceae, une Alliaceae
    Je suis certain que vous connaissez les Orchidées… ou encore appelées Orchidaceae. Sachez qu’il s’agit d’une des familles de plantes où l’on retrouve le plus d’espèces. Environ 27000, d’après ce site , réparties dans 925 genres. Mais le plus impressionnant, c’est que les fleurs de ces plantes sont toutes ou presque construites sur le même plan d’organisation. En effet, lorsqu’on voit une fleur d’Orchidée, on sait immédiatement que c’en est une. Pourquoi ? Eh bien tout d’abord, elle présente une symétrie bilatérale, c'est-à-dire qu’elle n’a qu’un seul plan de symétrie. On appelle ça une fleur zygomorphe.

    Un Geranium (Geraniaceae) possède une symétrie radiale, appelée aussi actinomorphie, tandis qu'un Paphiopediulm (Orchidaceae) possède une symétrie bilatérale, appelée aussi zygomorphie.
    Ensuite, elle possède bien 6 tépales… dont un est transformé ! Il s’appelle le labelle et sert en quelque sorte de « piste d’atterrissage » pour les insectes qui viennent polliniser la fleur. Si les 5 autres tépales se ressemblent tous un peu entre eux, le labelle quant à lui peut prendre des formes, des tailles et des couleurs extrêmement variées. Voyez par exemple ces deux Orchidées et leurs labelles si différents !
    A gauche, Ophrys Abeille,à droite, Orchidée Vampire. Il s'agit de la même famille, et pourtant la morphologie est très différente...
    Bon, je ne vais pas m’étendre sur le sujet plus longtemps, je pourrais y passer des heures… Peut être cette thématique fera t elle l’objet d’un prochain article plus détaillé sur cette grande famille, qui sait ?

    Parmi les Asparagales, on trouve également les Iridaceae. Cette famille est représentée dans nos jardins par un grand nombre d’hybrides mais on peut aussi trouver d’autres espèces sauvages, tel que l’Iris des Marais Iris pseudoacorus.

    Une fleur d'Iris pseudoacorus, avec en arrière plan à gauche les feuilles correspondantes
    Une des particularités de ces fleurs, c’est la présence d’un style pétaloïde : le style (la structure qui porte le stigmate, là où se dépose le pollen) a la forme d’un pétale, d’où le nom. Là encore, on remarque que la fleur est typique d’une Monocotylédone (en base 3). De plus, la croissance de ces plantes s’effectue à l’aide d’un rhizome, c'est-à-dire une tige à croissance agéotropique (plus simplement, à croissance horizontale)… Eh oui, un rhizome est bien une tige, et non pas une racine, comme on le pense souvent. Il suffit pour cela de faire une étude de l’anatomie interne et on s’en rend compte immédiatement (mais je ne vais pas le faire ici, c’est trop long). Les feuilles sont également facilement reconnaissables : elles ont une forme effilée avec un bout pointu, typique des Iridaceae.

    Au sein des Arsparagales, on trouve aussi la famille des Alliaceae. Elle regroupe toutes les plantes du genre Allium, c'est-à-dire les Aulx (ou Ail au pluriel !) qui sont beaucoup utilisés dans la cuisine européenne. Entre autre, le Poireau, dont le nom scientifique est Allium porrum ! ou bien encore l’Oignon Allium cepa.

    Allium cepa, inflorescence et bulbe

    En règle générale, la tige des plantes de cette famille est très réduite. Elle est tellement condensée qu’elle n’est pas visible ! Mais alors, comment la plante fait elle pour grandir si elle n’a pas de tige ? Petite explication : comme vous le savez certainement, les plantes à fleurs sont toutes construites sur le même modèle, à savoir que l’élément morphologique de base est le phytomère (voir schéma suivant) autrement dit un ensemble formé par un nœud, où se situent la feuille, la bractée (qui est une sorte de petite feuille) et le bourgeon, et un entre nœud, qui correspond à la tige.

    Schéma d'un phytomère, donnée originale
    Chez l’Oignon, par exemple, ce qu’on appelle le bulbe, c’est en réalité l’ensemble formé par une tige souterraine condensée et des feuilles non photosynthétiques gorgées de réserves, très charnues : les entre nœud (=la tige) sont tellement raccourcis que les nœuds s’empilent les uns sur les autres !

    Photo d'une coupe longitudinale d'Oignon. 1 : écailles charnues, ou feuilles de réserve ; 2 : bourgeon ; 3 : écailles sèches ; 4 : plateau = tige réduite ; 5 : racines adventives ; 6 : restes des feuilles de l'année précédente
    Lorsqu’on ouvre un oignon et qu’on le découpe pour l’utiliser en cuisine, ce qu’on met dans la poêle, ce sont en réalité des feuilles charnues, non photosynthétiques, qui servent à stocker des réserves pour le fonctionnement de la plante.



    Les Commelinids (où nains et géants se côtoient...)

    A présent, passons à un autre groupe de plantes : les Commelinids. Vous connaissez très bien certaines plantes de ce clade… si si je vous assure ! Vous allez voir ça tout de suite.

    Dans ce groupe se trouve les Arecales, un ordre comportant une famille unique, celle des Arecaceae… encore appelée famille des Palmiers ! Ah, tout de suite, on voit à quoi ça correspond. Sachez en tout cas qu’une des synapomorphies de cette famille est la présence d’une structure appelée stipe, qui permet dans la majeure partie des cas un port arborescent. Attention cependant, bien que les Palmiers puissent atteindre jusqu’à 30 m de haut, ils de produisent pas de bois ! Comment ça, pas de bois ? Mais oui ! En effet, le bois est un tissu végétal issu de la croissance secondaire (autrement dit, une croissance en épaisseur, initiée par un tissus spécifique appelé le cambium, et qui donne des structures concentriques : les cernes)… et chez les Monocotylédones, il n’y a pas de croissance secondaire ! Pour en être certain, comparons une coupe de tronc d’arbre et de stipe de palmier :
    A gauche, un schéma d'une coupe transversale de stipe de Palmier, à droite, un schéma d'une coupe transversale d'un tronc de Dicotylédone. Voir aussi ici et .
    Comme on peut le voir chez le Palmier, les faisceaux conducteurs de sève sont répartis dans la « chair » centrale de la plante tandis que dans le tronc d’un arbre, le bois est constitué de successions de vaisseaux conducteurs, mis en place année après année (au passage, c’est ce phénomène d’accumulation qui engendre la formation des cernes du bois… qui permettent de donner l’âge d’un arbre !).

    D’autres plantes bien connues du grand public se trouve au sein des Commelinids, comme par exemple celles situées dans l’ordre des Zingiberales, dans la famille des Musaceae… qui est la famille de la banane ! Là encore, bien que les bananiers se développent en plantes de plusieurs mètres de hauteur, ils ne fabriquent pas de bois… ni de stipe ! Comme une grande majorité des Monocotylédones, ces plantes sont constituées d’éléments successifs emboités les uns dans les autres ; seulement ici, les gaines des feuilles sont persistantes et permettent l’élaboration d’un « tronc » qui contribue à porter en hauteur les nombreuses feuilles. Attention, ce n’est pas un vrai tronc, car il n’y a ni croissance secondaire, ni tissus ligneux (=tissus comportant une molécule appelée lignine, responsable de la rigidité du bois) ! J’utilise ce terme uniquement pour vous donner un point de comparaison.
    Ce sont des plantes dites hapaxantiques, c'est-à-dire qui meurent après avoir effectué leur seule et unique floraison, qui peut avoir lieu plusieurs années après la germination de la plante. Après floraison, elles produisent des fruits bien connus dont j’ai déjà parlé plus tôt : il s’agit des bananes. Mais… c’est bizarre ça, quand on mange une banane, on ne trouve pas de graines ! Comment cela est il possible ? Eh bien, les bananes que l’on trouve dans nos supermarchés sont produites par des arbres sélectionnés exprès : ils possèdent un génome triploïde et n’engendrent que des fruits sans graines ! Mais à l’état sauvage, les bananes possèdent bien des graines !

    En haut, une coupe dans une banane sauvage... on distingue toutes les graines ! à droite, une coupe dans une banane cultivée, sans graines
    Notre promenade parmi les Monocotylédones va bientôt se terminer. Mais j’ai gardé le meilleur pour la fin ! Je vais à présent vous dévoiler l’existence d’une famille très commune, mais qui se retrouve dans toutes les parties du globe il s’agit de la famille des Poaceae (située dans l’ordre des Poales) anciennement appelée famille des Gramineae. Elle comporte environ 668 genres et 9500 espèces ! Elles doivent leur capacité de colonisation de tous les milieux en particulier à leur système de multiplication végétative sous forme de rhizomes ou de stolons ; elles restent ainsi facilement ancrées dans le sol et supportent le piétinement, l’arrachage ou l’herbivorie car elles peuvent malgré toutes ces contraintes reformer leur appareil végétatif aérien (=toute la partie aérienne dévouée à la photosynthèse et non à la production de fleurs et de graines)  lorsque la perturbation est passée. Vous voyez de qui je veux parler ? Non ? De l’herbe en général. Eh oui, ce que l’on nomme « le gazon », « les mauvaises herbes », « le chiendent », « le foin » et encore plein d’autres… ce sont des Poaceae !

    A gauche, Arrhenatherum elatius, une Poaceae très commune des bords de chemin, à droite, Elytrigia sp.
    Les Poaceae produisent des fleurs très modifiées, dont le périanthe (c'est-à-dire l’ensemble formé par les sépales et les pétales) est très différent de tout ce qu’on a pu voir jusqu’à maintenant. Avec un schéma, c’est plus simple.

    Schéma d'une fleur de Poaceae typique. Comme on peut le voir, le périanthe est extrêmement réduit alors que les pièces fertiles (androcée et gynécée) sont hyper développées. 
    Ici, les fleurs sont regroupées en inflorescences appelées épillets… eux même généralement regroupés en épis. Ainsi, la plante peut produire un nombre de graines très importantes dans un petit espace. Mais pourquoi faire des fleurs si petites ? Pourquoi avoir un périanthe si réduit et si pauvre en couleur, me direz vous ? En réalité, si les fleurs sont si petites, c’est certainement parce qu’elles sont pollinisées par le vent (on parle alors d’anémogamie) et non par les insectes : la présence d’une grande corolle colorée n’a pas lieu d’être lorsqu’il suffit que les étamines s’ouvrent et libèrent leur pollen pour assurer la pollinisation !
    Mis à part l’herbe, vous connaissez beaucoup de Poaceae : le blé (Triticum aestivum), le maïs (Zea mays), le riz (Oryza sativa) qui sont les trois céréales majoritairement consommées dans le monde et à base de l’alimentation de milliards de personnes ! Comme quoi, on en mange tous les jours, mais on ne sait pas forcément à quoi ça correspond…


    Ouf ! Cet article se termine. J’avoue que je t’ai peut être embrouillé quelque peu, chère lecteur, chère lectrice, mais le sujet me semble si passionnant que j’ai dû me restreindre pour n’en tirer que les informations qui m’ont parues dignes d’intérêt.
    Nous avons donc vu que dans ce grand ensemble qu’est le clade des Monocotylédones, on trouve beaucoup de variations entre les groupes… mais qu’on retrouve également plein de choses communes, et qu’il n’y a qu’un petit monde entre la petite pousse d’herbe entre les fissures des trottoirs de Paris et les Palmiers de Nouvelle Calédonie !

    Bibliographie :

    La majorité des informations présentes dans cet article proviennent du livre Plant Systematics de M.G. Simpson et d’un grand nombre de notions apprises depuis la L1 ; il m’est donc difficile de faire un inventaire exhaustif de toutes les sources utilisées. Quelques données proviennent du livre Le génie des Végétaux de M. Bournérias et C. Bock, déjà utilisé dans d’autres articles. J’ai aussi utilisé l’article An update of the Angiosperm Phylogeny Group classification for the orders and families of flowering plants: APG III de Chase et al. ainsi évidemment que la grande ressource d’Internet pour les images.


    La science accessible à tous.

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    La recherche scientifique a parfois la lourde peine de traîner des préjugés aussi lourds que des boulets qu’on vous aurait accrochés à la cheville sans moyen de vous en défaire (un peu comme les pirates qui jetaient les traîtres à la mer). Laissez-moi m’incarner, le temps que vous lisiez ces quelques lignes, en une véritable maîtresse des clés (j’ai hésité avec Passepartout, mais ça fait quand même moins sexy) qui volerait au secours de la science pour la libérer d’une noyade lente, terrible, pleine de souffrance.

    They strapped me to a cannon, I ended up on the bottom of the ocean, the weight of the water crushing down on me.” William "Bootstrap Bill Turner, Pirates des Caraïbes.
    Illustration de Tiago Hoisel [Source] // Les héros de la série The Big Bang Theory
    Il n’y a que des vieux qui bossent dans la recherche, il faut avoir fait BAC+ trouze pour y bosser, ils sont grave ringards, ils n’ont pas de vie sociale, ils regardent leurs crottes de nez au microscope et puis d’abord, ça sert pas à grand-chose à part à laisser une bande de vieux croutons s’éclater entre eux sur des délires qu’eux seuls comprennent (et en plus, on les paye pour ça. Sans déconner, mais où va le monde ?!).
    A vrai dire, c’est ce que j’aurais pu répondre avant d’avoir mis les pieds à la fac et c’est ce que pourraient répondre pas mal de gens que je connais. Mais pour de vrai, c’est trop pas ça (quoique pour certains je vous laisse le bénéfice du doute).

    En fait je n’ai pas l’intention de vous parler de Science avec un grand S ou encore de la recherche de façon générale mais plutôt de vous parler d’un truc que je kiff grave de certains programmes qui permettent de contribuer à l’avancée de la recherche sur la question de la biodiversité*à notre échelle. Et pour ça, les seuls pré-requis demandés sont : la curiosité et le partage. (Et ouais, rien que ça !)

    En fait, ça part du constat que pour connaître la biodiversité, il faut la zieuter assez régulièrement pour pouvoir en tirer des conclusions pertinentes et intéressantes. Mais sauf rares exceptions (stages, thèses, programmes financés, suivis par des associations), ce sont des données difficile à obtenir. Non pas parce que c’est difficile d’aller sur le terrain mais parce qu’on manque de moyens (manque d’argent et de personnel) et donc forcément, un manque de temps.

    Pourtant, on a besoin de connaître l’évolution de la biodiversité, sa répartition dans le temps et dans l’espace afin de pouvoir la protéger ou encore la gérer. Ouais, on aime bien pouvoir tout gérer et tout contrôler… mais disons que c’est pour le bien de notre environnement (quoique ça dépend des fois…).

    A côté de ce manque de temps et de moyens, un grand nombre de personnes s’adonne très régulièrement à des activités naturalistes (et non naturistes**). Il y a, bien entendu, les associations naturalistes qui proposent des sorties, mais il y a également ceux qui aiment se balader pour faire un peu de randonnée, ramasser les champignons, cueillir des fruits, ou que sais-je encore (Boriiiiiis, lâche ce palmier !). Des personnes qui aiment le contact avec la nature quoi (Boris, lâche-le de suite ou je compte jusqu’à trois !). Et forcément, les connaissances des uns et des autres sont très variées et peuvent aller d’un niveau de débutant à un niveau d’expert.


    Photos prises ici et là
    Les sciences participatives
    C’est alors que se sont mises en place les sciences participatives (ou citoyennes) pour la biodiversité.
    Ces sciences participatives ont pour vocation de faire participer tout ceux qui le souhaitent à des programmes naturalistes afin d’accroître nos connaissances en termes de biodiversité. C’est ainsi que professionnels et amateurs collaborent pour le bien de notre environnement. Les données ainsi récoltées sont transférées aux chercheurs qui pourront les traiter afin d’en extrapoler les informations puis les transmettre au grand public.

    Et puisque ce genre de programme se développe depuis quelques années maintenant, il y en a pour tous les goûts et tous les niveaux !
    Vous êtes amateur, vous n’y connaissez rien et pourtant vous aussi, vous voulez gambader les cheveux au vent pour regarder les fleurs et les papillons ? N’ayez crainte, j’ai ce qu’il faut pour vous : [Sauvages de ma rue, Vigie Flore, Observatoire des Papillons de Jardins].
    Et vous, sombre créature de la nuit ! Votre passion est d’errer dans les maisons hantées les nuits de pleine lune, votre rêve le plus secret serait de devenir un vampire ? J’ai également ce qu’il faut pour vous : [Suivi des populations de chauves souris].
    Et toi là bas ! Tu préfères bronzer sur la plage plutôt que courir après les oiseaux ?! Haha, et ben si ! J’ai un truc pour toi aussi (et tu vas (prendre la voix de Cristina Cordula) a-do-rer ma chérie) : [BioLit, CapOeRa].
    Vous là bas, vous avez du mal à décrocher de votre téléphone plus de 3 minutes ? Idem, j’ai ce qu’il faut : [Missions Printemps avec l’appli smartphone du même nom].
    Hep toi ! Celui qui a le pied dans le plâtre ! Et toi aussi tiens, qui à l’air de vouloir profiter du hamac dans ton jardin. J’ai également ce qu’il faut pour vous, vous n’aurez pas à aller très loin puisque votre jardin ou le trottoir devant chez vous suffisent ! [Observatoire des Papillons de Jardin, Observatoires des Escargots, Enquête Coléo, Sauvages de ma Rue]

    BioLit
    Calliostoma zizyphinum sur
    des algues vertes (Ulva sp.)
    Je vais vous présenter mon programme préféré pour vous en donner un rapide aperçu. Vous connaissez sans doute mon attrait incommensurable pour les bêbêtes de l’estran (la partie du littoral soumise à la marée), mais je vais devoir avouer ici, aux yeux de tous, ma fascination pour les algues***ces êtres inférieurs qui tuent chevaux et sangliers.

    Il s’agit du projet BioLit (lauréat 2012 du trophée mécénat délivré par le ministère !) mis en place par l’association Planète Mer.

    L’objectif est de comprendre les relations qui unissent les grandes algues brunes et les mollusques qui vivent dans cet habitat.


    Le littoral, comme les autres écosystèmes est constitué d’un ensemble d’interactions entre la faune, la flore et le substrat. En plus de la prédation, compétition, interactions durables (symbioses, parasitismes etc.) et toute autre forme d’interaction, les espèces sont soumises à la marée. Bon d’accord, ce n’est pas un scoop, mais vous êtes vous déjà mis dans la peau d’un bigorneau, d’un crabe, d’une anémone de mer ou d’une algue ?
    Bigorneau (Littorea littorea)
    avec vue de l'opercule
    En fait, on va le faire ensemble. A partir de maintenant, on sera tous ensemble une bande de bigorneaux qui gambadent se baladent sur un rocher. La marée est haute, l’eau est à température idéale, on est protégé des UV, notre coquille nous protège de la plupart des potentiels prédateurs et nous pouvons brouter joyeusement des algues pendant que la marée redescend. A marée basse par contre, les oiseaux (et les pêcheurs à pied) peuvent nous cueillir facilement, il n’y a plus d’eau donc plus de protection contre les UV et il commence à faire chaud. Le soleil tape sur les rochers sombres ce qui augmente considérablement leur température (qui peut aller jusqu’à 50°C dans nos régions !), plus question de ramper dessus il y fait bien trop chaud ! Plusieurs moyens s’offrent à nous, chers bigorneaux, pour nous protéger de cet environnement devenu hostile : notre opercule qui nous permettra de nous garder à l’humidité et de limiter l’échauffement mais également notre mucus qui nous évitera de nous dessécher. Cependant, rester enfermé dans sa coquille pendant plusieurs heures n’est pas une partie de plaisir, et quelques fois ce n’est pas suffisant contre la dessiccation. C’est là que les macroalgues (se différencient des microalgues par leur taille : les macroalgues sont celles que l’on voit à la plage ou dans l’eau tandis que les microalgues sont celles que l’on ne peut voir qu’au microscope) interviennent puisqu’elles deviennent un véritable refuge contre le soleil, les prédateurs mais également le froid et la pluie. Cette situation ne concerne bien évidemment pas que les bigorneaux, mais toutes les espèces peu ou non mobiles ou encore les prédateurs qui s’y cachent pour tendre des pièges à leur proies. Les conditions sous l’eau et en dehors sont vraiment différentes, il faut pouvoir y survivre.
    Les bigorneaux et tous les autres escargots du littoral sont d’un grand intérêt pour tout cet écosystème. Ils limitent la prolifération des algues en les broutant et sont source de nourriture pour bon nombre d’espèces d’oiseaux, de poissons, d’autres mollusques… Les algues elles aussi sont une source importante de nourriture et représentent également un abri considérable pour la faune (j’en reparlerai dans un autre article). D’où l’intérêt de les étudier. De plus, les algues brunes (il existe aussi les algues vertes et  les algues rouges) et les escargots ont l’avantage d’être tous deux présents en grande quantité et facilement reconnaissable pour un non spécialiste. Un programme fun et accessible à n’importe qui, donc à vous de jouer ! Et si vous n'êtes toujours pas convaincu, voyez la vidéo ci-dessous.






    Je vous laisse découvrir les détails du projet ici ainsi que les fiches protocole : et .
    Si vous n'êtes toujours pas rassasiés après tout ça, que vous voulez rencontrer des gens passionnés et passionnants pour vous faire découvrir les richesses de la diversité du littoral vous pouvez vous renseigner auprès de Planète mer, auprès de la super asso VivarmorNature, mais aussi auprès de IODDE et Nausicaa.

    Littorina obtusata qui tente de se camoufler parmi les
    flotteurs (poches d'airs qui font flotter les algues) de
    l'algue brune Fucus vesiculosus

    Vigie Nature
    Evidemment, pour ceux qui n’habitent pas près de la mer ou qui n’y iront pas pendant les vacances, j’ai d'autres programmes à vous montrer, notamment ceux proposés par Vigie Nature.
    Vigie nature est un énorme programme proposé par le MnHn (Muséum national d'Histoire naturelle) qui propose de suivre les populations de chauves-souris, d’oiseaux, d’escargots, d’amphibiens, d’insectes mais également de suivre les traces d’animaux dans la forêt ou encore les espèces végétales de nos jardins ! Je vous l’avais dit, il y en a pour tous les goûts ! Si ça vous intéresse et que vous voulez en savoir un peu plus, vous trouverez des informations sur leur site, et n’hésitez pas à les suivre via le blog qui a été lancé il y a quelques jours.


    (c) Vigie Nature [Source] 


    La nature ordinaire
    Quel intérêt d'étudier les plantes
    sur un trottoir ? [Source]
    Mais en fait, pourquoi étudie-t-on les espèces « communes » ? Ça ne serait pas plus intéressant de se préoccuper des espèces en voie d’extinction ou des espèces rares ? Quid des espaces protégés, ne serait-il pas plus intéressant de suivre des espèces dans ces zones plutôt que sur un vulgaire trottoir de ville ?

    Ben en fait, oui et non. C’est clair que c’est vachement plus glamour de dire « ce week end, j’ai étudié une orchidée sauvage dans une réserve biotique intégrale » plutôt que « ce week end, j’ai regardé des pissenlits sur le trottoir de la voisine »…
    Le but premier des sciences participatives c’est la mobilisation du publique. Pour cela, il faut que les protocoles proposés soient facilement réalisables, qu’ils soient accessibles au plus de monde possible et pour ça, il a au moins deux moyens. Le premier c’est d’étudier des espèces connues du grand public (j’imagine que si je vous dis pissenlit, rouge-gorge ou renard, vous voyez tout de suite de quoi je parle) ou facilement reconnaissables. Le deuxième, c’est de pouvoir le faire près de chez soi, c’est quand même plus pratique que si vous devez parcourir 50km en voiture.

    Vous avez peut être déjà entendu parler de l’expression « érosion de la biodiversité » du fait des changements globaux. Certaines espèces ce sont éteintes, certaines sont en voie de disparition, certaines tiennent encore le coup mais qui n’y arriveront bientôt plus… Afin de réduire cette crise, plusieurs types d’actions sont mises en place à diverses échelles (internationale à locale) dont la protection de certaines espèces et la création d’aires protégées (Natura 2000, réserves naturelles, parcs naturels régionaux etc.). Mais en terme de superficie sur un territoire, c’est la nature dite ordinaire qui est majoritaire (je crois me souvenir de quelque chose comme plus de 90%). Vous comprendrez donc l’importance de connaître la dynamique des espèces qui l’occupent. D’autant plus qu’on peut se servir de ces espèces communes comme fonction indicatrice puisque leur étude va nous permettre de comprendre comment la biodiversité réagit face aux changements globaux. Par exemple, le réseau STOC (Suivi Temporel des Oiseaux Communs) a pu mettre en évidence grâce aux données des participants que certaines espèces profitent du réchauffement climatique, tandis que d’autres ont beaucoup plus de mal à s’y faire.

    La Linotte mélodieuse avec un déclin de -72% en 20 ans est un symbole de la perte de biodiversité ordinaire en milieu agricole. A l’inverse, le Pigeon ramier (+71% en 20 ans) est un généraliste qui profite des changements globaux[Source]

    Pour finir, s’intéresser à des espèces moins exotiques permet de sensibiliser le grand public à la protection de la nature ordinaire. Au même titre que les koalas, les dauphins et les phoques, nos mésanges, nos algues et nos bigorneaux ont eux aussi le droit à un peu d’attention et d’affection ;)


    (c) C. Feirrera



    A bientôt sur le terrain !
    Polychètement,
    Aurélide. 









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    * biodiversité : la biodiversité c’est la diversité d’espèces, de formes, de modes de vie, de gènes, en gros, c’est toute la diversité possible et imaginable formée par le vivant. [Retour au texte]
    ** naturaliste / naturiste : tandis qu’un naturaliste s’éclate à se balader dans la nature pour l’admirer, l’observer et la comprendre, le naturiste lui, s’éclate à se balader à poil (chez lui, dans son jardin, dans des campings spécialisés et autres). Cela dit, les deux ne sont pas incompatibles. [Retour au texte]
    ** algues : en vrai, le terme algue ne veut rien dire d’un point de vue évolutif (pour les pro’, et histoire de se la péter un peu pendant les soirées mondaines, on va plutôt dire « ça ne veut rien dire d’un point de vue phylogénétique » mais ça revient au même). Les « algues » (les guillemets sont là pour dire « je sais que le terme algue ne veut rien dire d’un point de vue évolutif, mais vu que c’est long à écrire je me contente de juste mettre les guillemets ») regroupent en fait des espèces qui n’ont rien à voir, c’est comme si on parlait de fournitures scolaires : un stylo n’a rien à voir avec une feuille ou une gomme. Leur seul point commun c’est qu’on les met dans un cartable. Ben là c’est pareil pour les algues (sauf que c’est un peu moins évident à s’en rendre compte, je l’admet), une algue brune n’a rien à voir avec une algue rouge qui n’a rien à voir avec une algue verte (ouais, j'm'éclate avec les couleurs) mais pourtant on les regroupe ensemble sur un critère écologique parce que c’est plus simple de dire « algue » que de dire « toutes les espèces photosynthétiques capables de vivre sous l’eau et sans tissu conducteur ». Encore une fois, pour les soirées mondaines, on dira que les algues sont polyphylétiques : leurs ressemblances n’ont pas été héritées du même ancêtre [ce n’est pas parce que Nico et Boris ont les cheveux foncés qu’ils ont les mêmes parents (ça parait plus logique dis comme ça hein ? :D)].
    Si vous voulez d’autres mots de ce style pour vos soirées et réunions de familles, vous devrez en trouver dans nos articles. [Retour au texte]

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    Si vous doutez toujours sur le fait que tous les scientifiques ne sont pas qu’une bande de vieux croûtons moisis, voyez à quoi ressemble un scientifique de nos jours : http://lookslikescience.tumblr.com/ [avouez que certains sont grave sexy ! (nan je ne donnerai pas de nom) (bon ok, vous avez raison, les plus sexy n’y sont pas, on ne voulait pas trop leur faire d’ombre en proposant nos photos, faut savoir faire preuve d’humilité parfois ;) )]
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    Pour aller plus loin : Regards et débats sur la biodiversité - Biodiversité et science participative, de la recherche à la gestion des écosystèmes. 
    Merci à C. Kerbiriou de m'avoir autorisé à utiliser quelques un de ses éléments de cours et à F. Jiguet pour sa disponibilité.

    Un an que les poissons n'existent pas !

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    Aujourd’hui cela fait un an que notre blog collaboratif a été créé ! Il est donc temps de souffler la première bougie (vous nous direz que sous l’eau, c’est peu utile).

    Voici un bilan de cette année :

    Après la création du blog par Nicobola et Aurélide, plutôt biologistes des « invertébrés », Boris, le Botaniste nous rejoint avec son premier article le 12 Juillet 2011 avec "To be or not to be (alive), that is the (good) question!". C’est ensuite Naldo plutôt paléontologie des vertébrés qui débarque le 24 Septembre 2011 avec "Have fun with taxonomy". Ensuite c’est Battle, mordue d'écologie évolutive qui, le 16 Novembre publie son premier article : "La reine, seule reproductrice chez les fourmis?". Enfin, Sophie, plus particulièrement intéressée par l’écologie comportementale, rejoint l’équipe du bocal le 7 Janvier avec "Touche pas à mes supermatozoïdes". Finalement, nous avons eu le plaisir d'accueillir une invitée, Marie, qui nous a aussi écrit un article pour le 1er Avril qu’il faut évidemment prendre comme une plaisanterie : "A la découverte des Rhinogrades". Le bocal compte donc six « poissons » maintenant et nous espérons qu’il s’étoffera d’autres personnes aux styles d’écriture et aux intérêts différents dans le domaine de l’évolution, l’écologie et la biologie des organismes. Et je peux vous dire qu’entre nous, lors des relectures de nos articles, entre les débats houleux ou les taquineries, il y a de l’ambiance.

    L’apparence du blog était jusqu’alors assez tristounette. Nous voulions quelque chose qui colle plus à nos motivations et notre état d’esprit, c’est pourquoi nous avons décidé d’adopter une nouvelle charte graphique (qui, nous l’espérons, vous plaira !).
    Nous avons d’ailleurs l’honneur d’accueillir une mascotte que vous pouvez voir près du titre. Cette magnifique baudroie a été dessinée avec talent par Antonin, un jeune dessinateur passionné entre autres par la théorie de l’évolution et les dinosaures. Nous espérons continuer la collaboration avec lui. Vous pouvez en principe jeter un oeil sur ses albums sur facebook ici ou ici.

    Si comme tout blog, il a mis un peu de temps à démarrer, nous avons pu dépasser les 1000 visites par mois dès Décembre, probablement grâce à la présence de plus d’auteurs qui permettent de ratisser plus largement la biologie des organismes et ainsi attirer un public plus large. Nous avons jusqu’ici effectivement traité des sujets variés comme la paléontologie, l'écologie théorique, la diversité de certains groupes ou l'écologie d’autres groupes, la systématique théorique, la conservation, etc. Et même si certains articles sont ardus et d’autres moins nous essayons toujours de nous adresser à un large public. Mais c’est surtout avec notre entrée au C@fé des Sciences en Mars que le nombre de visite a quasiment triplé. Nous sommes en tout cas très ravis d’avoir rejoint cette communauté de blogs scientifiques francophones.


    Les articles les plus consultés sont :
    -Les bactéries sont nos amies. Probablement parce que l’article est vieux et s’approche plus du médical et de la vie quotidienne.
    -To be or not to be (alive), that is the (good) question !. Le premier article de Boris, montrant qu’au final les gens s’intéressent aussi aux plantes !
    -La phylogénie animale une affaire pleine de rebondissements, comme quoi, on a encore beaucoup de travail pour comprendre l’évolution.
    -Quand diversité rime avec homogénéité : le cas des Monocotylédones, parce que vous aimez que Boris vous parle de belles plantes
    -Les mystères de la phylogénie... Parce qu’après tout, il faut bien savoir pourquoi les poissons n’existent pas !

    Mais ce qui nous a beaucoup amusé ici ce sont les recherches qui ont permis d’accéder à notre blog, en voici un florilège :

    - « penis avec nœud» (et on ne va pas vous mettre toutes celles en rapport avec le pénis)
    - « assez d'etre pris pour un pigeon», parce que nous aidons aussi les gens qui se sentent mal dans leur peau.
    - « Faire fonctionner un bus» mais aussi les conducteurs des transports publics.
    - « animaux cochon concombre» recherche coquine ou innocente ? Qui sait ?
    - « concombre de mer bisous» parce que certains aiment les bébêtes autant que certains d’entre nous
    - « langue en forme de fesse» en voilà une anatomie de la langue intéressante.

    Nous avons pour projet de diversifier un peu plus nos articles dans la forme, la taille et le contenu. Puisque nous avons l’occasion d’aller sur le terrain assez fréquemment dans le cadre de nos études, nos stages, nos jobs ou encore nos weeks-end aventuriers nous pensions partager avec vous nos péripéties par le biais de photos et vidéos. Ainsi, ce serait des articles  plus courts, plus accessibles et qui vous donneront envie, vous aussi de sortir et de découvrir toutes ces petites merveilles. 

    En tout cas nous avons pris du bon temps ici et nous nous sommes beaucoup amusés à écrire ces articles. Nous espérons que l’aventure continuera pour encore un bout de temps et que vous appréciez autant de nous lire que nous de vous écrire. 



    A bientôt pour de nouvelles aventures !
    L’équipe du bocal.


    Vie et mœurs du Phénix

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    Et dans la douce lumière de l’aurore apparut, surgissant du désert impitoyable, le Phénix flamboyant, inspirant paix et sérénité sous ses ailes pourpres… Inexorablement, il s’en était allé se consumer à l’abri des regards, dans le feu du sable africain, pour renaitre de ses cendres, plus fier que jamais.

    Flamant glissant tel une ombre dans le coucher de soleil. Source


    D’aucuns auront reconnu ici le flamant rose, symbole du Phénix dans l’Egypte ancienne, dont il pourrait avoir inspiré le mythe. Cet oiseau immense disparaissait dans le désert, dans des contrées trop hostiles pour les humains, pour réapparaitre quelques mois plus tard. Une immortalité qui n’est qu’apparente, puisqu’il n’allait pas renaître mais bien faire naitre, dans des colonies de reproduction longtemps restées mystérieuses. Son nom de genre, Phoenicopterus, signifie « ailes pourpres », tandis que son complément d’espèce, « roseus», accentue encore sa particularité si rare dans le monde animal, sa couleur exceptionnelle. De tout temps le flamant rose a fasciné, tant par son apparence que par son mode de vie, et aujourd’hui encore des hommes s’attachent à les protéger coûte que coûte.

    Pourtant, à force de les étudier depuis 6 mois, ils commencent à revêtir à mes yeux un costume non pas fier et mystérieux, mais tirant plutôt sur le comique… Leurs mœurs si particulières et leur apparence cocasse ne peuvent nous laisser indifférents, surtout quand ils mettent toute leur énergie à se donner en spectacle devant nos yeux.

    L'étrange bec du flamant lui sert à filtrer l'eau pour en extraires des petits organismes, crustacés, mollusques, insectes, etc. Source : Wikipédia.


    Nul oiseau n’a son pareil dans le monde animal. Si vous n’aviez jamais vu de flamant de votre vie, voilà comment l’on pourrait vous le dépeindre : son corps ressemble à celui d’une grosse oie, perché sur des pattes immenses et fines comme des brindilles. Son cou, semblable à s’y méprendre à la trompe d’un éléphant, est terminé par une tête minuscule, prolongée par un bec tordu qui semble monté à l’envers, lui donnant un étrange air antipathique. Non content de se faire remarquer par cette morphologie atypique, le flamant fait également en sorte d’être rose ! Et pas n’importe comment, grâce à sa nourriture qui contient les pigments parfaits pour une belle teinte bonbon. En parlant de manger, le flamant n’a pas non plus choisit la facilité. En dépit de sa taille relativement impressionnante, il a choisit de se nourrir d’organismes aquatiques quelques 1000 fois plus petits que lui… D’ailleurs, dans la catégorie hybride, il a piqué la technique des baleines grâce à un filtrage qui ressemble fort à leurs fanons. La tête plongée dans l’eau, il avance en faisant des mouvements de balanciers de son cou. Une technique plus comique encore consiste à planter son bec dans l’eau, et à tourner autour en piétinant le sol, un peu à la manière d’un gars bourré qui veut se donner le tournis en tournant autour de sa bouteille… En résulte des étranges cercles imprimés dans la vase, qui pourraient faire croire aux plus fous d’entre-nous à une invasion d’êtres venus d’ailleurs. Au final, qui sait ?

    Alors que l'eau de l'étang s'est évaporée, d'étranges cercles se dessinent où le flamant a piétiné pour faire sortir les organismes minuscules dont il se nourrit. Crédit Jean Roche / naturepl.com


    Le flamant rose, qu’il soit mâle ou femelle, est un animal très coquet. Il est vrai, les hommes lui fournissent chaque année une belle ribambelle de bagues. Mais en ce qui concerne le maquillage, l’animal le fabrique lui-même. Ha, si les femmes savaient faire ça… Ils possèdent une glande dite uropygienne, qui fabrique une substance avec laquelle ils se lustrent le plumage. Après vérification, il s’avère que la substance en question fait ressortir leur belle couleur rose ! Patiemment, ils se frottent le bec avec et s’astiquent les plumes avec soin. Ai-je précisé que la glande se situe au niveau de leur croupion ?

    Chaque été la colonie française de flamants roses, située en Camargue, subit une opération de baguage qui permet un suivi de la population. Une partie des poussins de l'année (qui devront attendre encore 2 ou 3 ans pour avoir le beau plumage rose caractéristique) auront donc droit à une bague métale et une autre en PVC avec un identifiant unique. Cette année, 800 bagues sont prévues. Crédits : Tour du Valat.


    La toilette des flamants roses est aussi impressionnante qu’extravagante. Alors qu’il se balade tranquillement les pattes dans l’eau, sans aucun signe avant-coureur, l’animal semble perdre le contrôle de ses muscles et se laisse littéralement tomber dans l’eau. Il se met alors à se dandiner dans tous les sens avec la grâce d’un hippopotame en rut, et balançant violement sa tête en arrière à tel point qu’il semble s’en déboiter les cervicales. Et comme si de rien n’était, il se relève et reprend tranquillement sa route, ses yeux ronds comme des billes aux aguets.

    Il existe 6 espèces de flamants, qui ont toutes les mêmes comportements étranges et burlesques... Comme ces flamants des Caraïbes (Phoenicopterus ruber) en pleine baignade. Sources : photo 1, photo 2.


    Comme beaucoup d’oiseaux, quand s’en vient le temps des amours, le flamant rose se met à danser. Rien à voir avec la gracieuse parade de certains oiseaux exotiques. La première fois que j’ai assisté au spectacle, je n’ai tout simplement pas pu m’empêcher d’éclater de rire. Tout commence avec une poignée d’individus, qui se mettent subitement à tourner la tête par à-coups, gauche, droite, gauche, droite, à s’en donner le torticolis (vidéo chez le flamant des Andes). D’autres se joignent à l’euphorie générale, et tout en marchant, un groupe de plusieurs dizaines d’individus se forme, qui continuent frénétiquement à tortiller de la tête. Quand tout d’un coup, ils ouvrent grand les ailes, puis les replient aussi vite et font semblant de se nettoyer. Puis la parade reprend, les yeux écarquillés, la tête n’en finissant plus de tourner…


    " ♪ Tu me fais tourner la têteuuuh... ♪♫ "
    Début de la parade des flamants (Source)

    L'ouverture des ailes lors de la parade... Aussi brutale qu'éphémère. Source : Crédit : M. Watson / www.ardea.com


    Ces oiseaux, comme s’ils ne se remarquaient pas assez individuellement, se reproduisent en colonies. En France, ce sont des milliers de couples agglutinés sur un tout petit ilot. Le nid ressemble à un pâté de sable fait par un enfant. Le flamant qui couve en déborde de partout, et ses pattes trop grandes sont coincées en arrière. Malgré leur proximité, les individus sont agressifs et les prises de bec, au sens propre, interviennent en permanence. Pourtant, les flamants ne pourraient se passer de la compagnie des autres. Ce sont des grands froussards. A titre d’exemple, un seul petit ballon d’enfants (oui, ballon !), a créé il y a quelques années une panique sur la colonie camarguaise, provoquant l’abandon de près de 4000 œufs !

    Poussin, nids et colonie de flamants de l'étang du Fangassier (Camargue). Sources : redbubble, travelpod et Tour du Valat


    Mais malgré tous leurs côtés pour le moins singuliers, je ne peux nier que les flamants roses restent un objet d’étude fascinant. Je suis obligée d’avouer que je me suis attachée à ces étranges animaux, à force d’observations quotidiennes face à la seule colonie de reproduction française où les premiers instants des poussins sont simplement émouvants, avec des parents aussi doux qu’ils y paraissent quand ils nourrissent leur petit dont seule la tête émerge de l’aile parentale.



    Pour en savoir plus :

    Amat, J. A., Rendón, M. A., Rendón-martos, M., & Pérez-gálvez, A. 2011. Greater flamingos Phoenicopterus roseus use uropygial secretions as make-up. Behavioral Ecology, 665-673.

    Gallet, E. 1949. Les flamants roses de Camargue. Payot, Lausanne.

    Johnson, A. R. & Cézilly, F. 2007. The Greater Flamingo. T & AD Poyser, London.


    Film "Les ailes pourpres : le mystère de flamants" (Walt Disney, 2008)




    Sophie

    Elysia : histoire d'une voleuse peu ordinaire

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    Il y a des rencontres qui vous changent une vie, il a aussi celles qui vous marquent, dessinant un sourire sur votre visage lorsque vous y songez. Aujourd’hui j’aimerais partager avec vous un de ces rendez-vous.


    Ça se passe en Bretagne, la marée est basse, c’est l’été. Bottes chaussées, vêtue de mon coupe-vent, je m’en vais joyeusement prospecter la faune présente dans les algues à l’aide d’un filet. Je venais en effet de m’intéresser à cet habitat particulier. Les algues, tout comme la flore terrestre, constituent un abri considérable pour de nombreuses espèces. Elles sont également source de nourriture et constituent de véritables zones refuges pour les juvéniles et quelques fois même, pour les œufs. Ces habitats ont des fonctions de refuge, nourricerie ou encore d’alimentation. Pour tous ceux d’entre vous qui, comme moi, ne prêtaient aucune attention aux algues parce que ce n’étaient que de vulgaires sous-plantes sans forme ni intérêt, détrompez-vous ! Vous ne serez pas déçus.

    Je vous dévoilerai, peut-être, un jour, si vous êtes sages (oui, j’suis un peu comme le père noël), le mystère des algues. En attendant, je reprends mon épopée chevaleresque…


    Figure 1 : Quelques espèces peuplant les algues Hippolyte varians, Caprella acanthifera, Dynamene sp. [Source]


    Crevettes, gastéropodes, amphipodes se sont pris dans mon filet (Fig. 1) : des espèces que j’avais déjà eu la chance de rencontrer mais qui me comblent toujours autant lorsque je les retrouve. Bien des algues s’étaient enchevêtrées dans les mailles. Leur rendant alors leur liberté, j’ai repéré une masse qui m’était inhabituelle. Elle était verte, elle avait une consistance molle et visqueuse en dehors de l’eau, elle n’avait pas de forme particulière et ne mesurait pas plus d’1cm. C’est alors que je l’ai plongé dans un tube contenant de l’eau de mer. Sous mon œil curieux et ébahi, elle s’est mue de mouvements lents me dévoilant ainsi ses courbes gracieuses… D’après l’enseignante qui nous accompagnait, elle s’appelait Elysia

    Elysia est un mollusque gastéropode me disait-elle mais  hormis sa silhouette, je ne connaissais rien sur ce genre, j’étais alors tout à fait enthousiaste et excitée à l’idée d’en savoir plus. Je l’ai amené avec moi, m’empressant de l’observer à la loupe et « TADAAA » :
    Figure 2 : Elysia sp en vue dorsale sous loupe binoculaire

    Elle possède plusieurs teintes de vert mais est aussi ponctuée de grains verts et de petites tâches réfringentes bleues (Fig. 3) et roses.

    De recherches en recherches et donc de découvertes en découvertes, j’ai appris davantage sur la biologie et le mode de vie de cette espèce à laquelle je me sens liée (je suis sentimentale à mes heures perdues).

    Les tâches vertes que vous pouvez distinguer sur sa robe (Fig. 3) sont en fait… des chloroplastes (les organites qui permettent aux plantes de faire la photosynthèse) ! Les chloroplastes, me direz-vous, ne se rencontrent que chez les végétaux (en incluant les algues*). Comment un animal peut-il contenir des chloroplastes -entiers, intactes- ?
    Figure 3 : Elysia sp en vue dorsale sous loupe binoculaire avec vue sur les chloroplastes et les tâches réfringentes bleues (les roses ne sont pas visibles ici).

    En fait, les Elysia ont comme particularité d’aspirer les chloroplastes contenus dans certains types d’algues (cf vidéo ci dessous - préparez le pop corn) et de les stocker dans les expansions de leur système digestif pendant plusieurs jours.


    Sur ces deux vidéos (filmées par nos soins !!), l'Elysia est en vue ventrale, sous l'algue verte Bryopsis sp.



    Ces mollusques vivent à faible profondeur dans une zone où la lumière du soleil pénètre encore. Les chloroplastes étant des entités indépendantes dans les végétaux (on parle d’organites), ils sont capables de poursuivre leur activité photosynthétique dans le corps de l’animal de façon temporaire. A partir de l’énergie lumineuse produite par le soleil, ils forment du glucose qui sera alors libéré et utilisé par l’animal. Ainsi, en temps de crise, les chloroplastes peuvent nourrir l’Elysia jusqu’à 10 mois !

    Mais ce n’est pas tout !

    Certaines espèces de ce genre (comme E. pusilla et E. rufescens) ne gobent pas les chloroplastes de n’importe quelle algue. Elles favorisent les algues ichtyotoxiques (toxiques pour les poissons). D’abord pour éviter d’avoir comme concurrent principal une bestiole qui fait 10, 20 ou même 100 fois sa taille (imaginez devoir vous battre contre une lionne pour un morceau de viande ou contre un éléphant pour une touffe d’herbe ou encore contre une baleine pour une crevette d’un centimètre…). Etant donné que les poissons ne se nourrissent pas de ces algues, il y a moins de chance pour qu’ils mangent l’Elysia par « mégarde ». Ensuite, parce qu’en ingérant les chloroplastes, elles vont également chopper les toxines anti-poisson (il y en a de plusieurs sortes, ça dépend de l’algue « hôte ») et « tada ! » elles deviennent elles aussi empoisonnées ! L’espèce E. pusilla pousse encore plus loin l’utilisation de ces toxines puisque lorsqu’elle est dérangée, elle sécrète un mucus avec une forte concentration en substances toxiques. De même, lorsqu’elle pond ses œufs, elle prend le soin de les enrober dans un mucus toxique.

    Des moyens tout à fait originaux de s’alimenter et se protéger dans ce monde où les contraintes biotiques et abiotiques rendent ces environnements particulièrement hostiles.

    Ça se passe en Bretagne, la marée est basse, c’est l’été, je suis en pleine prospection de la faune du littoral et j’y ai découvert un monde que je chéris, un monde qui me fascine.

    Quand je serai grande, je serai biologiste marin. 
    Quand je serai grande, je continuerai à m’émerveiller comme cet été, à marée basse, en Bretagne, avec mes bottes et mon coupe vent.


    ----------------------------------------
    * : D'un point de vue évolutif, ça n'est pas juste. On traitera de ce sujet un jour ou l'autre.


    Pour les curieux :
    - Vous trouverez d’autres photos sur le site Estran 22à l’initiative de l’association Vivarmor Nature
    - Et ici, des photos de quelques espèces peuplant les algues.
    - BECERRO M., GOETZ G., PAUL V., & SCHEUER P., 2001 - Chemical defenses of the sacoglossan mollusk Elysia rufescens and its host alga Bryopsis sp. Journal of Chemical Ecology 27(11): 2287–2299.
    - HAY M.E., PAWLIK J., DUFFY E., & FENICAL W., 1989 - Seaweed-herbivore-predator interactions : host-plant specialization reduces predation on small herbivores. Oecologia 81: 418–427.
    PAUL V., & Van Alstyne K., 1988. Use of ingested algal diterpenoids by Elysia halimedae Macnae (Opisthobranchia : Ascoglossa) as antipredator defensesJ. Exp. Mar. Biol. Ecol. 119: 15–29.

    Ingénieuse et insoupçonnée...

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    Ce soir, j’en ai marre de travailler. Alors j’ai décidé de vous écrire un petit mot pour vous expliquer ce que c’est que l’ingénierie écologique. De quoi je parle ? Vous n’avez jamais entendu parler d’ingénierie écologie ? Autrement appelé le génie écologique…. Et bien ça veut dire qu’il était grand temps que je sorte la tête hors de mes publis scientifiques, de mes manipes de labo et de toutes mes activités bien trop sérieuses.

    L’ingénierie écologique, c’est quelque chose d’assez neuf en réalité. Il n’y a que très peu de scientifiques qui s’y intéressent, mais c’est pourtant un domaine très prometteur dans la branche de l’environnement mais aussi pour nos sociétés.
    Bien que le nom soit quelque peu barbare, il dit tout. L’ingénierie, vous savez ce que c’est ?! C’est quand on essaye de trouver une solution à une question concrète, un problème pratique. Et l’écologie, que ça soit scientifique ou idéologique (comme en politique ou chez les hippies !), c’est le domaine qui s’intéresse à l’environnement, au sens large, et à notre environnement plus particulièrement, à notre milieu environnant proche.  Donc pour l’expliquer en deux mots, l’ingénierie écologique c’est quand on cherche des solutions à nos problèmes dans l’environnement. Bon ça a l’air pas folichon tout ça, mais je vous assure, c’est plein de surprises ! C’est le but de mon article : vous montrer que les organismes qui nous entourent, et qui constituent notre écosystème, sont pleins de ressources et peuvent être d’une grande aide.

    Avant ça, je vais vous donner une définition un peu plus « scientifique ». Odum l’a définit en 1962 comme la mobilisation de l’énergie propre à l’activité des systèmes vivants et des organismes au lieu de faire appel à la technologie et à l’énergie externe, essentiellement non renouvelable, comme les énergies fossiles. Mais une des caractéristiques de l’ingénierie écologique est qu’elle se veut bénéfique à la fois pour les humains et pour la Nature. Et c’est pourquoi elle a été préconisée par le Millenium Ecosystem Assessment (programme de travail international conçu pour répondre aux besoins des décideurs et du public en matière d’information scientifique relative aux conséquences des changements que subissent les écosystèmes pour le bien-être humain) afin de tenter de pérenniser les relations  « Homme-Nature ».

    Et donc je vous parlais de surprise… vous devez vous demander à quoi je faisais référence. Ni plus ni moins qu’à tous les petits services que nous rendent les espèces autour de nous. Pour que ce soit plus parlant, on peut comparer l’ingénierie écologique au biomimétisme. Vous savez, le biomimétisme ! La science qui s’inspire des capacités physiologiques et physiques des animaux ou des plantes pour créer de nouvelles technologies. 

    Vu comme ça, on se demande qui de l'homme ou de l'animal a copié sur l'autre ! [source]






    Pour en savoir plus, je vous conseille de regarder les extraits de reportages au lien suivant : le biomimétisme. Pour ma part, j’ai déjà vu les reportages et ça m’impressionne toujours autant !

     
    Il y a tellement d’exemples d’application de l’ingénierie écologique que j’ai un peu de mal à choisir lesquels vous présenter.
    Je vais commencer par quelque chose d’assez peu ragoutant…. Les stations d’épuration. Ces centres de collecte de nos eaux urbaines et industrielles ont pour principal objectif de transformer les eaux sales et chargées en matières en eaux propres. Et bien figurez-vous que certaines de ces grosses usines n’utilisent ni plus ni moins que des bactéries dans le processus de transformation. Il existe différentes méthodes qui utilisent des types de bactéries différentes (libres ou fixées, ayant besoin d’oxygène ou non). L’intérêt de ces bactéries, c’est qu’en plus de nettoyer l’eau elles vont produire du biogaz, qui constitue une source d’énergie naturelle. 

    Les bactéries sont nos amies, on vous l'a déjà dit! [sources] 








    Un autre exemple dans le même style, c’est l’utilisation des racines foisonnantes des mangroves tropicales à Mayotte pour filtrer les eaux usées. Après la récolte des eaux usées et un prétraitement de décantation qui élimine une partie de la pollution, l’eau est rejetée à marée basse sur des parcelles de mangrove par des tuyaux percés comme un système d’arrosage. Ainsi l’azote contenu dans les eaux usées est absorbé par la végétation qui favorise sa croissance tel un engrais. Bien que ce type de projet ne soit qu’expérimental, il semble donner de bons résultats. Les chercheurs qui en ont la charge n’ont plus qu’à s’assurer que l’équilibre de la biodiversité n’a pas été perturbé.
     
    En voilà de belles racines! [source]

    Je voudrais vous parler d’autres plantes, qui sont proches de vous, qui vous rendent service, et pourtant on les oublie souvent, on fait comme ci elles n’étaient pas là. Ce sont les arbres de nos villes. Si nombreux et pourtant si invisibles. Et bien figurez-vous qu’eux aussi sont au cœur de l’attention des chercheurs pour voir en quoi ils nous sont bénéfiques. Il semblerait que les arbres urbains se portent bien (ils ont une grande ressource en carbone et azote), mais ils sont en manque d’eau. En parallèle, ils absorbent le CO2 produit par le large parc automobile français, mais ils contribuent aussi à rafraichir l’atmosphère.  Les arbres abritent une grande diversité d’organismes, des micro-organismes aux vertébrés en passant par les milliers d’invertébrés qui y élisent domicile. Ils contribuent à ce qu’on appelle la Trame Verte, cette continuité végétale qui permet de réduire la fragmentation des habitats naturels des animaux. Et cela contribue à notre bien-être et à notre besoin de nature !

    Nos beaux arbres parisiens... on devrait en prendre soin comme ils prennent soin de nous [source]

    Toujours en lien avec les plantes, mais plutôt de celles dont on va se nourrir, je voudrais maintenant vous parler d’agriculture. La France est la championne européenne de l’agriculture, mais ça n’est pas un secteur de tout repos. Les agriculteurs sont soumis à de nombreuses catastrophes climatiques mais aussi à des épidémies de pathogènes. Et bien il serait peut-être possible de lutter contre certains pathogènes des cultures en utilisant un agent de lutte très particulier…. Le ver de terre !!! Les vers de terre pourraient favoriser la croissance du blé et réduire les attaques d’un champignon, le piétin, sur la plante. Les vers limiteraient le contact entre le piétin et le blé, notamment en enfouissant les débris végétaux sur lesquels se déposent les spores des champignons .

    Le piétin verse donne une couleur plus clair au blé [source]

    Les vers de terre, connus pour être "ingénieurs des écosystèmes" [source]

    Enfin un dernier exemple, plutôt original mais qui me tient à cœur : les toits végétalisés. Ils créent des zones de verdure dans nos villes bien grises. Ils ont plusieurs objectifs : isoler thermiquement les immeubles, améliorer la qualité de l’eau en ville, séquestrer le CO2, re-dynamiser la biodiversité locale et régionale. Ces petits espaces au dessus de nos têtes pourraient dans un avenir proche constituer de véritables écosystèmes artificiels, abritant une multitude d’espèces, animales, végétales, et de micro-organismes. 
    Ça fait rêver, n'est-ce pas?! [source]
     Il y aurait encore beaucoup d’exemple à donner pour illustrer les actions des ingénieurs écologues:
    - La phytoremédiation et la bioremédiation utilisent des plantes et des micro-organismes pour dépolluer les sols (en phase expérimentale en France)
    - Construire des zones humides artificielles pourrait réduire la pollution par les pesticides des nappes phréatiques.
    - Le recyclage de déjections porcines dans les élevages et leur réutilisation en champs permet de minimiser les pollutions tout en produisant plus de biomasse végétale.
    - Etc.
     Cette discipline en pleine essor n’a pas fini de faire parler d’elle, et surtout elle a encore beaucoup de cartes à jouer pour nous en mettre plein la vue. Alors restez attentifs, on ne sait jamais ce qui se cache derrière un organisme vivant ! 

    A bon entendeur

    Battle

    Pour en savoir plus:
    - le site internet du groupe d'application de l'ingénierie écologique (GAIE) : ici 
    - le numéro spécial du CNRS sur l'ingénierie écologique: "Ingénieuse écologie" 
    - le numéro spécial du journal du CNRS sur le biomimétisme: "La Nature pour modèle"

    Les éléphants de mer sont-ils si polygynes qu’ils y paraissent ?

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    Sur la plage se déroule un combat sans merci. Deux éléphants de mer mâles, énormes, s’entredéchirent. La raison ? Le sexe, évidemment. Car le mâle victorieux aura comme récompense une belle centaine de femelles à sa disposition. Soit autant de descendants potentiels. Mais que le pacha ne se réjouisse pas trop : les choses ne sont pas tout à fait ce qu’elles semblent…


    Un mâle éléphant de mer, Mirounga leonina (Source

    Dans le règne animal, il existe quatre grands systèmes d’appariement, chacun avec leurs avantages et leurs inconvénients :

         - La promiscuité, régime sans restriction où chaque individu va pouvoir copuler, au sein d’une même saison de reproduction, avec plusieurs autres individus
         - La monogamie, où chaque mâle ne s’apparie qu’avec une seule femelle, et vice-versa
         - La polyandrie, association d’une femelle avec plusieurs mâles pendant une période de reproduction
         - La polygynie où un mâle va copuler avec plusieurs femelles

    C’est ce dernier cas qui nous intéresse. La polygynie se retrouve souvent chez des espèces dont les soins aux jeunes peuvent n’être assurés que par la mère, le père ne pouvant pas assumer sa descendance trop nombreuse. Le mâle obtient un bénéfice évident : il a accès à un grand nombre de femelles, ce qui lui assure une descendance nombreuse, propice à la dissémination de ses gènes. Cependant, seuls les mâles les plus vigoureux peuvent monopoliser un groupe de femelles, ou un territoire dans lequel elles se trouvent. Les femelles obtiennent ainsi un bénéfice indirect : elles sont assurées que leur descendance portera les gènes de ce mâle puissant.

    Un des cas les plus cités dans les livres et les plus utilisés dans les cours concerne l’éléphant de mer. Chez cette espèce, les femelles reviennent à terre tous les ans pour mettre bas. Les mâles les plus gros (qui sont aussi les plus âgés), mènent alors des combats sanglants à l’issu desquels le vainqueur aura le monopôle du groupe de femelles, qui peut dépasser 200 individus. Alors que les femelles allaitent leurs petits, le mâle veille sur son harem, soucieux d’éloigner les mâles opportunistes qui tentent de s’accoupler discrètement avec une femelle. Une fois le jeune sevré et le mâle dominant satisfait, tout ce beau monde retourne en mer jusqu’à l’année suivante.
     
    Combat sanglant entre deux mâles éléphant de mer (Source)

    Oui mais voila, un constat a été fait qui remet en question ce que l’on pensait connaître de l’animal : les chercheurs n’observent presque jamais sur la plage de jeunes femelles qui n’ont jamais eu de rejetons. On s’attendrait pourtant à les voir se pointer en fin de saison pour copuler avec le mâle dominant. Mais non. Elles débarquent un beau jour, et mettent au monde un jeune issu d’un père invisible…
     
    Jeune éléphant de mer (Source)
     

    Des études comportementales…

    A partir de ce constat, une étude comportementale a été menée chez l’éléphant de mer austral Mirounga leonina (De Bruyn et al. 2011). Le principe : chaque année, au moment du sevrage, des jeunes femelles sont « marquées », c'est-à-dire qu’on leur pose au niveau de la nageoire caudale, une espèce de boucle d’oreille comprenant un numéro unique, permettant l’identification de chaque individu. Près de 3700 femelles ont ainsi reçu un code d’identification, sur une période s’étalant de 1983 à 2007. Ensuite, les chercheurs se positionnent sur la plage durant la période de reproduction et sondent les femelles pour découvrir qui est présent, qui est resté en mer, qui a un jeune, ou qui encore n’est présent sur la plage que pour s’accoupler. Et là, surprise. Alors qu’on sait que la plupart des femelles ne mettent pas bas tous les ans même si elles en sont biologiquement capables, on s’attend donc à ce que beaucoup viennent sur la plage sans jeune juste pour s’accoupler. Cependant, les chercheurs ont observé que seulement 1% des femelles sur la terre ferme étaient présentes uniquement dans ce but. De plus, parmi les femelles qui ont loupé une saison de reproduction, 87% ont quand même mis bas l’année suivante ! Les évidences d’une copulation en dehors de la plage commencent à être fortes…
     

    Dispositif de reconnaissance individuel : "Jumbotag" (Source : image 1, image 2)

    Pour compléter cette étude à long terme, les chercheurs disposaient d’un autre outil : un petit appareil qui se colle sur la tête de l’animal et qui permet un suivi de sa position par satellite. En posant une cinquantaine de dispositifs, l’idée était de marquer par chance une femelle qui allait louper une saison de reproduction pour mettre bas l’année suivante… et ainsi découvrir ce qu’elle faisait au moment de la copulation supposée. Et là, bingo. Malgré la mue qui entraîne très rapidement la perte du dispositif, deux femelles ont répondu à ces critères. Et ce que les chercheurs supposaient s’est confirmé : les femelles, durant la période de réceptivité sexuelle, sont en mer ! De plus, le dispositif montre qu’elles passent plus de temps à la surface de l’eau durant cette période, suggérant une copulation près de la surface, voire sur un morceau de glace flottant…

    Dispositif de suivi par satellite (Source)


    … Aux études génétiques

    Les études comportementales apportent des arguments convainquant en faveur d’une copulation en mer. Cependant, d’autres raisons peuvent être invoquées pour expliquer les résultats, entre autres : l’absence de la femelle sur la plage parce qu’elle se trouve sur une autre plage (même si cet argument est contrebalancé par une forte fidélité au site de reproduction), l’implantation différentielle de l’embryon qui fait que la femelle met bas deux ans après la copulation sur la plage (en effet, dans un cycle de reproduction annuel, l’embryon ne s’implante pas immédiatement, afin que la mise bas corresponde précisément au retour sur terre l’année suivante), la mauvaise détection des femelles sur la plage par les chercheurs (la probabilité de détection qu’ils ont calculé atteignait tout de même 96% !), etc.
     
    Pour compléter les études comportementales, les études génétiques, notamment les études de paternité, sont de parfaits candidats. Elles permettent en effet de mettre en évidence des systèmes d’appariement cryptiques (cachés). Par exemple, chez les oiseaux, alors que la grande majorité des espèces est monogame (des couples stables dont les deux partenaires élèvent les petits), il aura fallu attendre des études génétiques à partir de 1980 pour se rendre compte que le taux de paternité hors couple, autrement dit le nombre de jeunes issus d’un père illégitime, était parfois immense. Il apparait ainsi que 90% des espèces d’oiseaux présentent de la paternité hors-couple, et que la proportion de nichées contenant au moins un poussin illégitime peut atteindre 87% (Griffith et al. 2002).

    Chez nos pinnipèdes, deux études génétiques ont été menées chez d’autres espèces que l’éléphant de mer, mais également connues pour être polygynes : l’otarie de Kerguelen Arctocephalus gazella (Gemmell et al. 2001) et le phoque gris Halichoerus grypus (Worthington et al. 1999). Dans la première étude, 243 mâles (soit 90% des mâles d’une plage) et 184 mères et leurs petits de l’année suivante ont été analysés. Résultat : malgré l’échantillonnage de la presque totalité des mâles, seuls 23% des jeunes étaient issus de pères présents sur la plage ! De plus, les chercheurs ont pu observer 16 copulations, suivies de mise bas l’année suivante. Et surprise encore une fois : seul un des jeunes était issu du mâle avec qui la femelle avait été vue en train de copuler ! Non seulement des femelles semblent échapper au système de polygynie en copulant en mer, mais en plus celles qui copulent à terre n’offrent pas au mâle la certitude de sa paternité ! La deuxième étude confirme l’implication beaucoup plus faible qu’attendue des mâles territoriaux dans la reproduction : entre 50 et 70% des jeunes phoques gris ne proviennent pas d’un père défendant un harem !

    Otarie de Kerguelen mâle Arctocephalus gazella (Source)

    Femelle phoque gris Halichoerus grypus, et son petit (Source)


    Stratégie alternatives et raisons évolutives

    Ces trois études mettent en lumière plusieurs faits chez les pinnipèdes polygynes. D’une part, les femelles sont capables de se reproduire en mer, et cette stratégie semble même être préférée lorsqu’elles n’ont pas besoin de revenir à terre pour mettre bas. D’autre part, même lorsqu’elles copulent avec le mâle dominant, le jeune issu peut provenir d’un autre père, suggérant des copulations multiples et éventuellement une sélection post-copulatoire du mâle.
     
    Le système de polygynie chez les pinnipèdes a longtemps été considéré comme bénéfique pour les femelles : celles-ci, en copulant avec le mâle dominant, assurent de bons gènes à leur descendance. De plus, aucun déplacement n’est nécessaire, le mâle est disponible à l’endroit même où elles doivent se rendre pour mettre bas, pratique. Ce mâle est aussi garant de leur tranquillité durant l’élevage du jeune, évinçant ses rivaux qui pourraient persécuter les dames. Que d’avantages donc, qui expliquent que l’hypothèse de stratégies alternatives de la part des femelles ait peu été envisagée.

    Cependant, suite à ces études, d’autres raisons sont invoquées pour expliquer la formation en harem des femelles : non pas un désir d’être sous la tutelle d’un beau mâle puissant, mais plutôt une stratégie pour éviter la persécution de la part d’autres mâles, et une contrainte du fait du nombre limité de plages disponibles.

    La question se pose alors des raisons évolutives de ces stratégies d’appariement, autrement dit quels sont les bénéfices qu’elles apportent ? Pour les femelles, louper une saison de reproduction est un moyen d’économiser de l’énergie pour mieux l’allouer à sa propre survie et aux reproductions futures. Rester en mer durant la reproduction loupée est aussi un moyen permettant de continuer à s’approvisionner en nourriture, lui évitant ainsi un long voyage vers la plage. De plus, de nombreux mâles ayant atteint leur maturité sont disponibles en mer (75% des mâles éléphants de mer restent en mer durant la période de réceptivité sexuelle de la femelle), permettant un large choix de partenaires. Les avantages directs de rester en mer semblent alors bien plus importants que les avantages indirects que procurent les bons gènes du mâle. Et ce d’autant plus que les mâles territoriaux deviennent puissants avec l’âge, réduisant ainsi le rôle des « bons gènes ». Les mâles qui se trouvent en mer sont potentiellement de futures maîtres de harem !

    Et pour les mâles alors ? Pourquoi s’obstiner à essayer de contrôler un harem alors que les femelles vont copuler ailleurs ? Et que la prise de pouvoir est très coûteuse, pouvant même leur coûter la vie ? La raison est simple. Les jeunes mâles n’ont aucune chance de s’accaparer un groupe de femelles et ont donc tout intérêt à rester en mer en espérant y croiser une femelle. Mais les mâles qui ont un harem, même s’ils n’ont pas autant de descendants qu’il y a de femelles présentes, ont toutefois un nombre de jeune plus important. Ayant atteint un certain âge, monopoliser un groupe de femelle permet donc d’augmenter son succès reproducteur, même s’il est plus faible que ce à quoi on s’attendrait en voyant les plages bondées de femelles. De plus, l’animal prenant de l’âge, ses chances d’être encore vivant et de se reproduire les années suivantes diminuent petit à petit. Autant donner le tout pour le tout et tenter une reproduction multiple, au risque d’être sérieusement blessé.
     
    L’avènement de la génétique est une bénédiction pour les études centrées sur les systèmes d’appariement. A l’image des oiseaux monogames ou des pinnipèdes polygynes, les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être. Il y a fort à parier qu’au cours des prochaines années, d’autres évidences s’écroulent encore…

     

    Bibliographie

    De Bruyn, P.J.N., Tosh, C.A., Bester, M.N., Cameron, E.Z., McIntyre, T. & Wilkinson, I.S. 2011. Sex at sea: alternative mating system in an extremely polygynous mammal. Animal Behaviour, 82, 445-451.

    Gemmell, N.J., Burg, T.M., Boyd, I.L. & Amos, W. 2001. Low reproductive success in territorial male Antarctic fur seals (Arctocephalus gazella) suggests the existence of alternative mating strategies. Molecular Ecology, 10, 451-460.

    Griffith, B., Owens, I.P.F. & Thuman, K.A. 2002. Extra pair paternity in birds: a review of interspecific variation and adaptive function. Molecular Ecology, 11, 2195-2212.

    Worthington Wilmer, J., Allen, P.J., Pomeroy, P.P., Twiss, S.D. & Amos, W. 1999. Where have all the fathers gone? An extensive microsatellite analysis of paternity in the grey seal (Halichoerus grypus). Molecular Ecology, 8, 1417–1430.
     

    Sophie Labaude

    Les belles vénéneuses : chronique évolutive de plantes empoisonneuses

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    Socrate, en voyant cet homme, dit : « Eh bien, mon brave, comme tu es au courant de ces choses, dis-moi ce que j’ai à faire ». — « Pas autre chose, répondit-il, que de te promener, quand tu auras bu, jusqu’à ce que tu sentes tes jambes s’alourdir, et alors de te coucher ; le poison agira ainsi de lui-même. » En même temps il lui tendit la coupe. Socrate la prit avec une sérénité parfaite […], il porta la coupe à ses lèvres, et la vida jusqu’à la dernière goutte avec une aisance et un calme parfaits.

    Extrait de « Phédon, ou de l’âme », Platon (traduction É. Chambry)  – début du IVème siècle avant J-C.

    Alle Ding sind Gift, und nichts ohn Gift; allein die Dosis macht, das ein Ding kein Gift ist.
    « Tout est poison, rien n’est poison ; seule la dose fait qu’une chose n’est pas un poison »

    Paracelse – XVIèmesiècle après J-C

    De tous temps, les être humains ont utilisé certaines plantes à des fins thérapeutiques, pour se soigner et conserver la santé… mais aussi parfois à des fins politiques, pour éliminer des rivaux gênants. Certaines classifications étaient même basées sur l’usage médicinal que l’on pouvait trouver aux plantes ! Les « sorcières », au Moyen-âge, étaient chassées en partie à cause de leurs savoirs sur les simples* qu’elles cultivaient ou allaient cueillir dans les bois… Mais toutes ces propriétés salvatrices ou destructrices des plantes, si elles sont bien utiles à l’humanité, n’ont rien de magique ! Les plantes utilisées à l’heure actuelle en phytothérapie et en herboristerie possèdent des principes chimiques identifiés et dont l’action sur le corps humain est généralement bien connue et maitrisée.

    Ici, vous reconnaîtrez quelques plantes utilisées en cuisine mais aussi en phytothérapie... [source]

    Mais si l’être humain sait utiliser les plantes à sa disposition, on peut se demander pourquoi certaines plantes ont des effets sur le corps humain, tandis que d’autres ne modifient en rien notre santé ? Et surtout, quel est l’intérêt évolutif pour une plante d’avoir des propriétés particulières… si ses voisines du champ d’à-côté n’en ont pas ?

    Tout d’abord, voyons pourquoi certaines plantes sont utiles ou dangereuses pour l’Homme.

    Vous le savez peut être, au cœur des cellules végétales se trouve toute une machinerie permettant à la cellule d’assurer sa survie, sa croissance et son développement, sa nutrition, sa reproduction. Toute cette machinerie regroupe un ensemble très complexe de réactions biochimiques, appelé « voies métaboliques ». Cet ensemble de réactions fait intervenir des enzymes, qui sont des catalyseurs biologiques**.
    Toutes les molécules complexes permettant d’assurer la survie et le développement de la cellule sont donc issues du métabolisme primaire de la cellule. Parmi elles, on trouve par exemple des acides aminés (qui sont les « briques » essentielles composant les protéines), les nucléotides (qui sont les « briques » de construction de l’ADN et des ARN), les acides gras à fonction membranaire (eh oui ! sans acides gras, la cellule ne peut plus former la membrane protectrice qui la délimite) et tous les sucres essentiels au bon fonctionnement de la cellule.

    Mais par la suite, on a observé que bon nombre de plantes étaient capables de synthétiser ce que l’on appelle des « métabolites secondaires » à partir des métabolites primaires, qui sont les composés essentiels à la vie de la cellule dont j’ai parlé dans le paragraphe précédent. Toutes ces nouvelles molécules ne sont pas directement essentielles à la survie et au développement cellulaire à court terme, mais elles le sont à long terme. Par exemple, un des métabolites secondaires les plus présents à la surface de la Terre chez les plantes est la lignine : c’est une molécule entrant dans la constitution du bois des arbres et qui permet entre autres la rigidification des axes verticaux (les troncs) et horizontaux (les branches) de ces végétaux. Vous voyez bien qu’à terme, un arbre sans lignine ne peut pas avoir une croissance normale.

    Pour avoir un aperçu, voici l’ensemble des voies métaboliques primaires et secondaires connues à l’heure actuelle que l’on peut retrouver chez une plante. Attention ça fait peur !
    Mais et nos poisons dans tout ça ? Que sont-ils ? Et surtout, quels avantages évolutifs apportent-ils à la plante lorsque celle-ci en produit ?

    Il existe différents types de poisons, qui sont classés dans différentes catégories. Je vais vous présenter quelques uns de ces composés et je vous donnerai quelques exemples de plantes qui produisent ces substances.

    D’après Wink (2003), on trouve dans le règne végétal plus d’une quinzaine de familles de composés secondaires. Je ne vais pas vous détailler l’ensemble de ce qui se fabrique chez les plantes, aussi ai-je choisi de vous présenter quelques végétaux que vous connaissez certainement, comme par exemple l’Ortie Urtica dioica.
    L’Ortie, vous en avez certainement fait l’expérience assez tôt au cours de votre enfance, ça pique… Mais comment se fait il qu’un simple contact avec la tige ou les feuilles puisse provoquer une brûlure parfois très intense ?

    A gauche, les poils urticants de l'Ortie vus à la loupe [source] ; à droite, les poils urticants vus au microscope électronique [source]
    Les poils urticants de l’Ortie sont creux et composés de silice (le même matériau minéral qui forme les grains de sable ou le verre). Au moindre contact avec un corps étranger à la plante, les poils se cassent et libèrent leur contenu. Si les produits libérés arrivent au contact de la peau d’un animal, on observe une inflammation… Mais à quoi est due cette réaction ? Eh bien, il faut savoir que dans les poils d’Ortie, on trouve des composés tels que l’acétylcholine et l’histamine (de Bonneval, 2006). Ces deux molécules sont classées dans la famille des amines et des ester. Dis comme ça, on ne se rend peut être pas bien compte. Si je vous dis maintenant que l’histamine est une substance naturellement produite par les animaux et qu’elle joue un rôle dans la réponse immunitaire, en engendrant par exemple une accélération du rythme cardiaque ou un rétrécissement des bronches accompagné de démangeaisons cutanées… Eh oui ! L’histamine joue un rôle dans les réactions allergiques ! D’où les démangeaisons et douleurs  qui résultent de la piqure d’une telle plante. L’acétylcholine quant à elle n’est rien de moins qu’un neurotransmetteur. Ces molécules sont responsables (entre autres) des transmissions des signaux nerveux dans le corps des animaux. En particulier, une des synapomorphies des Bilatériens (vous, moi, un chat, un requin-baleine, un papillon… voir l'article sur la phylogénie animale) est la présence de synapses*** unidirectionnelles utilisant l’acétylcholine comme neurotransmetteur (Lecointre et Le Guyader, 2001). Rendez vous compte, ce végétal produit des substances que l’on pensait strictement cantonnées aux animaux !

    Chez d’autres plantes, on retrouve des composés appelés alcaloïdes. C’est le cas par exemple de l’Aconit Aconitum napellusdont voici une belle photo ci-dessous.

    Aconitum napellus, une belle plante mortelle [source :  photo personnelle]

    Des expériences ont été menées très tôt pour constater l’effet que l’aconitine (un alcaloïde produit par cette plante) était particulièrement visible au niveau du cœur (Matthews, 1897). Après injection d’une très petite quantité d’extrait d’Aconit chez un Vertébré, les pulsations cardiaques accélèrent puis ralentissent ; les battements deviennent désordonnés et la mort de l’individu s’ensuit par arrêt cardiaque. Quelques grammes de plante fraiche suffisent à tuer un être humain adulte en quelques heures… C’est pour cela qu’il est même déconseillé de cueillir une telle plante à main nue !

    Une autre belle plante que l’on trouve à l’automne est la Colchique Colchicum autumnale. Elle est de la même famille que le Crocus de nos jardins  et elle lui ressemble en bien des points… 

    A gauche, la Colchique d'automne [source] et à droite, le Crocus à safran [source]. Il faut savoir que le Crocus est une petite fleur qui sort de terre au printemps, avant que les arbres n’aient encore toutes leurs feuilles ; cette plante est généralement une des premières à faire des fleurs violettes, jaunes ou blanches au printemps. Le Crocus n’est pas toxique et il existe une espèce Crocus sativus qui sert à produire le safran, épice utilisée en cuisine.

    Mais elle produit un alcaloïde dangereux pour un grand nombre d’organismes : la colchicine. Cette substance se trouve dans la plante entière et elle a pour propriété de bloquer la formation du fuseau mitotique. En clair, elle empêche les cellules de se diviser ! Une cellule mise au contact de la colchicine ne pourra pas effectuer un cycle cellulaire complet : elle restera bloquée au cours de sa division ce qui engendrera sa mort.

    Vous connaissez certainement l’amande, fruit de l’Amandier Prunus dulcis. On l’utilise beaucoup en pâtisserie ou en cuisine… mais savez vous que le goût très caractéristique des amandes provient en réalité de l’acide cyanhydrique ? (Couplan, 2009)


    A gauche, les amandes pas encore mûres accrochées sur l'arbre [source] ; à droite, les amandes utilisées en cuisine [source]. Voir ici quelques belles images d'Amandier en fleurs.

    L’acide cyanhydrique interfère avec le fonctionnement des mitochondries, qui sont la centrale énergétique de la cellule et qui assurent la fonction de respiration cellulaire. En clair, l’acide cyanhydrique va stopper une réaction en chaine qui a lieu constamment en temps normal dans la mitochondrie. La cellule ne pourra plus utiliser l’oxygène correctement et l’organisme entier va subir des conditions d’anoxie (c'est-à-dire qu’il va être privé d’oxygène). Le mécanisme est un peu compliqué à expliquer, mais en gros le cœur va s’arrêter de battre car les cellules contractiles n’auront plus d’oxygène à leur disposition (cours en ligne de l’université de Strasbourg).
    Il faut savoir qu’une quantité équivalente à 50g d’amandes fraiches de l’Amandier est létale pour l’être humain adulte… à consommer avec modération !

    Ainsi donc, certaines plantes produisent des substances toxiques, tandis que d’autres n’en produisent pas. Pourquoi ? Quel est l’avantage évolutif que procure la production de telles substances ?

    D’après l’étude récapitulative de Bennett et Wallsgrove (1994), les composés chimiques secondaires produits par les plantes servent avant tout à se protéger de l’herbivorie. Cette protection peut être appliquée pour différents types d’herbivores ; ainsi, la fécondité de certaines espèces de pucerons et l’appétence de certaines espèces de limaces sont réduites par l’augmentation de la quantité de glucosinolates dans la plante (les glucosinolates sont aussi des composés chimiques secondaires). Mais ces composés ne semblent pas avoir d’effets sur les animaux vertébrés (Lapin et Pigeon par exemple). D’autres composés, comme la canavanine, miment des acides aminés essentiels à la composition des protéines… mais n’ont pas les mêmes propriétés physico-chimiques : un insecte qui aurait mangé des tissus contenant cette substance fabriquerait des protéines « erronées » et non fonctionnelles. C’est comme si vous fabriquiez vous-même une chaine de vélo mais que l’un des maillons était défectueux : l’ensemble de la chaine serait correct mis à part un petit détail, mais la chaine ne pourrait pas tourner correctement dans le pédalier et se briserait au premier coup de pédale !
    Cependant, quelques rares insectes possèdent un métabolisme capable de différencier les « bons » composés utilisables dans les protéines des « mauvais ». Alors que les plantes produisant de la canavanine sont protégées de la majorité des insectes, elles sont la proie privilégiée de Caryedes brasiliensis (Bruchidae) et Sternechus tuberculatu (Curculionidae), deux espèces de Coléoptère qui sont capables d’ingérer de la canavanine sans avoir de soucis (Rosenthal et al., 1982 et article en ligne).

    Un autre exemple de lutte contre les brouteurs est souvent donné lorsqu’on parle des composés secondaires : le cas de l’Acacia caffra et des antilopes appelées Koudous Tragelaphus strepsiceros en Afrique (Hallé, 1999). Il est connu que les Koudous broutent les Acacia de manière incomplète : ils changent sans arrêt d’arbre au cours de leur repas. Pourquoi donc ? Eh bien, lorsque les feuilles sont broutées, elles produisent des composés phénoliques toxiques (là aussi issus du métabolisme secondaire) donnant un goût astringent à la plante. Le Koudou se détourne alors de la plante et s’en va chercher un autre arbre à brouter.
    Dans ce cas, on peut voir que le composé secondaire n’est pas présent tout le temps dans la feuille : il n’est fabriqué qu’en cas de stress et de blessure.


    A gauche, le dévoreur [source] ; à droite, le dévoré [source]

    Je l’ai déjà dis, toutes les plantes à fleurs ne produisent pas forcément les mêmes composés secondaires. Si l’on s’intéresse à l’aspect phylogénétique, on se rend compte très rapidement que les composés secondaires possèdent souvent des ascendances communes et ne sont pas apparus au hasard au cours de l’évolution des plantes. Par exemple, l’étude de Wink (2003) montre qu’au sein de la famille des Solanaceae (les Pommes de Terre, les Tomates et le Tabac entre autres), on retrouve seulement trois fois l’apparition des alcaloïdes stéroïdes (voir figure ci-dessous). Cela montre bien qu’à un moment donné dans l’histoire évolutive de cette famille, les alcaloïdes ont été produits et que cette innovation évolutive a été conservée car elle apportait un avantage évolutif certain.

    Arbre phylogénétique des Solanaceae, d'après Wink (2003). Les branches en gras montrent la présence d'alcaloïdes stéroïdes dans cette famille. Illustrations : Schizanthus pinnatus , Solanum dulcamara , Atropa belladona , Lycopersicon esculentum , Physalis alkekengi , Nicotiana tabacum

    Cependant on ne retrouve pas les mêmes composés secondaires chez toutes les plantes. Cela s’explique par le fait que la fabrication de telles molécules engendre une dépense énergétique importante. Il s’agit ici de « stratégie évolutive » : en produisant beaucoup d’alcaloïdes, l’Aconit va « privilégier » ses défenses chimiques plutôt que l’élaboration d’un appareil végétatif pérenne.
    J’emploie ici un terme finaliste sciemment (entres guillemets) pour faire un raccourci, mais vous comprenez bien que la plante n’a aucune volonté consciente d’un choix d’allocation de ses ressources énergétiques dans la production d’alcaloïdes ou la croissance d’organes à durée de vie longue : c’est le résultat de la sélection naturelle au cours du temps.

    Les plantes sont donc capables de synthétiser toutes sortes de composés organiques leur permettant de se défendre face à leurs prédateurs, les herbivores… Bien que le panel de molécules produites dans la nature soit impressionnant et très diversifié, tous ces composés atteignent leur but, à savoir la défense contre les prédateurs herbivores. De différentes façon, les plantes arrivent à leur fin.
    On peut alors se demander ce qui se passe lorsqu’un herbivore nait avec une mutation lui permettant de passer outre les défenses chimiques de la plante… Comment la plante va-t-elle réagir ? Quelles sont les solutions qu’elle peut mettre en place pour se protéger à nouveau ? Un article prochain vous parlera peut être de ce phénomène fascinant en biologie, appelé la théorie de la Reine Rouge !

    * simple : en langage de botaniste, les « simples » sont les plantes médicinales cultivées dans un jardin.
    ** catalyseur : « Substance qui augmente la vitesse d'une réaction chimique sans paraître participer à cette réaction » (Larousse). J’ajouterais qu’un catalyseur est une entité chimique (ou biochimique) qui se retrouve à l’identique à la fin de la réaction et qui peut être réutilisé pour recommencer une réaction identique.
    *** synapse : connexion entre neurones ou entre neurone moteur et fibre musculaire striée (Encyclopaedia Universalis). En clair, une synapse est le « vide » existant entre deux neurones (qui sont les « câbles » qui font passer les informations électriques dans notre corps) ou entre un neurone et un muscle.

    Bibliographie

    P. de Bonneval ; L’herboristerie. 2006. Edition DesIris. p 97

    S. A. Matthews; A study of the action of aconitin on the mammalian heart and circulation. 1897. The Journal of Experimental Medicine. 2(5): 593–605

    F. Couplan; Le régal végétal. 2009. Edition Sang de la Terre. pp 256 – 257

    Cours en ligne de l’Université de Strasbourg (consultation le 9/09/12) :

    R. N. Bennett and R. M. Wallsgrove; Secondary Metabolites in Plant Defence Mechanisms. 1994.  New Phytologist, Vol. 127, No. 4 pp. 617-633

    F. Hallé; Eloge de la plante. 1999. Edition du Seuil. pp 164 – 165

    G. A. Rosenthal, C. G. Hughes, D. H. Janzen; L-Canavanine, a dietary nitrogen source for the seed predator Caryedes brasiliensis (Bruchidae).1982. Science. Vol. 217 no. 4557 pp. 353-355

    Article en ligne (consultation le 10/09/12) : http://www.uky.edu/~garose/cancerrev.htm

    G. Lecointre et H. Le Guyader ; Classification phylogénétique du vivant. 2001. Edition Belin. p 221. 


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